Cinéma

Festival de San Sebastian: «Noche de fuego» de Tatiana Huezo, danger pour les filles en pays narco

Noche de fuego est un film mexicano-salvadorien de Tatiana Huenzo, présenté dans la section Horizontes latinos de cette 69e édition du Festival international du film de San Sebastian.
Noche de fuego est un film mexicano-salvadorien de Tatiana Huenzo, présenté dans la section Horizontes latinos de cette 69e édition du Festival international du film de San Sebastian. © SSIF

Rares sont les réalisateurs ou artistes latino-américains qui ont pu faire le voyage à San Sebastian pour accompagner leurs films. Tatiana Huezo se souviendra sans doute de l'accueil très chaleureux que lui a réservé le public lors de la projection plénière de son film. Comme à Cannes, les applaudissements ont retenti sur toute la durée du générique de ce film qui raconte, à travers le regard d'une petite fille, la vie des habitants du Guerrero, pris au piège entre les narcos et l'armée.

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De notre envoyée spéciale à San Sebastian,

Les premières images du film mettent en immersion le spectateur. Une jeune femme et sa petite fille creusent à mains nues une fosse... La petite fille s'y installe, elle est à sa taille... Nous sommes dans le nord du Mexique, une région montagneuse où il faut aller chercher haut sur les sommets du réseau pour entrer en communication avec la famille - les hommes en l'occurrence - partie chercher sinon fortune du moins du travail aux États-Unis. Dans ce village de petits paysans vivent surtout des femmes, des enfants et des vieux. L'un des rares hommes visibles est l'instituteur, un métier à risque, quand on refuse de payer sa dîme aux narcos qui font la loi dans la région. Sur ces collines, des champs de pavot dans lesquels femmes et enfants récoltent la précieuse résine. Travailler pour les narcos est une protection : on ne tue pas la main d'œuvre.

Premier long métrage de fiction d'un documentariste confirmée

Présenté dans la section Horizontes latinos, ce film est le premier long métrage de fiction de Tatiana Huezo, née au Salvador, mais vivant au Mexique, et déjà réalisatrice de documentaires remarqués et primés. Récompensé à Cannes où il était sélectionné dans « Un certain regard » et adapté du roman Ladydi de Jennifer Clement, écrivaine américaine vivant au Mexique, Noche de fuego rejoint dans ses questionnements les autres œuvres de Tatiana Huezo notamment Tempestad (2016) -sélectionné aux Oscar et Goya- qui raconte l'histoire de deux femmes en marche : l'une sort de prison après une peine injuste et l'autre cherche depuis dix ans sa petite fille qui a été enlevée.

La féminité niée

Dans ce dernier film, la vie du village, nous la voyons à travers les yeux d'Ana, une petite fille d'environ neuf ans qui devient au fil de la fiction une jeune adolescente. Ana et ses deux copines Maria et Paula, inséparables. Des petites filles qui vivent leur vie d'enfant aux multiples jeux, sans toujours comprendre ce qui se passe autour d'elles mais qui savent une chose : il y a des moments où elles doivent se cacher. « Tu sais pourquoi je te cache ? Tu sais ce qu'ils font aux petites filles ? », demande, furieuse, la mère -excellente Mayra Batalla- à la gamine qui parfois se rebelle. La négation de leur féminité passe par les cheveux, coupés courts -émouvante scène de scalp collectif chez la coiffeuse/salon de beauté, lieu pourtant d'exaltation de la féminité-, leurs vêtements unisexes, la consternation de la mère lorsque qu'Ana a ses premières règles ou encore la difficulté de la petite à raconter son corps. Les cheveux de la petite copine Maria seront aussi coupés dès qu'elle deviendra désirable, après avoir été opérée d'une petite infirmité. Un propos qui fait écho à un autre film vu à San Sebastian il y a quelques années, Comprame un revolver de Julio Hernández Cordón, où le personnage de la petite fille est toujours masqué. Un jeu, selon son père. Un jeu sinistre.

Violence hors champ, hors des regards des enfants

La violence est présente, mais hors champ. Une famille disparue et leurs animaux qui divaguent, des tirs de mitraillettes près de l'école, des soldats qui passent et qu'il ne faut regarder dans les yeux, un corps dans les fourrés - que l'on ne voit pas parce que la mère aveugle les yeux de la petite de sa torche. Un parti pris de la réalisatrice pour qui les médias mexicains sont tellement saturés d'images terribles que les gens n'y prêtent plus l'attention qu'ils devraient. Il s'est créé comme une forme d'immunisation collective, un refus de voir. Là, on ne voit pas parce que la petite est protégée par sa mère.

Leurs relations sont particulièrement réussies entre tendresse et tension. Aux moments de drame succèdent des respirations comme les scènes où la mère entraîne la petite fille à écouter et identifier les bruits de la nature. La transmission d'un savoir, mais aussi une autodéfense. La nature est omniprésente et pacificatrice : dans les jeux des petites filles, dans le vert des pâturages, dans la pluie purificatrice. Tatiana Huezo dit avoir cherché longtemps le lieu idoine pour le tournage et cela donne au final une bande-son particulièrement riche. Il lui fallait une harmonie - c'est la documentariste qui parle - entre les personnages et le cadre d'où le soin particulier apporté au choix des acteurs : quelque 800 petites filles ont été auditionnées, dans tout le pays. Il fallait que les petites soient en phase avec la nature.  

Il faut saluer aussi au passage le travail du monteur, l'Argentin Miguel Schverdfinger que l'on a déjà croisé sur des films comme Zama de l'Argentine Lucrecia Martel ou Les oiseaux de passage des Colombiens Cristina Gallego et Ciro Guerra. Un passage à la fiction réussi donc pour Tatiana Huezo, plus habituée en tant que documentariste à travailler léger et avec une toute petite équipe, mais qui est heureuse de cette première expérience : le cinéma c'est toujours une histoire à raconter quelle qu'en soit la forme, une émotion à partager et le Mexique avec sa parfois douloureuse actualité n'en manque pas. Lorsque la violence ne pourra plus être cachée aux yeux des enfants, il faudra alors peut-être partir.

69e édition du Festival international du film de San Sebastian : la réalisatrice salvadorienne Tatiana Huezo, en lice pour le prix Horizontes latinos avec son film Noche de fuego.
69e édition du Festival international du film de San Sebastian : la réalisatrice salvadorienne Tatiana Huezo, en lice pour le prix Horizontes latinos avec son film Noche de fuego. AFP - ANDER GILLENEA

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