Le cri d’alarme des Yanomami du Brésil sur la dégradation de leurs terres
Alors que la COP26 achève sa première semaine avec de nombreuses promesses et engagements de chefs d’État et de gouvernement du monde entier, les populations autochtones du Brésil lancent un cri d’alarme sur la situation qui continue de se dégrader dans leurs territoires. Le chef amérindien Yanomami Davi Kopenawa et son fils Dário dénoncent les invasions de leurs terres par les chercheurs d’or.
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Entretien avec Davi Kopenawa, chef Yanomami et chaman, président de l’association Hutukara Yanomami, et avec son fils Dário Kopenawa, vice-président de l’association. Le peuple yanomami (environ 30 000 personnes) vit au nord du Brésil, sur un territoire protégé et délimité, en pleine forêt amazonienne mais il subit de plein fouet des incursions de chercheurs d’or et des coupeurs de bois, qui se sont accélérées après 3 années de gouvernement du président Jair Bolsonaro. Ils sont venus à Paris, grâce à une visite organisée par Survival International.
RFI : Davi Kopenawa, vous êtes chaman et chef yanomami, pourquoi êtes-vous en France cette semaine ?
Davi Kopenawa : Je suis Davi Kopenawa, Yanomami. Je suis un fils de l’Amazonie, et je suis ici en France pour parler des invasions que nous subissons sur les terres Yanomami. Nous avons demandé au président brésilien qu’il fasse retirer les chercheurs d’or des terres Yanomami, mais jusqu’à présent rien n’a été fait.
Ces chercheurs d’or sont de plus en plus nombreux sur vos terres yanomami ?
Davi Kopenawa : Ces chercheurs d’or sont plus de 20 000 sur nos terres. Ils sont arrivés avec des petites machines et ils détruisent les berges de nos rivières. Ils ont creusé des énormes trous dans la forêt et sous les rivières qui sont détruites, polluées, très sales, il n’y a plus de poissons. Ils contaminent nos rivières. Ma famille et mon peuple vivent sur les berges de ces rivières, donc c’est de plus en plus difficile pour avoir de l’eau potable, pour cultiver, pour se laver, tout est très sale.
Dário Kopenawa, vous êtes le vice-président de l’association Hutukara Yanomami que préside votre père, vous dénoncez auprès des autorités cette situation et les violences que vous subissez mais sans résultat ?
Dário Kopenawa : Pour moi, c’est la justice qui doit faire payer ces orpailleurs. Nous demandons des enquêtes contre ces chercheurs d’or illégaux, il faut qu’ils aillent en prison, ils doivent répondre devant la justice. Nous venons ici en France pour dénoncer ce qui se passe au Brésil, la violence, la déforestation de l’Amazonie, l’extraction illégale d’or, l’exportation illégale de bois, et toutes les menaces directes sur les peuples autochtones du Brésil.
Nous avons communiqué auprès de la presse pour attirer l’attention du gouvernement, pour qu’il soit plus attentif à ce qui est en train de se passer, car nous avons aussi des proches qui vivent de façon isolée qui ont été assassinés récemment par armes à feu, par des chercheurs d’or. Donc on demande d’urgence que les autorités se rendent sur place et chassent tous les chercheurs d’or. Notre association Hutukara a publié une note, et nous sommes ici pour dénoncer au niveau international ce qui se déroule sur nos territoires yanomami.
Depuis l’arrivée de Jaïr Bolsonaro il y a 3 ans à la présidence du Brésil, la situation s’est-t-elle beaucoup dégradée sur vos terres yanomami ?
Dário Kopenawa : La terre yanomami a subi la destruction de 500 hectares en trois ans à cause des sites d’orpaillage illégaux. Depuis 2018, ces orpailleurs sont entrés sur notre territoire avec l’appui politique du président Bolsonaro et des nouvelles lois discutées au Congrès censées légaliser ces activités d’extraction. Ces invasions de nos terres se sont accélérées depuis son arrivée. Maintenant notre territoire est totalement détruit, la terre est contaminée au mercure, il y a des menaces de mort, des milices armées, c’est un génocide qui est en train de se produire.
On dénonce aussi les accords des gouvernements des pays occidentaux sur le prix de l’or, des minerais, l’achat d’or et de bois qui injecte de l’argent au Brésil alors que nos terres sont détruites à cause de ces prédations. C’est pour cela que nous sommes venus en France et que nous avons aussi rencontré des parlementaires français.
Au niveau international se déroule en ce moment la COP 26 à Glasgow, que pensez-vous de cette réunion mondiale ?
Dário Kopenawa : Toutes ces discussions internationales avec ces COP, ça fait presque 30 ans que ça dure et moi, Dário, je n’ai vu aucun résultat, sur rien ! Ce sont des discussions qui partent dans tous les sens : il y a des accords, plein de documents, etc... Mais pour moi, tous ces accords ne résolvent rien du tout. Cette semaine, une délégation de près de 30 personnes du gouvernement brésilien est venue en Europe au G20, ils ont même annoncé des réductions de 40 ou 50% des gaz à effet de serre d'ici à 2030, mais c'est juste un mensonge, c'est un bout de papier ! Selon nous, les Yanomami, ils ne vont rien résoudre, au contraire : ils vont couper encore plus la forêt et d’ici à 2030, ils auront rasé toute l’Amazonie, voilà ce qui va se passer!
Davi Kopenawa : On a ce réchauffement climatique, la pollution, à cause des incendies de la forêt, de la destruction de la terre, la destruction à cause des chercheurs d’or, qui se battent pour trouver des minéraux, et tout ça part dans des usines. Cette pollution a augmenté et elle a attaqué notre Terre nourricière. Je ne peux pas croire que les gouvernements du monde vont guérir le changement climatique. La pollution a déjà fait ses effets, il est trop tard. Ils peuvent continuer à faire leurs réunions, et continuer à polluer toujours plus, mais je ne peux pas croire qu’ils résoudront quoi que ce soit.
Davi Kopenawa, comment se fait la transmission du savoir et de la lutte de père en fils ? Comment avez-vous donné à votre fils les clés pour poursuivre votre combat ?
Davi Kopenawa : J’ai commencé à lutter contre les envahisseurs des terres Yanomami en 1986. J’étais seul. Le seul Yanomami. Ça a été très difficile de se battre contre ces envahisseurs. Les Blancs étaient nombreux, ils étaient 40 000. C’était très difficile mais j’ai continué à lutter pendant quatre ans. Et on a réussi à chasser ces chercheurs d’or illégaux de nos terres. Ils nous avaient volé des terres et ils ont dû nous les rendre. On a réussi à conserver les grandes terres pour que les Yanomami puissent continuer à vivre. Ça a duré des années ce combat.
Mon fils ainé était tout petit. Il restait dans la communauté Watori, sa maman s’en occupait. Il a grandi et il s’est préparé. Il a appris à parler le portugais, il a appris les mathématiques, à utiliser un ordinateur, à écrire des documents… et on a pu créer une association qui s’appelle Hutukara Association Yanomami.
Mon fils est rentré dans l’association, il est devenu plus fort, car on l’a aidé. Mais une association, ça ne fait pas partie de la culture yanomami, c’est une chose des Blancs. Mais on l’a utilisée pour se battre pour notre peuple yanomami contre les politiques néfastes qui sont mises en place. Maintenant mon fils est avec moi, son père, il élabore des documents pour dénoncer les invasions de chercheurs d’or, les menaces contre notre peuple, contre la forêt, les rivières.
Et vous Dário Kopenawa, comment avez-vous vécu votre enfance, avec votre père très engagé dans ces combats pour préserver vos territoires ?
Dário Kopenawa : Moi je suis né en pleine invasion de 40 000 chercheur d’or dans les années 80. C’est surtout ma mère qui m’a guidée et qui s’est occupée de moi, car mon père était souvent absent, il se déplaçait beaucoup, pour le processus de démarcation des terres yanomami. Il voyageait aussi en Europe, donc c’est ma mère qui m’a beaucoup conseillée. J’ai beaucoup appris, puis j’ai étudié, sur ma communauté, la langue yanomami, j’ai aussi appris la langue portugaise pour pouvoir dialoguer avec les autres. Mais tout cela a aussi été un enseignement de mon père. Car je ne suis pas né dans un environnement où tout était beau et sans souci… Je suis né au milieu des problèmes. Donc j’ai bien connu ces situations d’invasions de chercheurs d’or illégaux et plus tard j’ai commencé à voyager pour voir ce qu’était la société « non indigène ».
Je suis resté longtemps à Sao Paolo, loin de ma mère, j’ai étudié à la faculté et j’ai appris ce qu’étaient mes droits : comment fonctionne le droit de se défendre dans la lutte. J’ai étudié le droit brésilien, pour pouvoir parler et lutter pour mon peuple en utilisant ces instruments juridiques. Ça a été très important pour moi d’apprendre comment ça fonctionne, pour pouvoir utiliser ces arguments auprès des autorités brésiliennes afin qu’elles comprennent que je m’exprime à travers la lutte.
Vous avez su préserver la culture et la langue que vous enseignez d’ailleurs dans votre communauté ?
Dário Kopenawa : La culture ne meurt pas : je parle ma langue yanomami, je vis dans mon village, je parle avec les chefs, je chasse là-bas, je vis là-bas et dans le monde des Blancs, je travaille comme directeur de Hutukara. C’est là que j’élabore ces documents juridiques, pour dénoncer les situations de violence, nous rédigeons des plaintes pour les transmettre aux autorités brésiliennes. J’utilise tous les éléments de la défense des droits des peuples yanomami. C’est très important.
C’est important aussi de maîtriser les nouvelles technologies, les instruments comme les téléphones portables. Ça nous aide à montrer la réalité des peuples autochtones, leurs souffrances, les menaces qui pèsent sur eux. Car le gouvernement ne dit rien. Sur les énormes trous causés par les chercheurs d’or, il ne dit rien. Mais nous en tant que peuple autochtone, on prend des photos, on connait le système maintenant et on l’utilise pour que le monde entier sache ce qui se passe.
Davi Kopenawa, vous-mêmes vous battez depuis 1986 contre les invasions de chercheurs d’or sur vos terres, c’est une lutte qui ne s’arrête donc jamais ?
Davi Kopenawa : Je ne vais pas laisser mon peuple souffrir. Je continuerai la lutte jusqu’à la fin. C’est ma mission, pour mon peuple, de protéger la forêt et les rivières qui passent sur la terre yanomami.
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