Cannes 2013, la vitrine de l’exception culturelle
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Au-delà des six réalisateurs français, il y a cette année douze (co-)productions françaises sur vingt films en lice pour la Palme d’or (voir la liste). Une exception culturelle cannoise qui risque de « fausser » l’image d’un panorama du cinéma mondial. L’édition 2013 s’inscrit dans une année qui s’avère cruciale pour le cinéma. Et les décisions se jouent autant à Paris et Bruxelles qu’à Cannes. Pendant que le plus grand festival de cinéma au monde célèbre entre le 15 et 26 mai le cinéma d’auteur sur la Croisette, les professionnels œuvrent à Paris et au parlement européen pour éviter que l’exception culturelle soit sacrifiée sur l’autel des négociations commerciales en cours entre l’Europe et les Etats-Unis.
Comment concilier paillettes et pertinence artistique, le marché et la création ? Cette année, c’est à Audrey Tautou, la maîtresse de cérémonie, et Steven Spielberg, le président du jury, de représenter le génie cannois et de réconcilier l’inconciliable. Chacun des deux a régulièrement traversé aussi bien l’Atlantique que les genres de films sans pour autant compromettre ses exigences artistiques. Bref, le casting de la Croisette a de nouveau réussi à équilibrer les nécessités du cinéma auteur avec la force de frappe des Blockbuster.
Six réalisateurs français et cinq réalisateurs américains se trouvent cette année en lice pour la Palme d’or. Mais la confrontation décisive pour l’avenir du cinéma n’aura pas lieu entre cette Amérique des films indépendants et la France, mais entre deux visions de la culture. Et face au danger d’une libéralisation de la culture, ces Américains et Français présents dans la compétition officielle se retrouvent dans le même camp.
L’exception des Etats-Unis
La force du cinéma français et européen réside dans l’exception culturelle, contrairement à Hollywood qui puise son énergie dans une machinerie centralisée, uniquement soumise aux lois du marché. Le principe de la diversité culturelle a été adopté par une convention contraignante de l’Unesco. C’était en 2005, à l’unanimité, avec l’exception de trois pays dont les Etats-Unis. La reconnaissance internationale de la spécificité des biens et services culturels permet des quotas nationaux et un financement de l’audiovisuel assurant une diversité de modèles et de propos artistiques sans égal. C’est cette pluralité qui résiste à l’expansion du rouleau compresseur de l’industrie de divertissement américaine qui incarne le deuxième poste des exportations des Etats-Unis. Et le président Barack Obama a clairement exprimé qu’il souhaite sortir de l’exception culturelle les nouveaux services audiovisuels basés sur le numérique.
Le marché du cinéma et l’OMC
Des observateurs mettent déjà en garde contre ce nouveau danger et renvoie aux expériences de la Corée du Sud après leur accord de libre-échange avec les Etats-Unis qui avait provoqué une chute des quotas de films coréens avec tout que cela entraîne pour la chaîne de production cinématographique. Néanmoins, crise économique oblige, il y a également au sein de l’Union européenne des voix qui se lèvent. Elles plaident pour une ligne moins stricte afin d’obtenir des lucratives contreparties lors des négociations internationales. A l’occasion de sa visite officielle en Chine, le président François Hollande a dû se rendre compte que les films français peinent à pénétrer ce marché gigantesque qui représente déjà le deuxième marché mondial des films après les Etats-Unis. Contrairement aux Américains, la France, au nom de l’exception culturelle, refuse de négocier des parts de marché en Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et se retrouvent ainsi relativement désarmée.
La crise du cinéma indépendant
Le Festival de Cannes est le reflet de toutes ces divergences et le cœur du réacteur cinématographique de l’exception culturelle qui est loin d’être parfaite. Dans une lettre ouverte, publiée le 8 mai, les réalisateurs Serge Bozon, Dominique Cabrera et Nicolas Philibert dénoncent à leur tour une exclusion du cinéma indépendant des salles en France et citent comme exemple la semaine du 13 février : « Sur les 5600 écrans que compte l’Hexagone, 4693 étaient monopolisés par dix films ». Du coup, au nom de l’exception culturelle, ils exigent « une limitation du taux d’occupation des écrans par bassin de population, pour contrer l’hyperconcentration » pour remédier à cette « crise grave » du cinéma française. Un cinéma qui a enregistré avec plus de 200 films par an et de 200 millions d’entrées en 2012 des résultats historiques.
Quand le génie français parle anglais
Autre question soulevée par Cannes. Peut-on défendre le génie français et la culture française en parlant anglais ? Le débat qui émeut actuellement surtout l’univers des universités et de l’enseignement est dans le monde cinématographique depuis longtemps tranché. Dans la sélection officielle cannoise de cette année, il n’y a pas moins que trois réalisateurs français (Jimmy P. (Psychotherapy of a Plains Indian) d’Arnaud Desplechin, Michael Kohlhaas d’Arnaud des Pallières et Blood Ties de Guillaume Canet,) qui présentent des films anglophones. Au-delà de la langue, un autre critère est régulièrement mis en question. Il est « de plus en plus difficile de dire quelle est la nationalité d’un film, y compris sa nationalité juridique, financière ou artistique » explique Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes. En effet, la Française Marion Cotillard joue aux Etats-Unis dans The Immigrant de James Gray et le réalisateur iranien Asghar Farhadi fait tourner Bérénice Bejo et Tahar Rahim dans Le Passé en français, une langue qu’il ne parle pas, le tout produit par la France et l’Italie.
Bref, à travers de sa culture d’exceptions, le Festival de Cannes défend rigoureusement la fameuse exception culturelle. Et tant pis quand cet esprit d’un cinéma exigeant fait fi de la nationalité d’un film ou d’un réalisateur. Le Festival réussit à incarner le cinéma sans chercher la représentativité. Certains s’interrogent si Cannes ne finit pas à représenter surtout soi-même. Il n’y a pas de film africain dans la sélection officielle et les sélections parallèles à Cannes, à part de la production franco-tchadienne Grigris de Mahamat Saleh Haroun ? Pas de problème. A l’instar des autres responsables des sélections, Edouard Waintrop, le directeur général de la Quinzaine des réalisateurs, assume « un point de vue totalement subjectif. Une sélection n’est pas un point de vue objectif sur la réalité du cinéma ».
Le Festival de Cannes, un faussaire d’image ?
Alors au lieu de le représenter, est-ce que Cannes fausse l’image du cinéma mondial et notre regard sur ce cinéma ? « Oui, Cannes le fausse, déclare Chantal Robert, la coprésidente de la Société des réalisateurs de films (SRF). Et très souvent, les cinéastes peuvent y être perdus… Il y a des choses très paradoxales. La France est quasi présente dans tous les films de sélection de Cannes. En termes de financement, c’est tout à fait exceptionnel. Et en même temps, est-ce que ce cœur là est équivalent au cœur de la création artistique, de l’innovation, des changements dans la façon de raconter les histoires, des enjeux esthétiques du cinéma ? Et la coprésidente de la SRF qui organise le 18 et 21 mai la première Assemblée des cinéastes conclut: Ce n’est pas forcément évident ». Avec douze des vingt films en compétition pour la Palme d’or, la participation française arrive à un niveau « historique » selon Eric Garandeau, le président du Centre National du Cinéma (CNC).
L’acte 2 de l’exception culturelle
En attendant le palmarès cannois, la France prépare déjà l’offensive pour faire passer l’acte 2 de l’exception culturelle. Le rapport Lescure, remis ce 13 mai au président Hollande et à la ministre de la Culture Filippetti, propose des nouveaux moyens pour financer les contenus culturels. En tout cas, après l’annonce de la Palme d’or le 26 mai, tous les professionnels du cinéma ont déjà inscrit une autre date dans leur agenda : le 14 juin aura lieu le Conseil des ministres de Commerce à Bruxelles où l’Europe doit adopter son mandat de négociation avec les Etats-Unis qui comprend aussi le secteur audiovisuel.
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