La semaine de

Le Mali et ses milliards

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Un nouveau rendez-vous sur RFI… Désormais chaque samedi, c’est « La semaine de... » : Jean-Baptiste Placca y livre sa vision sur l’actualité africaine de la semaine écoulée en compagnie de Jean-Jacques Louarn.

Le président français, François Hollande, et son homologue malien, Dioncounda Traore, à la conférence des donateurs, ce mardi 15 mai à Bruxelles.
Le président français, François Hollande, et son homologue malien, Dioncounda Traore, à la conférence des donateurs, ce mardi 15 mai à Bruxelles. REUTERS/Laurent Dubrule
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Jean-Jacques Louarn : A la conférence des donateurs, intitulée : « Ensemble pour le renouveau du Mali », ce mercredi 15 mai, à Bruxelles, les promesses de don ont atteint 3,25 milliards d’euros, alors que le Mali misait péniblement sur 2 milliards…

Jean-Baptiste Placca : Impressionnant, n’est-ce pas ? Quelle cote ! Il faut s’en réjouir pour le peuple malien. Mais, en même temps, comment ne pas regretter qu’il ait fallu que ce pays passe par un coup d’Etat, une partition, une tentative de sécession, et même une guerre pour avoir droit à une telle sollicitude, de la part des bailleurs de fonds ! Cela laisse à l’Afrique une impression, un sentiment bizarre. Comme une prime à la mauvaise conduite…

 
J.-J. L. : Comment cela, une mauvaise conduite ?
J.-B.P. : Mais oui ! Pouvez-vous comprendre pourquoi le Niger, pays voisin du Mali, qui est dans un cheminement démocratique crédible et sérieux, ne bénéficie pas de la même sollicitude de la part des donateurs ? Le Mali qui suscite cette compassion et toute cette solidarité n’est pas… le Mali normal. Ce Mali-là a surgi de l’incurie et de l’aventurisme d’une partie de l’élite politique et de ses alliés objectifs que sont les djihadistes et les narcotrafiquants. Ils ont humilié leur peuple, rabaissé leur pays, et cela leur vaut de lever 3 milliards et 250 millions d’euros.

J.-J. L. : Mais ces fonds n’iront pas dans leurs poches…
J.-B. P. : Mais eux vous diront qu’ils ont rendu le Mali éligible à cette générosité. On imagine qu’ils doivent en saliver, à l’heure qu’il est, en cherchant, évidemment, les subterfuges par lesquels s’inviter au festin… Parce qu’ils sont des prédateurs professionnels, en embuscade, et ils sauront trouver les moyens de se positionner du côté des vainqueurs, donc de ceux qui auront à gérer ce pactole. Surtout si l’on se précipite pour organiser des élections sans faire un minimum de ménage dans les écuries, comme le nécessiterait la confusion actuelle.

J.-J. L. : Alors, une fois que l’on a dit cela, qu’est-ce qu’on fait ? Parce que ces élections, elles sont bien indispensables…
J.-B. P. : Certes ! Mais c’est une erreur de croire qu’il suffit d’organiser précipitamment des élections pour que ce pays retrouve une certaine normalité. La plupart des crises graves que connaissent les Etats africains découlent d’élections mal préparées, truquées et finalement volées. Cet empressement à vouloir faire voter les Maliens, fin juillet, peut facilement déboucher sur des élections bâclées, qui mettraient en selle un bonimenteur. Dans ce pays, en particulier, le but des élections devrait aussi être de mettre le peuple à l’abri des imposteurs... Il ne faut jamais oublier que la situation actuelle résulte des inconséquences et des sournoiseries d’hier...

Algérie : Bouteflika au Val de Grâce 

Abdelaziz Bouteflika a été admis à l’Hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, ce samedi 27 avril 2013.
Abdelaziz Bouteflika a été admis à l’Hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, ce samedi 27 avril 2013. REUTERS/Louafi Larbi

J.-J. L. : Depuis un mois et demi, maintenant, une grève cyclique affecte à peu près tous les secteurs du système de santé, dans le pays. Et pendant ce temps, toujours aucune nouvelle du président Bouteflika, venu se soigner au Val de Grâce, à Paris…
J.-B. P. : Aucune nouvelle. Nul n’ira reprocher au président Bouteflika d’avoir des soucis de santé et de s’en préoccuper. Mais la fonction de chef d’Etat ne peut être à temps partiel. Vous vous souvenez qu’en novembre 1982, Ahmadou Ahidjo a démissionné de sa fonction de président de la République du Cameroun, juste parce qu’il était malade et ne se sentait plus capable d’assumer pleinement sa charge. Il n’a pas voulu être un chef d’Etat vacataire, qui passerait le plus clair de son temps dans les hôpitaux. C’est ainsi que lui concevait la loyauté vis-à-vis de son peuple.

J.-J. L. : Dans le cas du président Bouteflika, c’est aussi le fait qu’il aille se faire soigner en France qui interpelle ses concitoyens. Et parce que tous les Algériens n’ont pas ce privilège…
J.-B. P. : Vous l’avez dit : les hôpitaux algériens sont en grève. Et, si l’on en croit les syndicats, la tutelle, n’a même pas jugé bon d’organiser un service minimum… Ce n’est pas la première fois que le président Bouteflika prend ainsi ses quartiers au Val-de-Grâce. Et lorsqu’un demi-siècle après l’indépendance de son pays, un chef de l’Etat en est encore à aller systématiquement se faire soigner chez l’ancien colonisateur, c’est au moins le signe qu’il ne fait pas confiance au système de santé de son pays.

J.-J. L. : Enfin, il faut quand même reconnaître qu’en Algérie, comme dans bien d’autres pays africains, les hôpitaux sont sous-équipés, mal entretenus, effectivement, et n’ont pas tous les moyens de cette efficacité qui rassure les patients, les malades...
J.-B. P. : Oui, mais l’Algérie, avec ce qu’on lui prête comme réserves de change, pourrait, si le président Bouteflika le voulait, s’offrir une petite dizaine de « Val-de-Grâce ». La vérité est que si les dirigeants africains se soucient si peu de la qualité et des moyens des hôpitaux chez eux, c’est parce qu’ils ont, pour ainsi dire, lit ouvert au Val-de-Grâce. Eux et leurs familles !

J.-J. L. : On ne peut tout de même pas refuser de les soigner !...
J.-B. P. : Il s’agit, plutôt, de trouver les moyens de les contraindre à offrir le meilleur à leurs peuples. Que les Français refusent aux dirigeants africains l’accès au Val-de-Grâce, et vous verrez fleurir des hôpitaux de qualité sur le continent ! Ne les soignez plus !

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