Nicolas Sarkozy est de nouveau montré du doigt dans une affaire de contrats signés avec le Kazakhstan. Tracfin soupçonne l’existence de rétro-commissions. Quel est le rôle de cet organisme et d’où viennent les soupçons de commissions versées à des personnes dans l’entourage de de l'ancien président français ?
Tracfin est un service de renseignements financiers, rattaché au ministère des Finances et des Comptes publics. En clair, son rôle est de tenter de débusquer les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Un certain nombre de professions ont des obligations légales à l’égard de Tracfin. C’est le cas des banques, des assurances, des changeurs manuels mais aussi de professions non-financières comme les comptables ou les juristes. Ces obligations légales, c’est concrètement le fait de devoir déclarer à Tracfin tous leurs soupçons concernant des opérations ou des tentatives d’opérations portant sur des sommes pour lesquelles ces professionnels se demandent si elles n’émanent pas d’activités illégales, ou toutes les opérations qui pourraient participer au blanchiment d’argent ou au financement du terrorisme. Mais ces mêmes professions, et notamment les établissements financiers, ont également des déclarations systématiques à faire sur les opérations de transmission de fonds : les virements de compte à compte, les retraits d’espèces. Et ce, dès qu’un seuil est franchi: un seuil assez bas fixé à 1 000 euros par opération et 2 000 euros par mois. Cela ne signifie pas que l'opération est illégale, simplement que Tracfin en aura une trace. Mais quand on évoque un montant de plus de 300 000 euros, ça éveille plus de soupçons qu'un virement de 1 000 euros.
Et les contrats d’armement sont peut-être aussi des contrats commerciaux sur lesquels pèsent plus de doutes que les autres…
La négociation de ces contrats d’armement passe par des intermédiaires, qu’il faut évidemment rémunérer. Ils perçoivent des commissions, mais celles-ci sont parfois supérieures aux commissions fixées et le montant ajouté revient, en fait – de manière détournée – à celui qui les a versées en premier. C’est ce qu’on appelle les rétro-commissions, une pratique illégale souvent synonyme de détournement de fonds publics car l’argent ne revient pas dans les caisses publiques mais sur un compte privé. Il est vrai qu’il existe des soupçons de rétro-commissions sur bon nombre de contrats d’armement. Citons par exemple la vente de frégates à Taïwan en août 1991 ou la vente de frégates à l’Arabie saoudite et de sous-marins au Pakistan en 1994 : deux contrats qui sont aujourd’hui au cœur de l’affaire Karachi sur laquelle la justice enquête.

La Belgique est également évoquée dans cette affaire. En quoi est-elle concernée ?
L’un des hommes au cœur de cette affaire est Patokh Chodiev, un homme d’affaires belgo-kazakh, à la tête du groupe minier kazakh ENRC. Ce proche du président kazakh Noursoultan Nazerbaïev - et deux de ses collaborateurs étaient poursuivis en Belgique, accusés de corruption. Ils risquaient des peines de prison ferme et l’affaire aurait pu mettre le groupe minier dans une position délicate. Ce qui ressort des informations de presse parues la semaine dernière, c’est que l’Elysée serait alors intervenu pour permettre aux trois hommes de quitter la Belgique sans trop de remous. La présidence française aurait désigné une avocate d’affaires pour prendre en charge le dossier : Catherine Degoul. Mais elle serait aussi intervenue auprès d’élus, des sénateurs libéraux belges : une rencontre a eu lieu entre leur chef de file et Jean-François Etienne des Rosaies, le conseiller de Nicolas Sarkozy impliqué dans cette affaire. Ces sénateurs ont fait voter rapidement un amendement permettant de négocier avec la justice dans le cas de délits financiers. C’est ce que feront Patokh Chodiev et ses deux collaborateurs. Moyennant une amende de 23 millions d’euros, ils ont pu quitter la Belgique sans passer par la case prison. Et peu de temps après, cet amendement a été modifié : une chronologie d’événements qui interroge. D’autant que les 300 000 euros suspects trouvés sur le compte d’Etienne des Rosaies auraient été versés par Catherine Degoul, l’avocate des hommes d’affaires kazakhs, qui elle avait touché plusieurs millions d’euros de la part de son client. Cela pourrait étayer l’hypothèse d’un remerciement pour services rendus.
Les juges d’instruction enquêtent depuis le printemps 2012. Pourquoi prend-on connaissance de cette affaire seulement maintenant ?
Une petite précision juridique d’abord. C’est le Parquet de Paris qui a été saisi par Tracfin de cette affaire au printemps 2012. Dans un premier temps, il a ouvert une enquête préliminaire qui, onze mois plus tard, est devenue information judiciaire. C’est à cette étape, quand les soupçons se sont étoffés, que les juges d’instruction ont été saisis. Mais dans le cas d’une affaire politico-financière, la nomination d’un juge d’instruction n’est pas obligatoire : elle relève du choix du Parquet. Evidemment, quand l’affaire implique des personnalités de premier plan – comme un ancien président – elle s’impose.
Reste que la justice française enquête bien depuis deux ans.
Et si l'enquête n'a pas été dévoilée pendant tout ce temps, c'est principalement en raison du secret de l’instruction qui s’applique à toute affaire judiciaire : les magistrats enquêteurs ne communiquent pas sur leurs dossiers. Quand les affaires sortent dans la presse, c’est qu’elles font l’objet de fuites. Elles peuvent être organisées par des avocats qui ont intérêt à porter l’affaire sur la place publique. Dans le cas présent, on voit mal les avocats des personnes mises en causes contacter des journalistes. Ce n’est pas dans leur intérêt d’attirer l’attention sur leurs clients. Après, les fuites peuvent venir de l’appareil judiciaire : tous les acteurs intervenant dans une enquête. Et forcément, plus il y a de personnes impliquées dans une enquête, plus le risque de fuite est grand. Or, dans le cas présent, l’affaire a pris de l’ampleur en septembre. Jean-François Etienne des Rosaies et une ancienne chargée de mission auprès de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, ont été placés en garde à vue le mois dernier. L’avocate des hommes d’affaires kazakhs a, elle, été mise en examen. Cela veut dire audition par la police et documents qui circulent entre les services. L’enquête sort alors du bureau du juge instructeur et cela accroît inévitablement les risques de fuite. Reste qu’on peut aussi légitimement s’interroger sur le calendrier. Il est vrai que cette affaire est révélée quelques semaines après l’annonce du retour de Nicolas Sarkozy en politique et que l’ex-président n’a pas que des amis. Mais des révélations judiciaires concernant Nicolas Sarkozy, il y en a eu aussi du temps de sa « retraite » politique.