Napoléon dans la presse française en 2021 : la polémique a fait long feu
Napoléon aimait tellement la presse qu’il la mettait sous surveillance policière ; la presse d’hier et d’aujourd’hui aime tellement Napoléon qu’elle le place sous le contrôle ou bien de la morale ou bien des historiens. En tout cas elle continue de s’y intéresser.
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Alors que s’achève l’année 2021 commémorant le bicentenaire de sa mort, l’heure du bilan est venue et permet de constater la véritable explosion éditoriale que l’Empereur a suscitée : la polémique, sur la question de sa responsabilité concernant la condition humaine, celle des esclaves, des femmes, des soldats, des civils, semble avoir tellement été redoutée et si bien anticipée… qu'elle n’a pas vraiment eu lieu. Les relations entre l’Empereur et la presse se seraient-elles apaisées ?
Pour s’en faire une idée, voici un tour d’horizon des éditoriaux et des dossiers spéciaux consacrés au bicentenaire dans la presse française, de la plus généraliste à la plus spécialisée, nombre de journaux ayant rivalisé d’envies pour illustrer l’événement et les multiples raisons d’être, historique-artistique-littéraire-juridique-politique, de cette commémoration.
Du côté de la « grande presse », c’est Le Point, l’hebdomadaire libéral de centre droit, qui a tiré le premier, en décembre 2020 avec un hors-série sur « La grande aventure », qui mena d’une île à l’autre, de la Corse à Sainte-Hélène, ce « globe-trotteur moderne », en une cinquantaine de lieux, désormais napoléoniens, en France, en Europe, et dans le monde, pour tenter d’y retrouver l’esprit des lieux.
Le Figaro titre sur « L’épopée - le mythe - le procès », et, dans l’éditorial « Faites entrer l’accusé » recense les différents procès que les différentes époques firent à l’homme, et à son action, du fringant général révolutionnaire à l’ogre impérial réveillant les nationalismes. Aujourd’hui « les chefs d’accusation ont changé de nature » note le grand journal conservateur, « il doit désormais répondre d’accusations relatives au nouvel ordre moral » qui voudrait décréter « ce qui a droit ou non à notre admiration ». Et de prôner une « défense de rupture », car l’enjeu, de civilisation, « dépasse le cadre d’une controverse savante ».
Le Monde sous le titre « Héritage(s) », au pluriel donc, rappelle que la France est un pays qui aime à la fois les commémorations et se disputer sur l’histoire. Le grand journal du soir suit une dialectique qui oppose les légendes noires et dorées du modernisateur/autocrate dans lesquelles il est difficile de faire le tri. Le parti pris est donc d’aller voir dans les pays où passa « l’épopée de la Grande Armée », qui laissa les traces d’un monstre en Espagne et d’un héros en Pologne, et partout, de la Russie au Brésil, des attitudes contrastées, mais toujours fascinées devant cet homme-évènement dont la leçon politique ouvre à la modernité, dans une « préfiguration des États-nations et des aventures colonialistes ».
Télérama ne donne aucun autre mot à la Une que « Napoléon », mais dans l’édito fixe son cap : « il s’agira de commémoration, pas de célébration ». L’hebdomadaire culturel progressiste rappelle que Stendhal avait prédit que le « jugement des salons » changerait « tous les dix ans », mais prend acte que les Français en font toujours leur personnage historique préféré aux côtés de Louis XIV, De Gaulle et Jeanne d’Arc. Il répond aux réseaux qui voudraient effacer le personnage par cette phrase d’un historien facétieux : « écrire une histoire de la période napoléonienne en récusant la focalisation sur Napoléon reviendrait à réitérer l’expérimentation littéraire d’un Georges Pérec - livrer tout un roman privé de la lettre E ».
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La Croix l’Hebdo a choisi l’angle de l’« Empereur de la com’ » avec un dessin montrant Napoléon se servant d’une perche à selfie pour fabriquer lui-même son image parfaite. On oublierait presque l’anachronisme tellement le dossier spécial expose un Napoléon «champion toutes catégories d’une communication maitrisée ». Et l’hebdomadaire catholique conclut en soulignant ce qu’il pense être une des leçons à tirer de l’aventure impériale : « le meilleur des savoir-faire n’est rien sans l’art de le faire savoir ».
Paris Match affiche en Une « La folie Napoléon », en gros plan sur la pose héroïque du célèbre tableau de David et en déroulant les traces incontournables et multiples de Napoléon : de son mausolée à son Code civil en passant par le Conseil d’État, le baccalauréat, la légion d’honneur et sans oublier bien sûr, presse people oblige, ses amours célèbres avec Joséphine de Beauharnais, Marie-Louise d’Autriche, et Marie Waleska. Et Paris Match de titrer l’éditorial de son Hors-série « Napoléon parmi nous ».
Point de Vue, le magazine des « têtes couronnées » ne pouvait pas ne pas faire sa Une sur les descendants de la famille impériale française et explique avoir voulu seulement « commémorer. Ni pour juger, ni pour glorifier ». « Pour ou contre Napoléon » offre des rencontres avec un Napoléon en chair et en os, Jean-Christophe, officiellement Prince Napoléon, car descendant du frère de l’Empereur et évoque aussi les descendants actuels des familles Massena, Murat, Essling…
La « presse d’opinion » française n’est pas en reste et Charlie Hebdo remplit sa Une d’un dessin de Riss montrant un Napoléon géant faisant donner du canon contre des barres HLM avec en sous-titre : « Encore un militaire à la retraite qui vient nous faire chier ! ». L’hebdomadaire satirique fait allusion à la tribune anonyme signée par des militaires, dont des hauts gradés, sur le délitement de la France et un appel à une réaction de l’État.
Causeur, mensuel de la droite conservatrice fait sa Une en figurant une affiche électorale avec le portrait de Napoléon : « Et si c’était lui ? ». L’édito fait allusion à la campagne électorale des Régionales, et dans son édito évoque la gauche annihilée par le gauchisme culturel, et conclut : « l’antidote au woke ce n’est pas la République c’est la France ». L’une des curiosités du dossier est l’entretien de l’historien britannique Andrew Roberts qui explique que même dans la tradition historiographique britannique, Napoléon n’est plus aujourd’hui comparé à Hitler, et rappelle l’admiration que lui témoignait Churchill.
« Toujours lui ! Lui partout ! – Ou brûlante ou glacée, son image sans cesse ébranle ma pensée. » (Victor Hugo)
Eléments, mensuel d’extrême droite d’Alain de Benoist qui se veut « magazine des idées pour la civilisation européenne » a choisi d’illustrer sa Une par une photo de Marlon Brando en Napoléon boudeur et assis dans le film Désirée, sous-titré « Vive l’Empereur et mort aux cons », et ouvre son dossier par l’intégrale du poème de Victor Hugo consacré à l’Empereur.
La presse spécialisée sur l’histoire qui, autre exception française, offre un grand nombre de titres destinés au grand public et produits par des indépendants ou des équipes adossées à des groupes de presse ou des maisons d’éditions, s’est ruée évidemment sur cet anniversaire.
Il y est question de choisir, ou pas, entre « sauveur ou tyran » (ça m’intéresse Histoire), de célébrer « Les grandes heures » (Les grandes figures de l’histoire) ou la complexité d’un « héritage majeur et controversé » et d’une époque qui allait toujours entre « l’or et le plomb » (Géo Histoire).
« L’ombre et la lumière » titre Histoire et Civilisations de National Géographic et Le Monde, souhaitant un bilan serein et distancié pour celui que Hegel avait désigné au soir de la victoire de Iéna comme « l’âme du monde sur un cheval ».
La distance permet à Historia de choisir de faire parler « 100 objets qui ont fait Napoléon » du plus iconique en couverture, son bicorne, jusqu’aux plus intimes en passant par tous les tableaux, objets d’arts et reliques exposés dans les nombreuses expositions qui les ont rassemblés.
D’autres titres plus engagés choisissent de penser que l’histoire longue a tranché et placent un « Napoléon, l’immortel » sur les traces d’Alexandre, César et Charlemagne (Histoire). À l’instar de sa déclinaison télévisuelle le magazine « Secrets d’histoire » choisit l’émotion et s’intéresse avant tout aux dernières années sur l’île de Sainte-Hélène.
Dernier paru des hors-séries, celui d’Histoire Magazine, choisit « Napoléon, tel qu’il fut raconté par les meilleurs historiens », en donnant la parole aux napoléonistes de première ligne, (Lentz, Branda, Boudon, Vial, Fuligni, Raffaelli-Pasquini, Griffon de Pleineville), tous réunis derrière celui à qui la France doit la véritable renaissance des études napoléoniennes dans les années 60 et qui a formé plusieurs générations d’historiens, Jean Tulard.
Enfin les gardiens du temple napoléonien, ces passionnés réunis pour créer depuis 25 ans la revue Napoléon 1er, célèbrent par leur numéro 100 la « double apothéose » que signifie pour eux sa mort : la fin d’une épopée, et la naissance d’une légende qu’il a lui-même dictée, son Mémorial de Sainte-Hélène, paru en 1823. Le plus grand sans doute des livres qui ont suivi sa mort, plus de 200 000, et une centaine encore, parus en France rien qu’en 2021.
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La presse spécialisée dans le domaine des arts a tenu elle aussi à faire un retour sur l’emballement artistique qu’a provoqué la période napoléonienne sur « l’homme qui pouvait tout faire parce qu’il voulait tout » (Balzac).
Beaux-Arts titre son éditorial « Napoléon revient » et s’immerge en images multiples dans la « fabrique du culte napoléonien » et les « fastes de l’Empire ». Connaissance des Arts propose un catalogue de l’exposition Napoléon. Et « L’objet d’Art » qui célèbre la page d’histoire du mobilier qui porte désormais le nom de « style Empire » ou « style Napoléon ».
La presse française, celle de tous les jours, la quotidienne qui se publie sous quelques dizaines de titres a bien sûr et souvent évoqué dans les régions de France, les histoires grandes ou petites, et si nombreuses, qui s’attachent à l’Empereur des Français.
La trajectoire de Napoléon va-t-elle se dissoudre dans cet ultime feu d’artifice éditorial marquant l’anniversaire de sa mort ou tenir jusqu’à son tricentenaire de naissance en 2069 ? Rendez-vous dans 48 ans.
À RFI, les rédactions de langues étrangères ont choisi elles aussi d’aller trouver les traces de Napoléon dans les lieux les plus concernant pour elles, et ont produit une centaine de contenus multimédias. Elles continueront en 2022 de se donner des occasions de lire l’actualité au prisme de l’Histoire.
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