En janvier dernier, le conservateur Zac Goldsmith a estimé que son rival à l’élection du maire de Londres, le travailliste Sadiq Khan, était « radical et source de divisions ». Musulman, Sadiq Khan a estimé qu’utiliser de tels termes à son égard était dangereux : « [Zac Goldsmith] joue avec le feu. Quand on qualifie ainsi un candidat de confession musulmane, qu’est-ce qu’on sous-entend ? »
Zac Goldsmith a alors répliqué que Sadiq Khan « jouait la carte de la race », tout en assumant ses propos, expliquant que, sous Jeremy Corbyn (soutenu par Sadiq Khan), le Parti travailliste était devenu « radical ».
Car cette qualification de « radical » peut avoir deux sens. Elle peut sous-entendre que Sadiq Khan est proche idéologiquement du chef du Labour, Jeremy Corbyn, très à gauche dans l’échiquier politique. Le 24 avril dernier, l’homme d’affaires Lord Alan Sugar a accentué cette critique en signant une tribune dans The Sunday Times appelant les électeurs à ne pas voter pour Sadiq Khan. Pour ce Lord, ancien membre du Labour et star de la version britannique de l’émission The Apprentice (que Donald Trump a animée aux Etats-Unis), Sadiq Khan « a détruit le Labour » et s’apprête à faire de même avec la ville de Londres. Selon Alan Sugar, les principaux arguments de Sadiq Khan « ne sont pas ses politiques ; c’est le fait qu’il est le fils musulman d’un chauffeur de bus ».
Pourtant, comme le rappelle Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l’University College de Londres, « Sadiq Khan est plutôt un modéré, contrairement à ce qu’affirme son rival Zac Goldsmith. Il ne penche pas vers la gauche du parti. Il est plus à droite, par exemple, que le chef des travaillistes Jeremy Corbyn ».
Sadiq Khan, icône du cosmopolitisme, accusé d’être proche des islamistes
Mais « radical » peut aussi être entendu comme une référence à la religion de Sadiq Khan, insinuant que celui-ci aurait une vision rigoriste de l’islam. Zac Goldsmith a ainsi accusé Sadiq Khan d’avoir côtoyé des extrémistes islamistes, une accusation relayée par le Premier ministre David Cameron.
This is not the @ZacGoldsmith I know.
— Sayeeda Warsi (@SayeedaWarsi) 1 mai 2016
Are we @Conservatives fighting 2 destroy Zac or fighting to win this election? pic.twitter.com/fzYBUDSjMG
Ces accusations s’appuient notamment sur le fait que l’ancien beau-frère de Sadiq Khan, Makbool Javaid, a participé dans les années 1990 à des rassemblements d’Al-Muhajiroun, une organisation djihadiste interdite en 2005. Makbool Javaid a aussi été aperçu à deux reprises, en 1997 et en 1998, aux côtés du prédicateur islamiste radical Omar Bakri, qui avait notamment qualifié de « magnifiques » les kamikazes du 11 septembre 2001.
Sadiq Khan explique ne plus avoir de lien depuis plus de dix ans avec Makbool Javaid, divorcé en 2011 de la sœur du candidat travailliste, après que le couple se soit séparé cinq ans plus tôt. De son côté, Makbool Javaid, interrogé par l’Evening Standard en février dernier, a déclaré « regretter certaines choses [qu’il a] faites et dites quand [il était] plus jeune ».
Khan a également été accusé d’être proche d’un imam considéré par David Cameron comme proche de l’organisation Etat islamique. Cet imam, Suliman Gani, a affirmé avoir toujours été opposé aux organisations terroristes. Ces derniers jours, il a été révélé qu’il y a sept mois, un candidat du Parti conservateur l’avait approché pour lui demander d’appeler des musulmans à voter pour lui. Et en réponse à la polémique, l’imam a publié sur Twitter une photo non datée de lui avec Zac Goldsmith.
Oh no, I just read that Zac apparently calls me 'one of the most repellent figures in this country'
— Suliman Gani (@sulimangani) 13 avril 2016
Dirty politics pic.twitter.com/WWYfIcdU5h
« Khan est clairement un musulman moderne et progressiste, estime Tony Travers, professeur à la London School of Economics, cité par l’AFP. Si ses adversaires s’aventurent trop sur ce terrain [de la religion, ndlr], ils risquent un retour de bâton. » Sadiq Khan, 45 ans, est en effet une icône du cosmopolitisme, et il se présente comme tel. S’il est élu, il serait le premier musulman élu à la tête d’une grande ville occidentale. Il a déclaré : « L’extrémisme est un cancer dans la société britannique et il faut l’éradiquer. J’ai esquissé des plans solides pour éradiquer l’extrémisme et faire face à la radicalisation comme maire de Londres. »

Député de Tooting, un quartier populaire du sud de Londres, il met en avant son identité de musulman intégré. Il est favorable au mariage homosexuel, ce qui lui a valu des menaces de mort. Il s’est aussi battu pour empêcher la fermeture d’un pub de sa circonscription.
Fils d’immigrés pakistanais, dont les parents sont arrivés en Angleterre peu avant sa naissance en 1970, il est devenu avocat spécialisé dans la lutte contre les discriminations, après une enfance dans un HLM d’un quartier populaire de la banlieue sud de Londres, avec ses sept frères et sœurs. Dès l’âge de 15 ans, Sadiq Khan adhère au parti travailliste, et à 24 ans, il est élu conseiller municipal de Wandsworth, dans le sud de Londres. Ministre chargé des communautés, puis des Transports dans le gouvernement de Gordon Brown (2007-2010), il a surpris tout le monde en remportant les primaires travaillistes à l’automne dernier.
Ces derniers jours, Sadiq Khan a souffert de la polémique liées aux propos antisémites tenus par deux cadres du Labour. Ken Livingstone, ancien maire travailliste de Londres désormais exclu du parti, a notamment déclaré que « Hitler […] soutenait le sionisme avant de devenir fou et de finir par tuer six millions de Juifs ». Des propos que Sadiq Khan a qualifiés de « consternants et inexcusables ».
Zac Goldsmith, un rebelle dans le camp conservateur
La campagne « nasty » (c’est-à-dire « perfide »), comme disent certains médias britanniques, de Zac Goldsmith est d’autant plus étonnante que, comme le souligne Philippe Marlière, il est considéré comme un conversateur « vert, modéré et progressiste ». Mais dans cette campagne, il s’est révélé beaucoup plus à droite et surtout très agressif.
Député de Richmond, quartier huppé dans la banlieue sud-ouest de Londres, Zac Goldsmith a étudié au collège d’Eton, une école élitiste et très coûteuse. Il en a été renvoyé pour possession de cannabis. Fils du milliardaire franco-britannique lui-même d’origine juive allemande, Jimmy Goldsmith, Zac aurait hérité près de 300 millions de livres lors de la mort de son père en 1997.

Zac Goldsmith est considéré comme un rebelle dans le camp conservateur. Progressiste, il est connu pour ses opinions écologistes. De 1998 à 2006, il a été rédacteur en chef du mensuel The Ecologist, fondé par son oncle et consacré à l’écologie. Comme maire de Londres, il a promis de lutter contre la pollution de l’air, notamment « avec des règles plus dures contre les poids lourds ». Il est aussi favorable à la piétonisation de l’avenue commerçante d’Oxford Street (pour éviter la pollution et les embouteillages) et contre l’ouverture d’une troisième piste à l’aéroport de Heathrow. Des positions que partage le candidat travailliste.
Selon le site de suivi parlementaire They Work for You, il vote tout de même comme son parti sur « la grande majorité des sujets », à la Chambre des communes. Sur les questions socio-économiques, il est très proche des positions conservatrices britanniques. Dans le domaine militaire, il est aussi sur la même ligne que son parti. Il diffère de ses pairs conservateurs sur ces questions assez pointues :
- Il est contre la vente des forêts qui appartiennent à l’Etat anglais ;
- il est favorable au fait de donner la possibilité aux malades en phase terminale d’avoir une aide pour mourir ;
- il est contre le massacre de blaireaux pour lutter contre la tuberculose bovine ;
- il est pour une plus grande régulation des jeux d’argent ;
- il est favorable au fait de donner des avantages financiers aux méthodes de production d’électricité à faible émission de carbone.
La priorité des Londoniens : le logement
Pour cette élection du 5 mai, les priorités des habitants sont surtout les questions du logement, perçu comme trop cher et insuffisant, et des transports, surpeuplés. Londres a en effet gagné 900 000 habitants depuis 2008. Les deux candidats ont ainsi assuré que leur priorité était le logement : Sadiq Khan promet de construire « des millions de maisons de plus pour les Londoniens chaque année » et Zac Goldsmith prévoit de « doubler la construction de logements pour atteindre 50 000 constructions par an en 2020 ».
My vision in a @Vine – I’ll be a Mayor for all Londoners.
— Sadiq Khan MP (@SadiqKhan) 26 avril 2016
On 5 May, vote Labour.
Spread the word, retweet now.https://t.co/qeyOplNI6K
Mais les Londoniens semblent faire davantage confiance à Sadiq Khan, qui est crédité dans les sondages d’une avance de plus de dix points au second tour sur son rival. Londres est devenu un bastion travailliste, le Labour ayant remporté 45 députés contre 27 pour les conservateurs lors des élections de 2015, que les Tories avaient pourtant remporté dans l’ensemble du royaume. Ensuite, la capitale est la ville la plus cosmopolite du Royaume-Uni : plus d’une personne sur cinq ne se revendique pas chrétienne et près d’un habitant sur huit est musulman, selon le recensement de 2011.
Un contexte qui n’est pas sans favoriser Sadiq Khan, qui a tenu à préciser : « Je veux être là pour tous les Londoniens, de toutes confessions, pour les millionnaires, les milliardaires, les chauffeurs de bus et les internes en médecine. » Son profil plaît à la fois aux habitants des quartiers défavorisés, dont il est originaire, qu’à la City, qui apprécie son positionnement pro-européen et « pro-business ». Zac Goldsmith, de son côté, défend sa candidature en expliquant qu’un candidat proche de David Cameron sera plus légitime qu’un opposant à la politique gouvernementale.
Le référendum pour le maintien dans l’Union européenne en ligne de mire
Quel que soit le résultat de l’élection du maire de Londres, il aura des conséquences politiques au niveau national. Le même jour, des scrutins sont organisés en Ecosse, au pays de Galles et en Irlande du Nord, pour le renouvellement des parlements régionaux.
En Ecosse notamment, qui a été pendant longtemps un fief des travaillistes, ces derniers risquent de se faire doubler non seulement par les nationalistes du Parti national écossais, grands favoris du scrutin, mais aussi par les conservateurs. Ce qui pourrait donner le signal d’une fronde contre le chef des travaillistes Jeremy Corbyn.
La crédibilité du Premier ministre David Cameron est également en jeu, un mois et demi avant le référendum pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. David Cameron milite pour le maintien dans l’Union, mais il n’est pas suivi par beaucoup de conservateurs. Pas même par Zac Goldsmith, favorable au Brexit.