Reportage

La «petite Haïti» à Tijuana: la fin du voyage pour les émigrés haïtiens?

Ils fuient leur pays en crise depuis plusieurs années. À chaque nouvelle vague migratoire, des milliers d'Haïtiens quittent leur île en quête d’un refuge. Depuis quelques mois, nombre d’entre eux ont traversé l’Amérique centrale dans des conditions terribles pour arriver au Mexique jusqu’à la frontière américaine. Face aux difficultés pour rejoindre les États-Unis actuellement, certains préfèrent rester au Mexique faisant de Tijuana, une «petite Haïti».

Ce restaurant haïtien dans le centre de Tijuana existe depuis six ans. C’est une institution pour les migrants haïtiens qui s’y retrouvent pour savourer des recettes traditionnelles de l’île.
Ce restaurant haïtien dans le centre de Tijuana existe depuis six ans. C’est une institution pour les migrants haïtiens qui s’y retrouvent pour savourer des recettes traditionnelles de l’île. © RFI/Quentin Duval
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De notre envoyée spéciale à Tijuana,

Dans un petit restaurant haïtien du centre de Tijuana, Michaela cuisine des recettes traditionnelles de son île natale à base de riz, haricots ou de chayottes.

À l’heure du déjeuner, l’endroit est plein de clients mexicains, mais aussi beaucoup d’Haïtiens. « Je suis fière, les Haïtiens aiment beaucoup la nourriture de notre pays », raconte la cuisinière. Dans la salle, Mytherson Talleyrand est venu manger avec des amis et profiter du réconfort de retrouver des compatriotes. « Ce lieu est une ''petite Haïti'' au Mexique. Nous nous retrouvons dans la joie pour manger ensemble. Nous retrouvons les mêmes boissons, la même nourriture. nous sommes en train de manger la culture haïtienne. »

Mytherson Talleyrand est arrivé au Mexique il y a seulement deux mois. Après un passage à Mexico, la capitale, il a rejoint Tijuana dans l’espoir d’aller aux États-Unis. Auparavant, il a vécu au Chili pendant quatre ans. Son pays lui manque. « C’est ma terre natale, ma patrie, l’héritage laissé par mes ancêtres… Sincèrement, si nous avions la possibilité financière, la sécurité en Haïti, tout ce qu’une personne a besoin pour vivre sa vie normalement, nous ne nous rendrions pas dans un pays étranger pour émigrer. »

Moins de préjugés, moins de racisme

Environ 4 000 Haïtiens vivent à Tijuana. Leur migration est fluctuante : beaucoup, comme Jean-Louis Evins, sont arrivés il y a plusieurs années. Cet Haïtien qui considère aujourd’hui le Mexique comme son propre pays raconte qu’une grande partie de l’ancienne communauté a quitté la Basse Californie pour rejoindre les États-Unis ces derniers mois. Il constate néanmoins qu’une nouvelle vague de migrants haïtiens est arrivée, remontant d’Amérique latine. « Beaucoup d’Haïtiens quittent actuellement le Chili et le Brésil. Ce sont ceux que l’on reçoit en ce moment à Tijuana. La ville leur convient bien. Il y a moins de préjugés, moins de racisme qu’en Amérique du Sud. Ici c’est un peu plus calme. Et il y a aussi le rêve américain de passer aux États-Unis ! »

Jean Louis Evins travaille dans un centre médical d’urgence qui offre des soins gratuits aux migrants et aux plus démunis. Face au grand nombre d'Haïtiens, son travail consiste à traduire mais aussi à apporter tout le soutien dont il dispose. « J’essaye d’aider. Si je vois qu’ils n’ont pas d’endroit pour dormir, j’appelle pour leur trouver un hôtel. Si je vois qu’ils n’ont pas de vêtements, je cherche quelqu’un qui va leur apporter des vêtements… Parce que les Haïtiens pour venir passent par sept pays. Et ils arrivent ici sans vêtement, sans chaussures, sans médicaments. »

Obtenir des papiers et trouver un travail

Ce chemin a été celui de Christian qui attend devant le centre pour voir un médecin à cause de son mal de dos. Il est arrivé à Tijuana il y a deux ans après un long voyage qui le traumatise encore : « Depuis le Brésil, le chemin était extrêmement difficile. Le plus dur était le passage dans la forêt entre le Panama et le Costa Rica. » 

La population haïtienne demeure très vulnérable sur les routes migratoires et à Tijuana. Mylena Octave est arrivée il y a quelques mois, elle aussi depuis le Brésil. Cela fait quatre ans qu’elle n’a pas vu son mari et sa fille, restés en Haïti. Elle a vécu des moments très difficiles, et en tant que femme au Mexique, elle avoue à demi-mot que chaque jour est une épreuve : « C’est vraiment dur, mais on est obligé. Je ne peux pas… je ne veux pas t’en parler ! »

Pour gagner un peu d’argent, Mylena vend des pâtés haïtiens dans la rue. Il y a quelques jours, elle a rencontré Jeanne-Rose Noël qui venait d’arriver à Tijuana. « Elle est venue me parler parce qu’elle ne trouvait aucune chambre pour se loger, raconte Mylena Octave. Moi je vivais seule dans mon appartement, alors elle m’a demandé de la prendre à mes côtés. J’ai accepté puisque nous sommes Haïtiennes. Nous sommes une famille maintenant. »

Dès lors, les deux femmes s’entraident au quotidien dans leurs difficultés et ne se quittent plus. Aujourd’hui, leur priorité pour chacune est d’obtenir des papiers afin de trouver un travail et d'envoyer de l’argent à leurs proches toujours en Haïti. « On veut retrouver notre famille », dit Jeanne-Rose Noël qui a laissé ses trois filles. Ni l’une ni l’autre ne sait si elle va rester à Tijuana, mais une chose est sûre : elles ne conçoivent pas de retourner un jour sur leur île d’origine. Encore sur la route, leur rêve est pourtant simple, explique Mylena Octave : « C’est de continuer à lutter, à travailler pour être un jour un peu plus heureuse. En fin de compte, c’est pour ça qu’on a laissé notre demeure ».

À Tijuana, un centre de santé offre des soins gratuits aux plus démunis. Ces dernières semaines, il accueille principalement des haïtiens qui arrivent au Mexique après un long voyage difficile.
À Tijuana, un centre de santé offre des soins gratuits aux plus démunis. Ces dernières semaines, il accueille principalement des haïtiens qui arrivent au Mexique après un long voyage difficile. © RFI/Quentin Duval

 

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