Cinéma: «Ailleurs, partout», sur les pas de Shahin, de l'Iran à l'Angleterre

Sur les écrans ce mercredi 1er décembre, « Ailleurs, partout », un documentaire d'Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter, récit mosaïque et émouvant qui secoue dans sa forme les codes du classique « film sur les migrants ». Quand les promesses d'un ailleurs meilleur se brûlent les ailes sur un partout pareil.

Affiche du film Ailleurs-Partout, sur les écrans le 1er décembre 2021, un documentaire de Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter.
Affiche du film Ailleurs-Partout, sur les écrans le 1er décembre 2021, un documentaire de Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter. © Philippe Elusse - DHR - À Vif Cinémas
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Quand, en Iran, Shahin « regardait les images du reste du monde du monde sur internet, il trouvait tout si différent : les maisons, les voitures, les gens, leur manière de s'habiller, les femmes... il réalise maintenant que les images ne rendent jamais l'atmosphère, alors que c'est avec elle qu'on vit ». Une atmosphère, c'est bien ça que met en place le documentaire d'Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter : une mosaïque d'images, un patchwork de sons pour raconter l'histoire de Shahin, 21 ans, que l'on ne voit pas à l'écran. On ne voit jamais celui ou celles qui parlent et on ne voit pas ce dont ils ou elles parlent.

Les deux réalisatrices ont rencontré le jeune Iranien deux ans plus tôt, en Grèce, où il avait échoué après avoir quitté l'Iran. Le film reconstitue son périple au fil du beau récit en voix off de Vivianne Perelmuter (la rencontre avec Shahin, ses confidences) ; au fil de la lecture par Shahin - en anglais - du procès-verbal de l'entretien du personnage avec les autorités d'immigration du Royaume-Uni où il a fait une demande d'asile ; et enfin au fil de ses conversations téléphoniques avec sa famille et surtout sa mère en Iran. À ces trois fils narratifs se mêlent des bruits d'ambiance, des souffles, des musiques qui donnent une épaisseur presque physique à la bande-son.

"Partout, ailleurs" documentaire d'Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter: des images de caméras thermiques pour raconter la course de migrants qui tentent d'échapper à la police. Dans le film, on ne voit jamais celui ou celle qui parle, ni ce dont il ou elle parle. L'action est hors champ.
"Partout, ailleurs" documentaire d'Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter: des images de caméras thermiques pour raconter la course de migrants qui tentent d'échapper à la police. Dans le film, on ne voit jamais celui ou celle qui parle, ni ce dont il ou elle parle. L'action est hors champ. © Philippe Elusse - DHR - à vif cinémas

Une mosaïque d'images

Shahin, qui rêve d'être boxeur, craignait pour sa sécurité en Iran parce qu'il s'est converti au bahaïsme, raconte-t-il à l'officier des migrations. Il voulait voyager, découvrir ce monde, en vrai et plus seulement par les images d'internet. Pour nous raconter en images son périple et sa vie en Angleterre, puisque le personnage est hors champ, les réalisatrices mêlent des images capturées sur le web : des phares dans la nuit, le faisceau d'un phare en mer, des séquences de caméras de surveillance, des silhouettes saisies par des caméras thermiques, des parkings vides sous la neige, des allées de grands magasins, la pluie sur une campagne verdoyante, un restaurant... des lieux où des gens seuls semblent périr d'ennui. Des images détournées de leur fonction initiale (de surveillance ou de consommation), expliquent les réalisatrices, « pour en dégager non pas l’exotisme ou le délit, l’explosion, l’accident ou le spectaculaire, mais le "presque rien", l’infime, "l’infra-ordinaire" selon le beau mot de Perec ».

"Ailleurs, partout", un film d'Isabelle Ingold et de Vivianne Perelmuter. Il y a aussi de la couleur et des sourires dans les images !
"Ailleurs, partout", un film d'Isabelle Ingold et de Vivianne Perelmuter. Il y a aussi de la couleur et des sourires dans les images ! © Philippe Elusse - DHR - À Vif Cinémas

« J'ai vieilli en accéléré »

Le récit de Shahin est semblable à celui de beaucoup de migrants, mais les choix narratifs des réalisatrices invitent le spectateur à sortir des sentiers battus. Les fragiles silhouettes capturées par les caméras thermiques font écho au récit de la course de Shahin pour échapper à la police en Serbie. Quelque part en Asie, une femme dans une cuisine de restaurant, coiffée d'une charlotte, essuie ses larmes. Sur la bande-son la mère de Shahin retient ses larmes en priant son fils de reprendre ses études. Sur l'image, dans les chats des échanges entre le jeune homme et les réalisatrices les mots se cherchent, hésitent, se raturent. Ce dispositif, avec poésie et une grande pudeur, raconte - au delà de l'histoire de Shahin - la fragilité et la grande solitude des migrants.

Dans la pension qu'il partage avec d'autres réfugiés - à peine arrivé sur le sol britannique il a été expédié dans une petite ville pauvre du nord de l'Angleterre où sont parqués les demandeurs d'asile - Shahin vivote. Le temps se dilue, les mois semblent des siècles. « J'ai 21 ans, je me sens vieux, j'ai vieilli en accéléré », raconte-t-il. En Iran, le monde extérieur qu'il voulait découvrir était virtuel ; en Angleterre, sa vie est également virtuelle : faute de papiers, de travail, d'amis, il passe ses nuits sur internet à visionner des images du monde entier. Comme dans sa vie d'avant, en Iran. « Je me réveille en colère, » confie-t-il.

Gracias a la vida, chante l'Argentine Mercedes Sosa. Merci la vie, Shahin obtient son statut de réfugié au Royaume-Uni. « Je n'ai pas fait tout ça pour rien, tout sera possible bientôt ». À l'image une mer froide et grise, un ciel glauque et sale, un port, deux digues qui s'éloignent. On rentre dans un port. Jeter l'ancre ? « Je regarderai au loin, je commanderai une glace à la pistache », rêve Shahin.

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