Aux Philippines, un scrutin décisif pour les réformes du président
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52 millions d'électeurs sont appelés aux urnes ce lundi 13 mai pour choisir leurs élus du niveau local au niveau national. En tout, plus de 18 000 sièges sont à pourvoir, au terme d'une longue campagne qui a débuté en janvier dernier. Ces élections parlementaires et locales, qui se déroulent à mi-chemin du mandat présidentiel non-renouvelable de 6 ans, font office de référendum sur le président Benigno Aquino et ses tentatives de réformes dans l'un des pays les plus pauvres et les plus corrompus d'Asie.
C'est en axant sa campagne sur la lutte contre la corruption que Benigno « Noynoy » Aquino a été triomphalement élu en juin 2010. La corruption est la cause centrale de la pauvreté de ce pays de quelque 100 millions d'habitants. En trois ans de pouvoir, le quinquagénaire a réussi dans de nombreux domaines où ses prédécesseurs avaient échoué.
Pour Bernard Kerblat, représentant à Manille du Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés, le bilan du chef de l'Etat est impressionnant. « En trois ans, l'administration du président Benigno Aquino a réussi à nettoyer un passif qui était assez lourd sur la question des droits de l'homme, en passant toute une série de législations et en faisant avancer de nombreux dossiers sociaux importants, pour faire relever la tête des 22 % de Philippins qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le président a aussi réussi à rétablir une certaine notion de bonne gouvernance, avec un agenda très prononcé sur la lutte perpétuelle, à tous les niveaux, contre la corruption. »
Autre grand dossier non négligeable et véritable tour de force du gouvernement Aquino : l'accord de paix historique signé avec le Front Moro islamique de libération (MILF), le plus grand groupe rebelle du pays. Cet accord a mis fin à 40 ans de conflit dans le sud musulman des Philippines, à Mindanao où le MILF revendiquait un Etat islamique indépendant. Le conflit aurait fait plus de 120 000 morts.
A la moitié de son mandat, force est de constater que le chef de l'Etat jouit d'une grande popularité. Selon un dernier sondage, Benigno Aquino recueille 72 % d'opinions favorables. Un bénéfice certain pour la formation du président, le Parti libéral, qui devrait conforter sa majorité parlementaire et remporter la plupart des douze sièges de sénateurs à pourvoir. C'est là tout l'enjeu du scrutin. En obtenant une large majorité à l'Assemblée et au Sénat, l'équipe de Benigno Aquino aura le champ libre pour poursuivre ses réformes et s'assurer une avance sur ses concurrents de l'opposition unie à la prochaine élection présidentielle de 2016.
Une campagne entachée de violences
Traditionnellement, les périodes électorales aux Philippines sont marquées par des dizaines d'assassinats. Ces élections ne dérogent pas à la règle. Plus de 60 personnes ont été tuées depuis le début de la campagne.
Le gouvernement du président Aquino a déployé d'importantes forces de sécurité, particulièrement dans les hot spots , les points chauds, où les risques d'attentats sont élevés. Quinze provinces sont considérées comme potentiellement dangereuses, en raison notamment de la présence de groupes terroristes ( l'insurrection de rebelles maoïstes de la Nouvelle armée populaire dure depuis 1969 et a fait 30 000 morts), responsables de la majorité des attaques contre des civils ou des candidats aux élections. 30 000 policiers supplémentaires ont été déployés pour assurer la sécurité de ces élections.
Achat de voix et dynasties politiques : les dessous de l'élection
Aux Philippines, la politique se fait en famille. « Ce système dynastique qui prévaut aux Philippines est un héritage de la colonisation espagnole. Il a été amplifié par le phénomène latifundiaire au moment du partage des terres entre la fin du 19e et le début du 20e siècle », explique Bernard Kerblat. Pour la première fois dans l'histoire du pays, la campagne a été marquée par l'émergence d'un courant d'opinion dans la société civile, qui s'est montrée très critique face à ce phénomène bien particulier de la scène politique philippine. De nombreuses voix se sont élevées contre le contrôle oligarchique du pouvoir et les politiques ont dû justifier la présence sur des listes électorales de plusieurs membres d'une même famille.
Les dynasties politiques demeurent pourtant incontournables dans la vie politique. Rien que dans la course au Sénat, on retrouve parmi les candidats le neveu du président, la fille du vice-président, le fils du président du Sénat et le frère d'un ancien sénateur.
Le phénomène est encore plus visible au niveau provincial. 178 familles se partagent le pouvoir dans pas moins de 73 provinces sur 80 que comptent les Philippines. La politique est un business qui se transmet de génération en génération, favorisant la corruption et l'achat de voix. La moitié de ces familles appartient à l'ancienne élite qui a prospéré pendant les décennies de dictature de Ferdinand Marcos, renversé en 1986. L'autre moitié s'est installée au pouvoir après la chute du président Marcos.
« Concrètement, l'élu local a un accès à des fonds qui permettent de fournir des bourses universitaires, de financer les frais de scolarité ou des enterrements. Les bureaux de ces élus du peuple ressemblent beaucoup à des salles de consultations médicales, où des dizaines de personnes attendent leur tour chaque jour pour faire avancer un dossier. C'est comme cela que le système marche », précise Bernard Kerblat. Et de souligner qu'il s'agit d'un « système de patronage, de cooptation très bien imbriqué et complexe, mais qui d'un autre côté assure une certaine stabilité sociologique et politique ».
Un test concernant le poids de l'Eglise
La campagne électorale de mi-mandat a également été marquée par un bras de fer entre l'administration Aquino et l'Eglise catholique autour de la loi controversée sur la santé reproductive, la « RH bill ».
Cela fait 15 ans que la puissante Eglise catholique lutte contre l'adoption de la loi, censée autoriser la contraception et l'éducation sexuelle à l'école. Le gouvernement Aquino a réussi en décembre dernier - et malgré une forte opposition de l'Eglise - à faire voter la loi. En mars, la Cour suprême des Philippines a annoncé qu'elle allait bloquer l'application de la loi, le temps d'étudier toutes les pétitions. Son entrée en vigueur est donc suspendue jusqu'en juin.
L'Eglise catholique s'implique traditionnellement dans les débats électoraux et n'hésite pas à donner des consignes de vote aux fidèles. Le coup de théâtre autour de la « RH bill » a mobilisé de nombreux évêques, dont une partie a mené une campagne de diabolisation contre les sénateurs qui avaient voté en faveur de la loi. Certains évêques sont même allés jusqu'à placarder sur les façades de leurs cathédrales le nom des sénateurs « pro-vie », incitant les fidèles à voter pour les candidats qui s'opposent à la loi sur la santé reproductive. Cette campagne agressive du bien contre le mal et de la vie contre la mort a créé une énorme polémique dans le pays, au point de déstabiliser l'Eglise. La Conférence des évêques avait dû intervenir pour redonner des consignes de neutralité à ses troupes.
Selon Marie-Sophie Boulanger, de l'agence d'information Eglises d'Asie, un sondage paru en avril a fortement ébranlé la hiérarchie catholique. « Ce sondage étudiait pour la première fois le sentiment religieux aux Philippines, cela n'avait jamais été fait auparavant. A la surprise générale, un très grand nombre de personnes interrogées a déclaré en avoir assez d'entendre parler de la RH bill et s'est dit prêt à quitter l'Eglise. Le résultat de ce sondage a provoqué une véritable onde de choc, incitant les diocèses à ne plus évoquer la loi. Pour la première fois de son histoire, l'Eglise catholique philippine n'est plus aussi sûre d'elle-même », conclut Marie-Sophie Boulanger.
D'autres projets très controversés sont à l'étude, comme la loi sur le divorce, qui devrait être votée au mois de juin. L'adoption de cette loi constituerait également une révolution pour les Philippines, qui sont le seul Etat au monde avec le Vatican à interdire le divorce.
En attendant les résultats de ces élections de mi-mandat, prévues dès mardi matin, le chef de l'Etat espère conquérir de nouveaux sièges pour les élus de son Parti libéral, bien décidé à faire aboutir ses réformes jusqu'au terme de son mandat dans trois ans.
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