Le «compagnon espace-temps» ou comment la Chine utilise le big data pour tracer les cas contacts

La Chine, où le Covid-19 a été détecté pour la première fois il y a bientôt deux ans, a maîtrisé la contagion à l'aide de mesures radicales : dépistage systématique, fermeture des frontières, vaccination.
La Chine, où le Covid-19 a été détecté pour la première fois il y a bientôt deux ans, a maîtrisé la contagion à l'aide de mesures radicales : dépistage systématique, fermeture des frontières, vaccination. VIA REUTERS - STRINGER

Afin de remonter l’origine des infections, plusieurs villes chinoises ont désormais recours au concept de « compagnon espace-temps » ou « compagnon spatio-temporel ». Il permet de détecter les personnes dont le téléphone portable est resté connecté plus de dix minutes sur la même borne relais qu’un patient Covid.

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Ce sont les termes parmi les plus recherchés sur l’internet chinois en ce moment. La « société de l’espace-temps » n’a rien à voir avec le dernier blockbuster de science-fiction. Il s’agit au contraire d’une allusion tout à fait d'actualité à l’utilisation du big data pour tracer les cas contacts en Chine.

Le concept de « compagnon spatio-temporel » ou « compagnon de l’espace-temps » des patients Covid-19 a été lancé en août dernier. Son utilisation vient d’être accélérée suite à la résurgence épidémique de ces dernières semaines.

Dans leur dernier bilan, les autorités sanitaires rapportent 65 nouvelles infections pour la journée du lundi 8 novembre. Un chiffre suffisant pour relancer « la guerre populaire contre le virus », selon les autorités de la ville de Heihe à la frontière avec la Russie, qui proposent désormais près de 13 000 euros en échange d’informations permettant de remonter les clusters.

Feux rouges et code QR verts

La stratégie dite du « zéro Covid » ou « zéro cas » qui consiste à empêcher la circulation du virus à tout prix, permet au régime communiste d’afficher une réussite inégalée sur le plan sanitaire. Selon les bilans officiels, moins de 5 000 personnes sont mortes des suites de la pneumonie virale dans le pays où a été découvert le SRAS-Cov2. Ce relatif faible nombre de décès est d’abord lié à cette lutte contre la multiplication des infections, « coûte que coûte » pour l’économie chinoise.

C’est au nom de cette non-tolérance absolue à l’égard du virus, que les autorités de la province du Guangdong dans le sud-est de la Chine, ont fait pousser, en l’espace d’un été, une vaste « station sanitaire internationale » près de l’aéroport international de Canton. La « Guoji Jiankang Yizhan » du district de Bayun pourra recevoir les voyageurs, même vaccinés, sur un espace de quarantaine de 250 000 mètres carrés avait annoncé l’épidémiologiste Zhong Nanshan lors d’une conférence le 21 juin dernier. Depuis septembre, 5 000 chambres sont prêtes, avec un décor qui fait penser à celui de Squid Games, la série coréenne à succès. Robots pour apporter les repas, caméras thermiques pour le relevé des températures corporelles et des personnels de la Croix-Rouge chinoise pour accompagner les isolés à la clinique attenante : le modèle devrait bientôt être dupliqué dans d’autres mégalopoles, afin de filtrer les arrivées de l’étranger.

C’est encore au nom du « zéro Covid » que les gouvernements locaux ont recours aujourd’hui aux données des téléphones portables pour remonter à l’origine des infections. Alors que depuis le début de la pandémie, des milliers de cadres du parti ont été sanctionnés localement pour « négligences dans la lutte anti-Covid », la peur de ne pas en faire assez provoque certains excès de zèle.

Bloquer la circulation du virus ou bloquer la circulation tout court, les fonctionnaires d’un village de la montagne Qianshan dans la province du Jiangxi (sud-est) n’ont pas hésité une seconde. Fin octobre, suite à la découverte d’un nouveau cas de contamination, tous les feux de circulation sur les routes menant à la localité sont passés au rouge ! Un geste qui n’a pas manqué de déclencher quelques commentaires surpris, voir moqueurs sur les réseaux sociaux.

Car depuis quelques semaines, les Chinois en voient de toutes les couleurs sur le plan des restrictions sanitaires. Lorsque le mois dernier, vingt-six nouveaux cas de contamination ont été rapportés à Heihe, le «code santé », équivalent chinois du passe sanitaire, présent sur les smartphones de tous les habitants a viré au jaune, les empêchant de sortir de chez eux.

Les caprices du big data

À ces décisions radicales des gouvernements locaux viennent s’ajouter désormais le traçage numérique et la bulle de « l’espace-temps », dans laquelle toute personne identifiée perd immédiatement son précieux code vert santé sur son téléphone. Il n’est plus possible de se déplacer tant qu’un test PCR n’a pas prouvé que vous êtes négatif.

Dans un communiqué publié au début du mois, les autorités de Chengdu, la capitale du Sichuan à l’ouest du pays, affirmaient que 82 000 cas contacts potentiels avaient été signalés grâce aux mégadonnées. Pour trouver les « cas contacts », les brigades sanitaires utilisent la même technique que les policiers. Il suffit de « borner » dans la même zone qu’un patient positif, autrement dit que votre téléphone portable soit connecté à la même antenne relais pendant dix minutes pour que l’alerte se déclenche.

La même technique est utilisée depuis le début de la pandémie par les traceurs en Corée du Sud. En mai 2020, lors de la découverte d’un cluster dans un quartiers de bars et de clubs gays de la capitale sud-coréenne, les autorités sanitaires avaient menacé d’utiliser le bornage des téléphones pour retrouver les cas contacts qui ne s’étaient pas présentés au test de dépistage.

Pour l’instant en Chine, chaque province ou localité applique ses propres règles. À Changsha, la capitale de la province du Hunan au centre du pays, trois tests Covid dans la semaine sont nécessaires pour retrouver votre code « vert ». Dans la province du Gansu, c’est un PCR + trois jours en auto-observation médicale à domicile. Dans la région autonome du Ningxia, si vous êtes « attrapés » par le big data, il vous en coûtera deux tests de dépistages et sept jours d’isolement. Le concept pourrait être appliqué à l’échelon national, même si les internautes et les experts sont partagés sur le sujet.

Certains estiment que le « compagnon espace-temps » offre un tamisage plus fin des zones à risque, puisqu’il se focalise sur un espace de 800 mètres carrés autour de la borne téléphonie. Cela permettrait d’éviter l’isolement de quartiers, de districts, voire de villes entières. D’autres sont plus sceptiques et y voient une perte supplémentaire de liberté, sans garantie d’efficacité. « C’est comme l’appel à faire des réserves de nourriture, j’ai encore un stock de sel datant de l’époque du SRAS-Cov1 »,  confiait il y a quelques jours une cliente âgée d’un marché du nord de Pékin. Avant d’ajouter : « si maintenant il faut se méfier de son téléphone, c’est gênant. » Car le big data a aussi ses caprices. Le passe sanitaire d’un passager d’un train peut subitement viré au jaune, simplement parce que son TGV a traversé une zone classée à risque.

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