Rafles contre des Tigréens en Éthiopie: la dernière vague a un côté «systématique»
Rafles systématiques, assassinats, déplacements forcés, disparitions, détentions arbitraires : Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent une nouvelle vague d'exactions et de violences ethniques contre les populations civiles dans le Tigré occidental. Jean-Baptiste Gallopin est consultant auprès de l'unité de réponse aux crises d'Amnesty, et l'un des auteurs de cette enquête. Entretien.
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RFI : En quoi consiste cette nouvelle vague de violences ethniques contre les Tigréens que vous avez documentée ?
Jean-Baptiste Gallopin : Début novembre, des miliciens de la région Amhara, (alliés aux forces armées éthiopiennes, NDLR), connus notamment sous le nom de Fano, ont mené des rafles dans les villes d'Adebai, Humera et Rawyan, dans le Tigré occidental, dans le but d'arrêter et de détenir tous les hommes qu'ils pouvaient trouver. Plus tard dans le mois de novembre, ces forces amharas ont mené de nouvelles rafles pour arrêter cette fois les femmes, les enfants et les personnes âgées qui continuaient à vivre dans ces villes. Ils les ont mis dans des camions pour les envoyer vers l'est, vers la rivière Tekezé, qui marque la frontière entre les zones contrôlées par les forces amharas et les zones contrôlées par les forces tigréennes.
Pouvez-vous nous décrire la façon dont ont été menées ces rafles ?
À Adebai par exemple, les milices amharas sont arrivées dans des véhicules et ont demandé aux hommes de se rassembler dans l'église, prétextant une réunion, car c’était un jour de fête religieuse. Puis ils ont commencé à arrêter les hommes présents dans cette église. Ils ont aussi attaqué ceux qui tentaient de s'enfuir. Plusieurs témoins nous ont parlé de membres de leurs familles tués alors qu'ils fuyaient en panique. Un témoin se souvient d'avoir vu des corps partout dans la ville.
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Plusieurs nous ont rapporté aussi que les victimes n'ont pas pu être enterrées et se souviennent de l'odeur de mort qui a régné dans la ville les jours suivants. En ce qui concerne les rafles qui ont visé les femmes, les enfants, les personnes âgées et les personnes malades, des membres de leur famille nous ont indiqué qu'ils avaient été forcés de brûler leurs biens et leurs effets personnels avant d'être chargés dans des camions sans nourriture. Depuis qu'ils ont été expulsés de ces camions, leurs familles ont perdu le contact avec eux.
Sait-on combien de personnes ont ainsi été déplacées de force ?
L'ONU fait état de 10 000 personnes arrivées ces dernières semaines à l'est de la rivière Tekezé, mais on ne sait pas si cela représente la totalité des personnes qui ont été mises dans ces camions. Et les membres de ces familles avec qui on a parlé sont aujourd'hui sans nouvelles de leurs proches.
Que deviennent les hommes raflés récemment ?
C'est l'une de nos principales sources d'inquiétude. Ils ont été placés dans des centres de détention souvent improvisés, et dans des conditions épouvantables. J'ai pu interviewer des personnes qui s'en sont échappées mi-novembre. Elles racontent qu'ils étaient entre 80 et 200 personnes par pièce de 12 ou 16 m2 et que les morts y sont fréquentes. L'un d'eux m'a dit que dans sa cellule, sept personnes étaient mortes durant les trois mois de sa détention en raison des mauvais traitements, de la torture et aussi du manque de nourriture et de soins. Cet ancien prisonnier qui s'est échappé alors même qu'on lui demandait de charger les corps d'autres détenus sur un camion m'a indiqué qu'il estimait qu'environ 30 personnes étaient mortes durant son séjour dans la prison où il était. Nous sommes inquiets pour le sort de ces prisonniers, car ils survivaient jusqu'à présent grâce à la nourriture apportée par leurs familles, qui aujourd'hui ont été expulsées de la région. On craint qu'ils ne meurent de faim.
Ces rafles ne sont pas les premières. Mais sont-elles différentes de ce qui avait été documenté jusqu'à présent ?
Il est important de rappeler en effet qu'il ne s'agit pas des premières rafles, mais d'une vague d'atrocités dans une région qui a été le théâtre des atrocités parmi les pires de ce conflit. Nous avons documenté des cas de détention – probablement de milliers de Tigréens – dans différents centres de détention depuis un an. Mais ce qui distingue cette dernière vague, c'est le côté systématique. L'effort qui est fait pour arrêter et détenir tout le monde, en fait, c'est vraiment une montée en puissance par rapport à ce que l'on a pu observer auparavant. Ces évènements représentent des crimes de guerre et contre l'humanité, et sans une action urgente de la communauté internationale, les Tigréens qui restent à présent font face à des risques très graves.
Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU se réunit ce vendredi à Genève en urgence pour évoquer justement les crimes commis par tous les belligérants en Éthiopie. Qu'en attendez-vous ?
On considère que ces dernières rafles devraient vraiment sonner l'alarme sur la situation des Tigréens au Tigré occidental, et de manière plus générale sur l'immobilisme de la communauté internationale dans ce conflit, qui a permis aux auteurs de ces crimes de continuer. On appelle aujourd'hui à la mise en place en urgence d'un mécanisme international d'enquête sur les violations des droits de l'homme commises au Tigré depuis le début du conflit, sous l'égide du Conseil des droits de l'homme de l'ONU.
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Ce mécanisme international pourrait notamment permettre de préserver les preuves de ces crimes, face à des efforts qui sont déployés pour cacher l'ampleur des atrocités en cours. Ce mécanisme international permettrait également d'identifier les coupables de ces atrocités. On appelle également le Conseil de sécurité des Nations unies à mettre le conflit en Éthiopie sur son ordre du jour officiel, puisqu'il ne l'a toujours pas fait depuis le début du conflit, malgré la gravité des violations des droits de l'homme qui ont été commises en Éthiopie.
URGENT: Amhara militias carrying out a wave of killings, detentions and mass expulsions in Western #Tigray. “They were shooting at anyone who was behind. [My uncle] wasn’t even running … they still shot him,” recalled a survivor. https://t.co/Io0TtS1FAc
— joanne mariner (@jgmariner) December 16, 2021
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