« Pour qui écrivent les écrivains africains ? », se demandait John Coetzee dans Elizabeth Costello. Pas vraiment pour les Africains : « Ils n’arrêtent pas de loucher vers des étrangers qui les liront. »
Quelques esprits décidés tâchent de changer les choses et de rapprocher les littératures africaines de leurs lecteurs premiers.
Tout d’abord, plusieurs auteurs africains ont décidé de s’adresser à leurs compatriotes dans leur langue, à l’image de Jean-Joseph Rabearivelo (1903-1937) qui écrivait ses textes aussi bien en malgache qu’en français. Nous avons évoqué Ngugi wa Thiong’o qui a choisi d’écrire en kikuyu. Les éditions Zulma ont lancé une collection en wolof, sous la direction de Boris Boubacar Diop. Nommée Céytu, d’après le village natal de Cheikh Anta Diop, cette série comprend un titre de Mariama Bâ, Aimé Césaire et JMG Le Clézio. Wole Soyinka se fait à présent traduire en yoruba, sa langue maternelle.
Ensuite, des éditeurs engagés ont trouvé un moyen de réduire l’obstacle que constitue le prix du livre en Afrique. Depuis 2006, la collection Terres solidaires offre la possibilité d’accès à la haute littérature. Cela suppose des efforts coordonnés entre plusieurs partenaires.
Un comité de lecture panafricain, composé d’éditeurs, de journalistes et de libraires, choisit un livre qui a déjà été publié en France. L’éditeur français concerné cède les droits de l’ouvrage pour l’Afrique francophone. Le comité de lecture est animé par Nathalie Carré, enseignante de swahili à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), qui, par ailleurs, cherche à promouvoir les littératures en langues africaines.
C’est ensuite qu’intervient l’Alliance internationale des éditeurs indépendants dans le rôle de coordinateur. Avec l’appui de partenaires institutionnels, comme l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Institut français, l’AIEI supervise l’ensemble du processus. Les tâches éditoriales (mise en page, suivi de l’impression…) sont réparties entre les éditeurs africains. L’ensemble des coûts est mutualisé entre les éditeurs. A chacun d’en assurer la diffusion dans son pays.
C’est ainsi que des romans de référence ont pu être diffusés : Jazz et vin de palme d’Emmanuel Dongala, Mandela et moi de Lewis Nkosi, La saison de l’ombre de Leonora Miano, La civilisation, ma mère de Driss Chraïbi ou Sozaboy du regretté Ken Saro-Wiwa. De l’autre côté du regard, de Ken Bugul a même cartonné.
Dans la même démarche solidaire, la réédition en 2013 de A quand l’Afrique ? (entretiens avec l’historien Joseph Ki-Zerbo, Prix RFI Témoin du Monde 2003) par huit éditeurs du réseau francophone de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants s’est révélée un succès. Avec un tirage de 17 800 exemplaires, la palme revient à Mes étoiles noires, de Lilian Thuram, initialement publié en France par l’éditeur Philippe Rey. Le célèbre footballeur brosse le portrait de grandes figures d’Afrique ou de la diaspora.
Les tirages de la collection Terres solidaires tournent autour de 2 500 exemplaires. Plusieurs titres sont déjà épuisés. Cet exemple de collection panafricaine de qualité repose sur un beau processus démocratique.
Ce programme, qui a fait ses preuves, mériterait d’être étendu. On pourrait rêver de parutions plus fréquentes, d’inclure des textes de penseurs africains et des auteurs d’abord publiés dans le Sud. RFI, avec ses émissions en haoussa, swahili et mandenkan, semble un partenaire tout désigné.