«La Disparition», une bonne nouvelle sous forme de média épistolaire
Pour conjurer l’apocalypse annoncée, ce journal naîtra en janvier 2022 sous le nom « La Disparition ». À l’ère numérique, Annabelle Perrin et François de Monès, deux jeunes journalistes trentenaires installés à Marseille, viennent de lancer le numéro zéro de ce média dédié au journalisme épistolaire. Des lettres-reportages envoyées du front des disparitions aux abonnés les recevant tous les quinze jours dans leur vraie boîte aux lettres.
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Entretien avec la cofondatrice et rédactrice en chef Annabelle Perrin lors de la présentation de La Disparition à la conférence annuelle des Nouvelles pratiques du journalisme à Sciences-Po.
RFI : Pourquoi ce titre La Disparition ?
Annabelle Perrin : Cela s’appelle La Disparition, parce qu’on chronique des disparitions en cours dans notre monde actuel. On peut parler de disparitions d’arbres, de quartiers, de certains services publics en France… Les premières lettres seront envoyées à nos abonnés au mois de janvier, toutes les deux semaines.
Vous souhaitez retrouver et réconcilier l’ancienne exigence journalistique avec une nouvelle proximité avec les lecteurs. Pourquoi avez-vous choisi la forme d’une lettre d’une dizaine de pages envoyée par la poste et pas d’une newsletter par mail ou d’un blog sur Internet ?
Nous avons eu envie à réinventer notre rapport à la boîte aux lettres et de la réenchanter. Aujourd’hui, quand on va relever son courrier, en général ce sont que des factures ou des publicités… Nous nous sommes dit que cela serait agréable d’être surpris par un récit d'un journaliste qui s’adresse à nous à la première personne en nous racontant une histoire.
Quand vous exprimez votre envie d’une reconquête du terrain, de quel terrain parlez-vous ?
C’est une reconquête du terrain, parce qu’on essaie d’incarner le plus possible les reportages. Toutes les lettres commencent par quelque chose comme : « À toi qui me lis ». On a envie que le lecteur se sente vraiment avec le journaliste sur le terrain. On veut aussi que le journaliste qui voit de ses propres yeux ce qu’il voit sur le terrain, qu’il se dise : j’écris à ma mère, à mon meilleur ami ou à quelqu’un que je connais. Je pense que pour le journaliste sur place, c’est une nouvelle manière de regarder et d’écrire, et pour le lecteur, c’est aussi une nouvelle manière de lire l’information.
Les premiers lecteurs, comment ont-ils réagi ?
Nous avons fait une lettre zéro, une sorte de prototype. Elle raconte la disparition annoncée des [3,5 millions] chauffeurs routiers aux États-Unis, menacés par des camions « intelligents » d’Amazon qui peuvent se conduire seuls, sans chauffeur. Le journaliste était sur place et a rencontré ces chauffeurs routiers, ceux qui faisaient grève… Il a passé beaucoup de temps avec eux dans les cabines. Certains de nos lecteurs nous ont écrits, à l’adresse postale de La Disparition à Marseille [sourire], en nous disant : « C’est super, parce que cela m’a donné envie de reprendre la plume. J’ai eu envie de prendre du papier et de vous dire : merci pour le moment que j’ai passé en lisant cela. Et j’ai aussi eu envie de répondre, de relancer une correspondance, d’écrire… » Il fut un temps, quand on était jeune, où l’on avait des correspondants à l’étranger, un copain allemand, etc. Et là, c’est presque pareil. Ce n’est pas un correspondant, mais c’est un journaliste.
À l’âge du tout numérique et de la 5G, vous soulignez qu’il ne s’agit pas d’un projet nostalgique, mais plein d’avenir, parlant de disparitions subies, mais aussi d’autres, souhaitées…
Certains pourraient, par exemple, souhaiter la disparition du nucléaire, d’autres du patriarcat… Il y a également des disparitions en cours et qui sont bénéfiques. L’un de nos journalistes raconte la disparition de la maladie du sommeil. C’était une maladie surtout en Afrique, provoquée par la mouche tsé-tsé. Depuis peu de temps, grâce au vaccin, grâce à la médecine, elle a [presque] disparu. Le journaliste sur le terrain raconte l’histoire des derniers malades. Ça, c’est une disparition souhaitable qui a eu lieu.
De quelle façon, La Disparition est-elle en diapason avec notre époque Covid ?
À la crise écologique, sociale et démocratique s’est ajoutée une nouvelle crise, la crise sanitaire. Pour la première fois, on traverse autant de crises et de bouleversements perturbateurs. Je crois sincèrement qu’on est à un carrefour et que parler de disparitions, c’est affronter les nouveaux bouleversements. Car derrière chaque disparition, il y a des décisions politiques qui ont été prises, mais aussi à prendre. Il faut les affronter. Il faut regarder la situation telle qu’elle est aujourd’hui. Pour cela, je crois que La Disparition est en accord avec le monde dans lequel on vit, un monde près du précipice, mais pas encore dans le trou.
► La Disparition, média épistolaire, sera envoyée à partir de janvier 2022 tous les quinze jours aux abonnés pour un prix de 11 euros par mois. Les préventes sont ouvertes sous forme de financement participatif sur la plateforme KissKissBankBank. À l’intérieur de l’enveloppe sera aussi : une carte postale en lien avec le sujet, un strip de BD, des mots croisés…
► Parmi les premières lettres-reportages de La Disparition prévues : un récit de Jean D’Amérique, prix RFI Théâtre 2021, qui racontera la disparition des jouets de son enfance en Haïti.
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