Coup de théâtre. Le projet de révision de la Constitution présenté mercredi 23 décembre en Conseil des ministres retient finalement bien la déchéance de nationalité pour tous les binationaux condamnés définitivement pour terrorisme, a annoncé Manuel Valls après plusieurs jours de tergiversations.
Pourtant, ces derniers jours, de nombreuses sources élyséennes semblaient indiquer que le retrait de cette mesure était acté. Manuel Valls lui-même faisait part la semaine dernière de ses « doutes » en petit comité. Surtout la Garde des Seaux Christiane Taubira l’avait présenté comme sûr, hier sur une radio algérienne (lire ci-dessous).
Cette décision de maintien, le Premier ministre l’explique par le poids de la parole présidentielle : pas question de prendre le risque de la dévaluer. C’est cette raison qui semble avoir fait pencher la balance, tant la droite hier s’est déchaînée sur le reniement anticipé du président.
Mais quelle majorité pour le voter ? Ils sont nombreux, les députés socialistes à avoir affirmé très officiellement ces derniers jours leur refus d’une telle mesure, refus qu'ils maintiennent aujourd’hui. Un député, ni frondeur ni légitimiste, s’avoue, lui, aujourd’hui, totalement déboussolé face, dit-il, à un vrai cas de conscience.
Le texte prévoit aussi l’inscription dans la loi fondamentale de l’état d’urgence comme s'y était engagé le président François Hollande au lendemain des attentats de Paris. Ce projet va être soumis au Parlement français. Pour qu'il soit adopté, il doit recueillir une majorité des trois cinquièmes des députés et sénateurs.
■ Les principales déclarations du Premier ministre :
- « Le gouvernement a décidé de soumettre au Parlement la déchéance de nationalité pour tous les binationaux condamnés pour terrorisme ».

- « A partir du moment où c'était un engagement du président de la République et que nous avions un avis particulièrement clair du Conseil d'Etat sur la nécessité d'une réforme constitutionnelle, il ne pouvait pas y avoir d'autres solutions que l'adoption de cette mesure », a déclaré Manuel Valls pour justifier cette décision alors qu'il avait lui-même émis des « doutes » par le passé sur la pertinence de cette mesure.
- « En aucun cas cette déchéance ne permettra d'échapper à la justice, ils seront poursuivis et condamnés en France. (...) À l'expiration de leur peine, ils pourront faire l'objet d'une expulsion. »
- « Le seuil des 1000 individus ayant rejoint depuis la France les groupes jihadistes en Syrie a été franchi. Environ 600 d'entre eux y sont toujours et on estime à 148 le nombre d'individus ayant trouvé la mort. 250 sont revenus sur notre sol. »
- « Le devoir de vérité, c'est de répéter que la menace n'a jamais été aussi élevée. Le devoir de vérité, c'est de dire que nous devons faire face à une guerre, une guerre contre le terrorisme, contre le jihadisme, contre l'islamisme radical. »
- « L'état d'urgence est un régime transparent et donc contrôlé démocratiquement. »
- « La fin de l'état d'urgence devra être strictement proportionnée à la situation et à la menace. »
- « Les débats auront lieu à partir du 3 février à l'Assemblée nationale, puisque c'est l'Assemblée nationale qui sera saisie d'abord de cette révision constitutionnelle. »
■ La polémique Taubira
Christiane Taubira, impassible au moment de l’annonce officielle, est interpellée dès la première question. Elle ravale son chapeau et n'a d'autres choix de réponse que : « la parole première est celle du président de la République à Versailles devant le Parlement. La parole dernière est celle du président au Conseil des ministres. »
On savait la ministre de la Justice très opposée à cette mesure sur laquelle elle avait émis des réserves sur la déchéance de nationalité, à l'instar d'ailleurs du Premier ministre. Christiane Taubira annonçait encore hier, de l'étranger qui plus est, l'abandon de cette mesure. Ce mercredi matin, elle est publiquement désavouée... C'est un camouflet pour la ministre de la Justice, dont la démission est déjà réclamée par plusieurs membres de l'opposition.
Et pourtant, au bout du compte, c'est elle qui défendra ce texte avec le gouvernement, a déclaré mercredi Manuel Valls. « Chacun a droit à ses doutes, à ses interrogations, à ses questionnements et à ses analyses. Heureusement, nous sommes dans une démocratie », a martelé le Premier ministre devant la presse, défendant ainsi sa ministre. « C'est son rôle au sein du gouvernement comme Garde des Sceaux et nous défendrons ensemble ce texte devant le Parlement ».