Etats-Unis / Droits civiques

James Meredith celui qui a fait plier le Mississippi ségrégationniste

James H. Meredith au lendemain des émeutes qui ont suivi son entrée à l'université du Mississippi, le 1er octobre 1962.
James H. Meredith au lendemain des émeutes qui ont suivi son entrée à l'université du Mississippi, le 1er octobre 1962. Photo Art Shay//Time Life Pictures/Getty Images

Jusque-là, jamais un Noir n’avait franchi la longue allée ombragée qui mène à l’université du Mississippi, à moins d’être jardinier ou employé au nettoyage de la célèbre institution. Mais le 30 septembre 1962, James Meredith passe l’infranchissable frontière et devient après une bataille qui mobilisera la justice fédérale et jusqu’à l’armée, le premier étudiant noir d’Ole Miss, le surnom donné l’université ségrégationniste du Mississippi.

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Le jour où James Meredith a grimpé les quelques marches du porche de la vénérable université d’État du Mississippi, la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis venait de faire un grand bond en avant. Ce jeune vétéran de l’armée de l’air américaine, né à Kosciusko dans le Mississippi en 1933, a toujours dit n’avoir découvert le racisme à l’égard des Noirs qu’à l’âge de 15 ans. Jusque-là, il vivait protégé du racisme anti-Noir du Mississippi, dans la ferme de ses parents au milieu de ses neuf frères et sœurs. 

Révélation

Cette révélation, il l’aura lors d’un voyage en train avec un de ses frères, après avoir rendu visite à de la famille établie au nord du pays. Partis de Detroit, les deux jeunes Noirs voyagent sans problème. Mais quand ils arrivent à Memphis dans le Tennessee, on leur intime de quitter leurs places pour gagner le wagon réservé aux Noirs qui est surchargé. Serrés comme des sardines, ils feront debout le reste du voyage jusqu’au Mississippi. James Meredith racontera en 1962 « avoir pleuré jusqu’au terme de son voyage et d’une certaine façon, n’avoir jamais cessé de pleurer depuis ». Cette expérience marquera à tout jamais le jeune lycéen qui se fait alors le serment de consacrer sa vie à lutter pour la reconnaissance de droits civiques égaux entre Noirs et Blancs.  

Engagé dans l’armée de l’air américaine en 1951, ses différentes affectations aux Etats-Unis et à l’étranger lui permettent de prendre toute la mesure de la situation peu enviable des Afro-Américains. Il retourne à la vie civile en 1960 et reprend ses études au Jackson State College, un établissement réservé aux Noirs. Il y étudie pendant deux ans l’histoire et les sciences politiques et participe, en parallèle, à la création au sein du campus de la Mississippi improvment association of students (MIAS), un embryon de société secrète ayant pour but d’attaquer la suprématie blanche omniprésente.

En janvier 1961, deux jours après la prestation de serment du président John F. Kennedy, James Meredith envoie une demande d’inscription à l’université du Mississippi - Ole Miss - un établissement qui pratique la ségrégation. L’université lui oppose un refus. Il fait une deuxième demande qui sera également rejetée. Meredith entame alors un bras de fer et attaque en justice l’Etat du Mississippi avec l’appui du NAACP Legal defense fund, une ONG regroupant des juristes agissant contre les discriminations.

La guerre entre le Mississippi et les Etats-Unis
 

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Un pendu figurant James Meredith au moment des émeutes provoquées par son intégration à l'université du Mississippi, en septembre 1962 Photo Art Shay//Time Life Pictures/Getty Images

Meredith soutient que l’université refuse de l’inscrire parce qu’il est Noir. La justice du Mississippi lui donne tort. Qu’à cela ne tienne, il multiplie les recours et les appels jusqu’à ce que la Cour suprême, la plus haute juridiction américaine, sur requête du ministre de la Justice Robert F. Kennedy, ordonne à l’université du Mississippi de l’admettre en septembre 1962. Fort de son bon droit, il se rend sur le campus le 20 septembre mais le gouverneur Ross R. Barnett, ségrégationniste assumé, défie l’ordre d’une cour fédérale et lui en barre l’accès. Meredith tentera à deux autres reprises, les 25 et 26 septembre d’entrer, mais à chaque fois il en sera empêché.   

Excédé, le président Kennedy tape du poing sur la table et dépêche sur place plusieurs centaines d’U.S. marshals (agents fédéraux ). C’est donc ainsi encadré par la force publique que James Meredith remonte l’allée d’Ole Miss et intègre enfin le campus. Vécue comme un coup de force par les ségrégationnistes, Meredith dira d’ailleurs plus tard que cet épisode était une « guerre entre l’Etat du Mississippi et les Etats-Unis d’Amérique », son entrée à l’université révulse une partie de la population locale.

La tension est à son comble le 30 septembre quand, rameutés par le ban et l’arrière-ban des adversaires de l’intégration de James Meredith, des émeutiers, souvent armés, se regroupent autour de l’université. Plus de 16 000 policiers et militaires se déploient dans la petite ville d’Oxford, siège de l’université du Mississippi. Les émeutes se poursuivront durant trois jours. Elles feront deux morts dont un journaliste français, Paul Guihard, de l'Agence France-Presse, abattu d’une balle dans le dos à bout portant et plus de deux cents blessés parmi les forces de l’ordre.

Sa route bifurque

Un semblant de calme revient sur le campus, mais durant toute sa scolarité à l’université du Mississippi, James Meredith sera protégé par des agents fédéraux et… harcelé constamment par des étudiants. Il se remémore avoir été souvent seul dans les salles de cours désertées par les étudiants blancs. Le 18 août 1963, il quitte Ole Miss, diplôme de sciences politiques en poche pour aller étudier le droit à l’université de Columbia à New York, là même où un certain Barack Obama fera ses études.
 

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Martin Luther King et Stokely Carmichael prennent la tête de la Marche contre la peur après que James Meredith a été blessé par un tireur isolé, en juin 1966. Photo Lynn Pelham/Time & Life Pictures/Getty Images

Sur la suite de son parcours en faveur des droits civiques, Meredith dira toujours n’« avoir fait que ce qu’il fallait faire ». Mais il n’empêche, il reste à la fois un symbole et une cible. En 1966, lors d’une marche antiraciste Against Fear (contre la peur) qu’il a organisée entre Memphis (Tennesse) et Jackson (Mississippi), il est blessé par un tireur isolé. Martin Luther King et Stockely Carmichael notamment, poursuivront la marche au nom de Meredith. « J’ai considéré que j’avais terminé mon travail à partir du moment où j’ai mis le président américain dans la position de devoir utiliser la puissance militaire des Etats-Unis pour protéger mes droits de citoyens. Tout le reste ne m’appartenait plus... », a déclaré James Meredith, un demi-siècle plus tard lors d’un entretien avec la BBC.

Rapidement, la route de James Meredith bifurque de celle des militants des droits civiques. Il rejoint les rangs du Parti républicain et tente, sans succès, de se faire élire à la Chambre des représentants en 1967. Cinq ans plus tard, nouvel échec quand il se présente pour un siège de sénateur. Les militants des droits civiques lui feront surtout le reproche d’avoir conseillé de 1989 à 1991 le sénateur de Caroline du Nord, Jesse Helms, un ségrégationniste avéré et ultraconservateur, ex-démocrate, devenu républicain dans les années 1970. Il soutient même en 1991 un ancien du Klu Klux Klan pour le poste de gouverneur de la Louisiane. Face à ceux qui s’en offusquent, il ne se laisse pas démonter : « Et alors ? Qu’il ait été au Klan ou ceci ou cela, je suis chrétien donc je crois que les gens peuvent changer ».    

Les chassés-croisés de l’Histoire
 

Dans le contexte de l’époque, l’option retenue par James Meredith de rallier le Parti républicain s’explique en partie par l’histoire de cette formation politique. C’est en effet la lutte contre l’esclavage qui est le socle fondateur au XIXe siècle du Parti républicain, le Grand Old Party. Pour un Noir américain du Mississippi des années 1960, les démocrates sont les alliés des Dixiecrats, les ségrégationnistes des Etats du Sud, ceux-là même qui allaient faire barrage en 1964 pour empêcher l’adoption de la loi sur les droits civiques. Ce n’est que plus tard qu’interviendront des changements progressifs où on verra l’aile gauche s’imposer chez les démocrates. Cette évolution conduira en même temps les progressistes républicains à passer dans l’autre camp.

Défendu par les démocrates, mais travaillant pour les républicains, James Meredith n’est jamais là où on l’attend et n’hésite pas à adopter des positions très conservatrices. C’est ainsi qu’il déplore les sanctions économiques prises par les Etats-Unis contre l’apartheid en Afrique du Sud ou encore la décision de célébrer Martin Luther King par une fête nationale.

Cependant, il assure avoir rallié le camp républicain plus par opportunité que par choix : « Ce sont les républicains de New York qui m’ont offert leur soutien constant et quand j’ai cherché du travail plus tard, seul le cabinet du sénateur Helms m’a offert un emploi ». Interrogé en 2008 par la BBC sur Barack Obama, Meredith l’affirme : « C’est un candidat démocrate comme les autres… [et puis] il n’est pas question de Noirs ou de Blancs en Amérique aujourd’hui, mais de pauvres et de riches »

James Meredith a aujourd’hui 80 ans, il vit toujours à Jackson, dans le Mississippi. Il a notamment publié en 1966 Three years in Mississippi qui relate son expérience à Ole Miss, où, assure-t-il, on a produit plus de diplômés noirs que dans toutes les autres universités américaines ces quinze dernières années. 

 

 

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