Kazakhstan: le clan de l'ex-président à la manœuvre lors des émeutes pour garder le pouvoir

Le Kazakhstan vient de vivre les événements les plus importants depuis son indépendance, en 1991, selon le président Kassym-Jomart Tokaïev évoquant les émeutes ayant fait au moins 164 morts. Il parle de « tentative de coup d’État ». Ces émeutes se sont greffées aux manifestations pacifiques, qui ont commencé le 2 janvier pour protester contre le doublement du prix d’un carburant.

Au Kazakhstan, des membres du clan de l'ex-président Noursoultan Nazarbaïev ont voulu reprendre le pouvoir en orchestrant des émeutes dans leur fief à Almaty. (Image d'illustration)
Au Kazakhstan, des membres du clan de l'ex-président Noursoultan Nazarbaïev ont voulu reprendre le pouvoir en orchestrant des émeutes dans leur fief à Almaty. (Image d'illustration) © Alexei Nikolsky/AP
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De notre correspondant en Asie centrale,

Kassym-Jomart Tokaïev a parlé sans détours de tentative de coup d'État en évoquant les émeutes meurtrières lors d'une déclaration faite devant le Parlement du Kazakhstan, ce mardi matin. Il dirige ses soupçons vers une partie du clan de l’ex-président, Noursoultan Nazarbaïev. Ce dernier a régné sur le pays de 1991 jusqu'au mercredi 5 janvier, puisqu'il était toujours le chef du Conseil de sécurité du Kazakhstan après avoir laissé sa place de président en 2019.

Il accuse l'ancien dirigeant d’avoir favorisé l'émergence d'une « caste de gens très riches ». De tels propos, de la part de M. Tokaïev, augurent d’un grand ménage à venir au Kazakhstan. Un bras de fer risqué l’attend, dans lequel le soutien des 18 millions de Kazakhstanais sera crucial. D’où ses mots ce mardi devant les députés : « Le temps est venu de payer un tribut au peuple du Kazakhstan »

Le gouvernement va mettre en place une liste d’entreprises contributrices et coordonner les versements annuels dans un fonds national dédié à la santé et l’éducation.

Le président Kassym-Jomart Tokaïev

Dans ce clan familial, ce serait notamment les neveux de l’ex-président, qui aurait mis en place la tentative de coup d'État pour ne pas perdre le contrôle du pays et pour conserver leur immense fortune accumulée. Kairat Satybaldy, un de ses neveux, la fille Dinara Nazarbaïeva et son époux Timour Koulibaïev qui cumulent une fortune de 6 milliards de dollars, et quantité d’autres membres de l’ancienne famille régnante, sont tous multimillionnaires.

Kassym-Jomart Tokaïev est pourtant issu de l’équipe de Noursoultan Nazarbaïev, mais dans les régimes de type autoritaires, autocratiques et corrompus, cela ne suffit pas. Il faut tenir soi-même les rênes du pouvoir.

Une hausse du carburant pour faire partir Tokaïev

Les manifestations qui commencent le 2 janvier ont été suscitées par le doublement du prix du gaz de pétrole liquéfié, un carburant pour véhicules très utilisé dans l’ouest pétrolier du pays. Or, la hausse drastique de ce prix a, semble-t-il, été décidée à dessein pour provoquer la colère populaire contre l’actuel président et le conduire à la démission.

D’ailleurs, selon nos informations, le président Tokaïev s’est vu demander de démissionner, mercredi 5 janvier, par le biais de Karim Massimov, chef du KNB – les services de sécurité –, mais il ne l'a pas fait. Au contraire, il est devenu enfin le vrai chef du pays, puisqu’il a annoncé que désormais il dirigeait le Conseil de sécurité. Ce Conseil était le véritable cœur du pouvoir au Kazakhstan depuis mars 2019, moment où Noursoultan Nazarbaïev a quitté le fauteuil présidentiel dans une sorte d’esquisse de transition du pouvoir. L'ancien président s'était alors attribué nombre de compétences normalement dévolues au chef de l’État.

D'ailleurs, dès le 2 janvier, ceux qui manifestaient contre l’augmentation du prix du carburant s’en sont pris à Noursoultan Nazarbaïev, et non au président. Sans doute savaient-ils que c’est lui et son clan qui contrôlent le secteur énergétique de ce pays de 18 millions d’habitants très riche en pétrole, en gaz et en minerais.

Leur slogan était « Shal ket ! » (« Le vieux, va-t'en ! », en français). Très vite leurs revendications sont devenues plus politiques, et ils ont dénoncé la gouvernance corrompue du pays.

► À écouter aussi : Invité international - Contestation au Kazakhstan: «Il y a eu un effort de libéralisation mais on ne sait pas qui dirige le pays»

Une tentative de coup d'État pour reprendre l'avantage

Pour reprendre la main, la tentative de coup d'État s'est surtout concentrée sur Almaty, la capitale économique du pays dont la région est le fief du clan Nazarbaïev. Mais le président Tokaïev parle de 11 régions du pays qui ont été « agressées » sur les 14 que compte le Kazakhstan.

Un bâtiment public incendié lors des émeutes à Almaty, principale ville de l'est du Kazakhstan, le 7 janvier 2021.
Un bâtiment public incendié lors des émeutes à Almaty, principale ville de l'est du Kazakhstan, le 7 janvier 2021. © Alexandr BOGDANOV/AFP

Selon la presse locale et plusieurs sources, un des neveux de Noursoultan Nazarbaïev, Kairat Satybaldy, aurait mobilisé diverses forces pour semer le chaos à Almaty. Des groupes religieux extrémistes, des organisations criminelles, des individus sont venus de l’étranger contre de l’argent, des prisonniers auraient été libérés pour l’occasion. Des gens très pauvres venus des villages et des banlieues autour d’Almaty étaient aussi présents alors qu'ils ne savaient pas à quoi ils participaient.

Il y a eu des pillages de magasins, de banques ; des édifices publics ont été pris, comme la mairie d’Almaty ou des postes de police ; des armureries ont été dévalisées. L’aéroport international d’Almaty a aussi été investi et saccagé.

Un ex-conseiller de Noursoultan Nazarbaïev, Ermoukhamet Yertysbaïev, a assuré à la télévision que les forces qui gardent habituellement cet aéroport avaient reçu l’ordre de l’évacuer 40 minutes avant que les émeutiers n’arrivent. Ce qu’elles ont fait. Les membres du clan Nazarbaïev, aidés d’extrémistes religieux et de criminels – un célèbre chef de groupe mafieux a d’ailleurs été arrêté à Almaty ces jours-ci –, ont donc eu le soutien d’une partie des forces de l’ordre.

Et c’est ce qui expliquerait notamment l’arrestation pour haute trahison, jeudi 6 janvier, de Karim Massimov, un ancien Premier ministre et qui était chef du KNB, le Comité de sécurité nationale.

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