Année Napoléon : la meilleure façon de tourner la page
À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, les rédactions de langues étrangères de RFI ont décidé d’éclairer certains aspects méconnus de la geste napoléonienne qui a laissé de nombreuses marques encore présentes aujourd'hui, en France et dans de nombreux pays du monde. Ces productions originales sont le fruit d’une série de reportages et de dossiers multimédias sur les traces de « l’Empereur des Français » au Brésil, en Belgique, en Russie, en Espagne, au Portugal, en Roumanie, mais aussi en France. En décembre 2021 s’achèvera cette « Année Napoléon » et après les reportages sonores, photos et vidéos, c'est en mots que nous revenons sur cette année qui a vu paraitre une centaine de livres sur Napoléon.
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« Vivant, il a manqué le monde ; mort, il le possède. » Chateaubriand avait vu juste. Car depuis sa mort en 1821, c’est plus d’un livre par jour – selon la formule restée célèbre de Jean Tulard – qui est publié et donc écrit, dans le monde, sur l’Empereur. Cependant, il se pourrait que le chiffre soit très largement sous-évalué selon Chantal Prévot, bibliothécaire de la Fondation Napoléon et maître d’œuvre d’un nouveau calcul. En regroupant toutes les bases de données des plus grandes bibliothèques du monde, on arrive à 1,8 voire 2 ouvrages publiés par jour depuis la mort de Napoléon. Et si l’on ajoute à cela les contenus dérivés audiovisuels le chiffre grimpe à plus de 3 par jour. Ce qui représente près de 220 000 ouvrages et, rappelons-le, en ne comptant que ceux qui comportent les mots « Napoléon » ou « Bonaparte » dans le titre. À raison d’une lecture, rapide, de deux pages par minute et avec une moyenne basse de deux cents pages par ouvrage, il faudrait un siècle de lecture continue pour tout lire !
Depuis sa mort, Napoléon fascine donc le monde de la littérature et de l’édition. Que cela soit tantôt pour écrire sa légende noire, tantôt pour façonner le mythe. Et, depuis quelques décennies, pour véritablement faire de l’Histoire.
200 ans et plus de 200 000 ouvrages plus tard, que reste-t-il donc à écrire, et à publier sur Napoléon ?
Avec le bicentenaire de sa mort cette année et contrairement, peut-être, aux apparences, il n’y a pas eu d’emballement éditorial en termes de production. Les livres publiés cette année seraient de toute façon sortis, bicentenaire ou pas. Dans les études napoléoniennes, les publications sont régulières et d’un nombre stable. En revanche, il y a bien eu un emballement en termes de tirages avec semble-t-il un nombre bien supérieur aux années précédentes, grâce aux succès de librairie comme par exemple, le Pour Napoléon (Perrin) de Thierry Lentz, qui approche des 20 000 ventes - un record pour ce type d’ouvrage - ou bien le Napoléon à Sainte-Hélène (Perrin) de Pierre Branda. Tout cela est porté par l’écho médiatique de ces productions et par les polémiques – vite éteintes – suscitées par les commémorations de la mort de Napoléon. Il n’y a d’ailleurs pas eu cette année, et c’est à remarquer, d’ouvrage majeur anti-Napoléon.
Autre aspect de ce bicentenaire qui a donné lieu à une profusion inédite de parutions d’ouvrages : les expositions. Elles furent légion et leurs catalogues aussi. De Napoléon n’est plus au Musée de l’Armée à Paris (près de 45 000 entrées malgré l’impact de la crise sanitaire) à la monumentale Napoléon à la Grande Halle de La Villette, en passant par un Palais pour l’Empereur au Château de Fontainebleau (qui abrite d’ailleurs l’une des plus belles bibliothèques de Napoléon, rénovée pour l’occasion) ou encore l’exposition Napoléon et la littérature au musée Masséna de Nice qui explore les raisons de la place qu’occupe l’Empereur dans la création littéraire.
Enfin, là où l’emballement a été le plus fort, le plus visible et peut-être le plus inattendu c’est dans ce que Napoléon lui-même craignait plus que 100 000 baïonnettes : les journaux, et la presse dans son ensemble, nationale, locale, généraliste et spécialisée.
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Le lectorat a donc été au rendez-vous, même s’il est, semble-t-il, en pleine mutation. En effet, il se réduit un peu en nombre de personnes mais celles-ci acquièrent davantage de livres et sont attirées par des ouvrages proposant des formats de lecture plus contemporains : un dictionnaire qui ne se lit pas d’une traite, des romans graphiques, des bandes-dessinées et des livres plus courts aussi. L’Histoire aujourd’hui, comme le reste, se picore plus qu’elle ne se dévore. Toujours selon Chantal Prévot, ce bicentenaire marque le point de bascule de la façon dont nous lisons l’Histoire.
Alors, sans avoir lu la totalité de cette centaine d’ouvrages parus cette année nous vous en proposons néanmoins… 21 qui pourront trouver leur place dans votre bibliothèque.
Le plus immortel : Les douze morts de Napoléon de David Chanteranne, chez Passés Composés. Un portrait de Napoléon à travers sa relation à la mort. Tantôt y échappant miraculeusement, tantôt la trompant, mais aussi parfois cherchant même à se la donner. L’auteur, à travers douze de ces moments, donne à voir un Napoléon presque immortel.
Le plus confiné : Napoléon à Sainte-Hélène de Pierre Branda, chez Perrin. Une monumentale analyse des dernières années de la vie de Napoléon, au travers d’archives et d’études inédites, l’auteur nous plonge dans le quotidien – long de près de six années – du plus grand confiné de l’histoire. Un complément idéal à la lecture du Mémorial de Sainte-Hélène.
Le plus mortuaire : Napoléon n’est plus. Catalogue de l’exposition au Musée de l’Armée, chez Gallimard. Un catalogue qui se lit autant qu’il se regarde et permet de se (re)plonger au cœur de cette émouvante exposition sur la mort de Napoléon.
Le plus fétiche : Napoléon, dans l’intimité d’un règne de Dimitri Casali, chez Larousse. Un bel objet qui invite le lecteur, grâce aux nombreux documents en fac-similés, aux nombreuses illustrations et au récit enlevé, à plonger dans l’intimité du règne de Napoléon de sa naissance à Ajaccio, à sa mort à Longwood.
Le plus affranchi : Le général Dumas de Claude Ribbe, chez Tallandier. Le lecteur est plongé ici dans la vie ô combien romanesque, de celui qui comme le rappelle le sous-titre du livre, naquit esclave, fut rival de Bonaparte, et père d’Alexandre Dumas.
Le plus fictif : Napoléon n’est pas mort à Sainte-Hélène. Deux siècles d’uchronie d’Olivier Bourra, chez Gaussen. Cet essai dresse un panorama des fictions qui ont jalonné la littérature historique depuis la mort de l’Empereur et cherche à comprendre ce que révèle ce goût pour l’uchronie, ce jeu intellectuel qui consiste à imaginer une histoire différente de celle qui s’est accomplie. Un goût encore présent en 2021 avec les publications Et Si Napoléon … (Mnémos) qui regroupe 14 récits d’uchronies napoléoniennes ou Napoléon, l’exil en Amérique de Ginette Major (éditions du Panthéon) qui imagine un Napoléon finissant sa vie à New-York…
Le plus multimédia : Moi Napoléon de Vincent Mottez et Bruno Wennagel, chez Unique Héritage Editions. Une « autobiographie » graphique de Napoléon qui permet de découvrir les moments clés de la vie de l’Empereur, et d’écouter ses paroles dans le podcast qui accompagne l’ouvrage.
Le plus décalé : Napoléon : punk, dépressif… héros de Philippe Perfettini, chez Equateurs Histoire. Un portrait de l’Empereur sous le prisme de ses faiblesses et fragilités, en écho peut-être à celles de l’auteur, ancien punk et que rien ne prédestinait à diriger un jour les collections napoléoniennes du Palais Fesch à Ajaccio.
Le plus dessiné : Napoléon 1769 – 1821 de Noël Simsolo, Fabrizio Fiorentino et Jean Tulard, chez Glénat. L’épopée napoléonienne se donne à voir dans cette intégrale regroupant trois bandes dessinées et accompagnées d’un dossier pédagogique très riche de Jean Tulard.
Le plus cartographique : Napoléon en cartes de Jacques-Olivier Boudon et Grégory Bricout, aux éditions de la Martinière. Un retour étonnant sur la vie et le parcours de Napoléon Bonaparte, tout en cartes et en infographies qui permettent de se plonger dans l’époque et le monde napoléonien d’une manière très originale.
Le plus touristique : Napoléon l’esprit des lieux d’Annabelle Matter, Alexis Gérard et Jean-Christophe Buisson, chez Michel Lafon. Ce livre de 300 photographies donne à voir aujourd’hui au lecteur l’ensemble des lieux qui ont été, à un moment-clé de sa vie, foulés par les pas de Bonaparte, et de Napoléon.
Le plus inattendu : Napoléon, la biographie inattendue de Thierry Lentz et Fanny Farieux chez Passés Composés. Une biographie décalée, drôle, tout en restant un vrai livre historique. Le lecteur retrouve chaque moment de la vie de l’Empereur, croqué à la manière d’un dessin de presse d’aujourd’hui.
Le plus intime : Les goûts de Napoléon de Philippe Costamagna, chez Grasset. Un portrait de Napoléon par ses goûts, comme une plongée intime dans la vie de l’Empereur dans plusieurs domaines et particulièrement celui de l’Art. Un chapitre entier est consacré à son goût de la littérature, nous découvrons ici l’homme plus que le mythe.
Le plus honoraire : Marengo ou l’étrange victoire de Bonaparte de Jean Tulard chez Buchet-Chastel. Un récit haletant, plongeant le lecteur au cœur de la bataille de Marengo, racontée heure par heure. Puis, l’auteur, le plus émérite des spécialistes de l’époque napoléonienne reprend ses habits d’historien pour nous éclairer sur les mythes, les légendes et les chefs-d’œuvre qui entourent cette bataille.
Le plus théâtral : Napoléon, la nuit de Fontainebleau de Philippe Bulinge chez L’Harmattan. Une pièce de théâtre qui s’intéresse à la nuit du 12 au 13 avril 1814, celle où, à Fontainebleau non loin de sa bibliothèque, l’Empereur tente de se donner la mort.
Le plus spirituel : Napoléon et Jésus de Marie Paule Raffaelli-Pasquini, aux éditions du Cerf. Un éclairage inédit sur le rapport de Napoléon à la religion et sur les points communs entre ces deux figures qui ont engendré un culte, chacun à leur manière.
Le plus politique : Napoléon et le bonapartisme d’Arthur Chevallier chez Que Sais-je ? Un essai qui à travers l’étude de son histoire permet de comprendre ce qu’est réellement le bonapartisme en France, des origines jusqu’à nos jours.
Le plus Napoléon : Napoléon par Napoléon de Charles Bonaparte, aux éditions du Cherche Midi. Un portrait en mille citations, issues de la correspondance de l’Empereur et du Mémorial de Sainte-Hélène, choisies par son descendant, et qui par le classement chronologique permet au lecteur « d’accompagner » les pensées de Napoléon.
Le plus étonnant : Les faux Napoléon de Nathalie Pigault, chez CNRS Éditions. On découvre dans cet essai que dès sa mort, nombreuses furent les personnes à vouloir imiter, usurper l’identité de Napoléon. À travers ces anecdotes qui n’en sont pas, nous plongeons au cœur de l’époque qui suit la mort de l’Empereur.
Le plus mémorial : Le Mémorial de Sainte-Hélène, le manuscrit retrouvé d’Emmanuel de Las Cases, chez Tempus. Pour la première fois en format poche, nous découvrons une version inédite du Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases. Cette réédition fait suite à la découverte du manuscrit original confisqué par les Anglais et retrouvé à Londres dans les années 2000 par Peter Hicks, de la Fondation Napoléon.
Le plus illustré : Napoléon « Mon ambition était grande » de Thierry Lentz, chez Gallimard. Selon Chantal Prévot, bibliothécaire de la Fondation Napoléon, c’est l’un des premiers ouvrages qu’il faut avoir dans une bibliothèque napoléonienne idéale.
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Cette profusion de livres accumulés depuis la mort de Napoléon est pour ainsi dire un hommage posthume à celui qui fut un lecteur boulimique, à la tête d’un « empire » de 70 000 livres répartis en plusieurs bibliothèques.
Lecteur avisé, Napoléon dévorait tout type de livres : histoire, géographie, philosophie, poésie, théâtre, et même, dirait-on aujourd’hui, de la littérature de délassement, dont un phénomène d’édition de l’époque : les romans de Madame Cottin. Napoléon lisait donc de tout, sauf et c’est à souligner, des ouvrages religieux, en homme de la Révolution et enfant des Lumières qu’il était. Napoléon est donc un fou de littérature comme dit Charles Eloi-Vial dans son Napoléon et les bibliothèques (CNRS Éditions). C’est sans doute pour cela qu’il emportait avec lui une partie de ses livres, à chacune de ses campagnes militaires.
Il organisait lui-même ses bibliothèques, de la constitution au classement des ouvrages, et il regretta beaucoup que sa dernière, celle de Sainte-Hélène, ne puisse contenir « que 5 000 ouvrages ! ».
Ce tempérament de lecteur passionné et des livres et des bibliothèques est amplifié par son isolement à Sainte-Hélène, où la lecture est son passetemps favori. Sa bibliothèque comme dernier lieu de pouvoir. C’est à travers ce prisme que Jacques Jourquin brosse un portrait inédit et remarquable de l’Empereur en exil : La dernière passion de Napoléon, la bibliothèque de Sainte-Hélène (Passés Composés).
On y découvre une facette d’un Napoléon s’investissant intégralement dans ses lectures et sa bibliothèque, retrouvant là l’un de ses plus anciens engouements, et y jetant ses dernières forces, jusqu’à sa mort le 5 mai 1821.
Tourner la page de l’année Napoléon par le prisme de la littérature était, pour les rédactions de langues étrangères de RFI une façon idéale d’ouvrir le chapitre de l’année qui vient, celle du quadricentenaire de la naissance d’un autre Français connu dans le monde entier : Molière.
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