Les mondes de l’esclavage: une histoire comparée
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C’est une somme de quelque 1 200 pages ayant rassemblé quelques 50 autrices et auteurs de 15 nationalités différentes qui paraît en septembre aux éditions du Seuil, pour aborder l’« Histoire de l’esclavage dans le monde, du Néolithique à nos jours ».
La plupart sont historiennes et historiens, mais l’on trouve aussi une éducatrice (et chercheuse), une économiste, quelques anthropologues, des sociologues, des archéologues et un politiste. L’épilogue a quant à lui été confié à l’écrivaine Leonora Miano : autant dire que cet ouvrage hors-norme, qui a demandé quatre années de travail, s’est voulu d’emblée interdisciplinaire et libéré autant que nécessaire des verrous académiques.
Il s’est construit en trois parties. La première, intitulée « Situations », déroule de manière presque chronologique, du Néolithique à l’esclavage moderne, des études de cas intéressants des cinq continents, portant aussi bien sur les rapports de domination que sur leur mémoire, avec des détours par les formes juridiques de l’esclavage, ses justifications religieuses ou éthiques à travers les âges.
Situations, comparaisons, transformations
Il s’agit, écrit Paulin Ismard dans son introduction, de « redessiner la cartographie des esclavages dans l’histoire, en désordonnant un paysage traditionnellement centré sur l’histoire atlantique ». Et il ajoute : « Le jeu des contrastes révèle une des spécificités majeures de l’esclavage colonial européen, qui tient au rôle joué en son sein par l’ordre de la race ». C’est lui, rappelle-t-il encore, qui remet en question « la prétention universaliste que nous estimons avoir héritée des lumières. »
Pour montrer la singularité de certains phénomènes, que celle-ci s’exprime par son ampleur, sa durée, son horreur, ses impacts sociaux, économiques, politiques, le recours à la comparaison se montre nécessaire, et c’est l’objet de la seconde partie du livre, qui se présente comme un abécédaire, explorant vingt-six notions ou concepts, dont certains sont attendus – affranchissement, maîtres, révoltes, violence – quand d’autres peuvent au contraire surprendre, comme « l’esclavage volontaire », autrement dit la mise en gage de sa propre personne en échange de nourriture.
Viennent enfin les transformations, une suite d’essais qui articulent les grandes mutations de l’ordre religieux, philosophique ou économique et politique et le phénomène de l’esclavage. Comment les monothéismes ont-ils considéré l’esclavage ? Comment a-t-il accompagné l’Islam dans son expansion et comment les Églises chrétiennes se sont accommodés, ont soutenu ou critiqué la traite et l’esclavage atlantique ? Comment les Lumières ont-ils appréhendé ce phénomène ? Quel rôle a-t-il joué dans la mondialisation du capitalisme, notamment à travers ce que l’on a appelé « l’âge de la plantation » ?
Plus qu’une histoire globale, une histoire comparée
Si ce livre dessine une fresque de ce qui demeure peut-être la plus grande honte de l’histoire humaine, elle ne la présente pas, nous rappelle Paulin Ismard, « sous la forme d’un invariant ou d’un universel, mais à travers une multiplicité de traits qui se chevauchent et s’entrecroisent ».
En effet, « si une histoire globale de la traite et de l’esclavage est possible, une histoire des mondes de l’esclavage, qui fait droit à la plus grande diversité des sociétés comme à la discontinuité de leur histoire, est bien différente. » Aux côtés de l’esclavage déclaré – et des figures auxquelles cette notion ramène invariablement, du monde gréco-romain à la plantation caraïbe – on trouve quantité de situations intermédiaires, de la société de castes au servage et au travail forcé – qui revêt les allures d’un esclavage temporaire – de la mutilation sexuelle aux surprenantes ascensions sociales de de certains affranchis.
Revenir sur cette histoire qui est loin d’être close, tant par les conséquences qu’elle a eues sur la démographie de plusieurs continents que sur la structuration sociale, économique et politique des sociétés contemporaines, mais encore par l’existence de formes très diversifiées d’« esclavages contemporains », ce peut être aussi œuvrer en France, comme le dit Sylyane Larcher à propos de l’histoire antillaise et de sa longue histoire post-abolitionniste, « à décoloniser l’oubli ».
Et ce n’est sans doute pas un hasard si cette phrase du romancier mexicain Carlos Fuentes vient pratiquement conclure l’introduction de l’ouvrage : « Le futur n’a pas d’ancrage plus solide que le passé, car le passé est le seul avenir avéré que nous connaissions; le passé est la seule preuve que nous ayons que le futur a, en effet, existé. » Les mondes de l’esclavage sont aussi des lieux où des femmes et des hommes se sont battus pour leur émancipation. Paradoxalement, la fin de ces systèmes témoigne plus que tout autre instant de l’histoire humaine de sa grandeur et des espoirs qu’on peut encore y placer.
► Paulin Ismard (sous la direction de), Benedetta Rossi, Cécile Vidal (coordination), Les mondes de l’esclavage, une histoire comparée, Le Seuil, septembre 2021, 29,90€.
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