Un réveillon de Noël loin du pays pour les Subsahariens de Tunis

Pour beaucoup, les fêtes de Noël se sont déroulées loin du pays et de la famille. C'était le cas des catholiques subsahariens de Tunis. Malgré la distance, ils ont célébré la Nativité et tenté de conjurer ensemble le mal du pays natal.

Ambiance de Noël à la cathédrale de Tunis.
Ambiance de Noël à la cathédrale de Tunis. © Cathédrale de Tunis
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De notre correspondante à Tunis,

Déhanché tropical et regard rieur, Romaric N’Guessan Kouadio - en habits de Père Noël - met le feu à la piste de danse en ce soir de réveillon. Dans une de ces banlieues de Tunis faite de routes et de visages cabossés, ce jeune ivoirien qui multiplie les petits boulots a décidé de semer un peu de joie dans le cœur de ses frères ouest-africains aujourd’hui. « Il y a pas mal de subsahariens dans le quartier de l’Ariana. Je dirais que 60% de la communauté vit dans ce quartier. Il y a des étudiants, des réfugiés politiques, des migrants qui veulent tenter la traversée vers l’Europe. Les profils sont variés. »

Avec l’aide d’un de ses complices compatriotes - à la tête d’un restaurant africain - Romaric a préparé de quoi rassasier une quinzaine de ventres et autant de cœurs exilés. Pour accueillir ses compères, on a poussé les murs du salon de coiffure voisin. Entre les pots de défrisage et les rangées de tresses et autres rajouts, quelques poignées d'Ivoiriens, Guinéens et Camerounais dégustent le festin qui leur est gracieusement offert ce soir-là pendant que les plus exubérants d’entre eux les régalent d’un coupé décalé tout aussi enflammé que leurs assiettes.

« Je n’envie pas ceux qui sont en Europe »

C’est dans ce quartier aux immeubles et espoirs en chantiers éternels que Romaric, le bon samaritain qui préfère taire son âge, a décidé de poser ses valises. Alors que ses congénères rêvent encore massivement d’Europe, lui a décidé de rester en Tunisie : « Je n’envie pas ceux qui sont en Europe. Aujourd’hui en Tunisie, c’est rare de voir des gens dormir dehors. En Europe, il est interdit de vivre à six ou sept dans un appartement donc il y a des gens qui se retrouvent à la rue. En Tunisie, ce n’est pas le cas. On peut prendre une maison à 500 dinars (environ 150 euros) et la louer à cinq. En Europe, ce n’est pas le cas. »

Cette fête représente un moment de répit dans une vie aux allures de combat perpétuel. Sans papiers pour la plupart, ces ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest se chargent des tâches les plus ingrates et mal payées. Celles que les Tunisiens - dont le pays traverse pourtant une crise économique raide - répugnent de plus en plus à exécuter. Nounous, femmes de ménage, ouvriers du bâtiment, téléopérateurs, les métiers sont interchangeables mais l’angoisse, elle, reste constante. Faute de documents en règles, ces ressortissants de pays d’Afrique de l’ouest doivent s’acquitter de pénalités journalières qui grèvent un peu plus leur délicat équilibre financier. A raison de vingt dinars par semaine, Barikatou, une ivoirienne qui vit en Tunisie depuis trois ans, n’ose même plus actualiser le montant de sa dette vis à vis des autorités tunisiennes. Au vu de ce contexte, pas étonnant que tous rêvent de régularisation en ce soir de miracles.

En sécurité…

Le réconfort dans ce quotidien semé d'embûches, certains le trouvent dans la prière. En cette nuit sainte, la magnétique Cathédrale de Tunis, pièce maîtresse de l’Avenue Bourguiba, a aimanté des foules de fidèles venues redonner vie aux bancs défraîchis de son élégante nef. On se croirait aisément dans une capitale d’Afrique noire tant le nombre de ressortissants subsahariens est frappant ce soir-là. Désormais majoritaires au sein de la population chrétienne de Tunisie, les ouest-africains impriment leur marque sur le culte. En cette veillée hautement protocolaire, la communauté a su en assouplir le rigorisme pour faire entrer au répertoire du soir deux chants venus de Côte d’Ivoire. À la tête de la chorale de Notre Dame de Carthage, Boris Nkengue - au sourire ravageur qui frôle l’illumination - fait part de sa satisfaction de voir le rite évoluer : « Chez les occidentaux, la messe est un peu mourante. Disons liturgique. Avec notre présence, on apporte des chants dansants. On tente de raviver cette cathédrale, faire en sorte que les gens aient envie de danser quand on chante. »

Francine Abouet, une de ses amies choristes acquiesce du regard. Elle qui vit en Tunisie depuis un an et demi s’amuse de voir leurs décibels attirer la curiosité des agents du ministère de l’Intérieur dépêchés en nombre ce soir-là. Alors que la cathédrale de Tunis était placée sous haute protection, les amis, tous deux camerounais, ont tenu à assurer qu’ils se sont toujours sentis en sécurité en tant que chrétiens dans leur pays d’accueil.

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