Protéger le droit de manifester par la pétition
Ce vendredi 3 décembre, l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International lance sa campagne « 10 jours pour signer ». Les citoyens du monde entier sont invités à montrer leur soutien à dix militants, dont près de la moitié ont été victimes d’atteintes aux droits de l’homme après avoir manifesté. Entretiens avec Cécile Coudriou, présidente d’Amnesty International France, et Imoleayo Michael, militant nigérian et jeune ingénieur en informatique.
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RFI : Que s'est-il s’est passé quand vous êtes allés manifester à Abuja, au Nigeria ?
Imoleayo Michael : J’ai participé à la manifestation contre le SARS [une brigade spéciale de répression des vols, accusée de perpétrer des violences, NDLR] en octobre 2020. Environ deux semaines après, j'étais chez moi lorsque les services de sécurité de l'État sont venus. Ils sont arrivés au milieu de la nuit, ont brisé une fenêtre et m’ont menacé avec une arme à feu. Peu de temps après, j'ai été emmené à leur quartier général, à Abuja, où j'ai été détenu pendant quarante et un jours dans une cellule à même le sol. Pendant ma détention, ils m'ont refusé des appels à ma famille et à mes avocats, personne ne savait où j'étais. J'ai ensuite été poursuivi pour trouble à l'ordre public et conspiration. À l'heure actuelle, je fais toujours l'objet de poursuites.
RFI : Parmi les dix militants mis en avant dans la campagne « 10 jours pour signer », près de la moitié ont subi des atteintes aux droits de l’homme pendant ou après des manifestations, comme Imoleayo Michael. Est-il de plus en plus difficile de manifester dans le monde ?
Cécile Coudriou : La tendance mondiale est au rétrécissement de l’espace de liberté. Les libertés fondamentales sont au centre de cette opération « 10 jours pour signer » ; d’une part, la liberté d’expression et, d'autre part, la liberté de manifestation. Et ce n’est pas un hasard, parce que les défenseurs des droits humains cherchent à occuper un espace civique de manière pacifique pour pouvoir faire entendre leur voix. Inversement, les régimes autoritaires, de plus en plus, cherchent à réprimer cette expression dans la rue, de la manière la plus féroce possible, pour faire peur et pour faire taire toute expression dissidente.
Pour autant, ce que l’on observe aujourd’hui, et notamment chez les générations les plus jeunes, c’est que la peur et les risques qu’ils prennent, n’ont absolument pas disparu, mais que les militants ont un tel sentiment d’injustice que d’une manière complètement viscérale ils préfèrent descendre dans la rue, prendre tous les risques, y compris ceux de l’arrestation et de la répression physique, pour pouvoir se faire entendre.
Il faut avoir dans un coin de la tête que tout peut arriver, déclare Iomleayo Michael
I.M. : Au Nigeria, si on veut aller manifester, on doit savoir qu'il y a beaucoup de risques : des risques que le gouvernement procède à des arrestations, des risques d'être molesté par le gouvernement... Il y a tellement d'attaques, même de la part de personnes qui soutiennent le gouvernement. Il faut avoir dans un coin de la tête que tout peut arriver, il y a tellement de menaces. Mais nous continuons, parce que nous voulons que ce pays soit meilleur.
Personnellement, j'ai peur à chaque fois que je participe à une manifestation. Néanmoins, une chose me fait continuer, car la plus grande tragédie de la vie n'est pas la mort, mais que ce qui vous anime meurt de votre vivant : je veux que ce pays soit meilleur. Alors, que ma vie soit en danger ou non, que j'ai peur ou non, je dois toujours prendre ce risque, je dois parler, je dois continuer à parler.
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RFI : Cécile Coudriou, qu’est-ce qui vous a personnellement marqué dans les témoignages de ces militants ?
C.C. : D’une part, la détermination, le fait qu’ils soient prêts à prendre des risques. D’autre part, ce sont vraiment des militants pacifiques, qui sont convaincus que l’action pacifique peut faire une différence, qui ont ce désir de justice et d’expression. C’est universel. Panusaya Rung, en Thaïlande, n’en pouvait plus des fausses excuses de crime de lèse-majesté pour restreindre les critiques envers les autorités, elle décide de braver cet interdit, et elle risque la prison à perpétuité pour avoir remis en cause l’autorité du roi.
Il y a aussi une forme d’ironie : ces personnes, qui défendent les droits humains, se retrouvent à être victimes de ces violations au moment où elles cherchent à les dénoncer. Wendy Galarza, au Mexique, est une femme qui voulait manifester contre les violences faites aux femmes. Pendant la manifestation, elle a reçu des balles réelles, tirées par la police, avec deux impacts dans la jambe.
RFI : Qu'est-ce qu'une mobilisation mondiale, telle que « 10 jours pour signer » peut changer ?
C.C. : Le droit de manifester est une liberté fondamentale comme le droit d’expression, dont découlent les autres droits. Chez les défenseurs du droit à un environnement sain, lorsqu’ils sont assez courageux pour s’en prendre à des autorités mais aussi à des multinationales qui ont des pratiques terribles pour l’environnement, descendre dans la rue, s’organiser, se faire entendre sont les dernières choses qu’ils leur restent. C’est l’objectif de l’opération « 10 jours pour signer » : rendre hommage au courage de ces personnes qui, malgré les risques, défendent les droits humains dans leur propre pays.
La communauté internationale et tous les citoyens et citoyennes qui la composent peuvent faire la différence en montrant leur soutien à ces personnes courageuses, en montrant leur indignation aux autorités, en faisant appel au droit international pour les rappeler à leurs engagements, à travers une pétition, à travers les réseaux sociaux, à travers des courriers de plaidoyers, pour faire savoir que nous sommes au courant de ce qu’il se passe, que nous sommes au courant de ces violations.
Ils savent que le monde entier surveille mon cas en ce moment, insiste Iomleayo Michael
I.M. : « 10 jours pour signer » est une grande force pour des cas comme le mien. Le gouvernement du Nigeria n'écoute pas ses citoyens, il n'écoute pas notre peuple... jusqu'à ce qu'il y ait une intervention mondiale. Un programme comme « 10 jours pour signer » fait que le gouvernement ne pourra rien faire, parce que le monde entier le regarde. Ils savent que le monde entier surveille mon cas en ce moment. C'est une sorte de sécurité pour moi, car le monde fait savoir au gouvernement qu'il y a des gens qui les regardent, ils ne peuvent rien faire contre moi.
► Pour soutenir la campagne « 10 jours pour signer », suivez ce lien.
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