Comment les médias couvrent-ils la grève et parlent-ils des mouvements sociaux contre la réforme des retraites ?
De nombreux Français se souviennent des grèves de 1995, avec sa paralysie des transports. C’est à l’époque que s’est cristallisée la critique des médias autour d’un traitement consistant à faire d’employés d’entreprises publiques des « privilégiés » par rapport aux autres salariés qui ne bénéficient pas de régimes spéciaux de retraite. Nul besoin d’être un disciple de Pierre Bourdieu pour mesurer ce qu’il peut y avoir d’incongru de comparer des conducteurs de métro aux nantis de l’Ancien régime. Et voilà qu’aujourd’hui, malgré les efforts du gouvernement pour ne pas abuser de ce mot, on le voit réemployé ici ou là, par exemple dans la bouche de Nathalie Saint-Cricq, la cheffe du service politique de France 2, lors de l’émission Vous avez la parole, qui a réuni 2,2 millions de téléspectateurs. Un record.
Face à des citoyens et des syndicalistes, Gérald Darmanin et Sibeth Ndiaye, le ministre des Comptes publics et la porte-parole du gouvernement y ont défendu pied à pied la philosophie générale de la réforme, notamment le service universel des retraites, sans ne rien pouvoir dire de précis sur le projet avant sa présentation, la semaine prochaine. Il a fallu le concours de Jean-Marc Dumontet, communicant non officiel de Macron, pour donner à cette réforme l’enthousiasme qui lui fait défaut. 58 % de Français, selon Elabe, approuvent la mobilisation sociale. La formule « face aux Français » a été imitée, sur C8, avec cette fois le secrétaire d’État aux Transports, Jean-Batiste Djebbari.
On se retrouve ainsi devant un cas de figure comparable à 1995, dans la façon dont les grands médias donnent le ton en évoquant surtout la problématique des « usagers des transports », le « jeudi noir » de la grève, le « coût des régimes spéciaux », le « casse-tête des entreprises »… En même temps, dans une société des réseaux sociaux, les gens n’ont plus tellement besoin des médias, et encore moins des éditorialistes, pour savoir ce qu’ils doivent penser et s’il faut se mobiliser.
Bruce Toussaint, sur BFM TV, a parlé de parents d’élèves ou d’usagers « qui ne sont pas directement concernés par le mouvement », comme s’ils ne prenaient pas leur retraite. La CGT de France Télévisions a évoqué des consignes de sa direction, dans la grande tradition de l’ORTF, pour éviter les termes « colère » ou « grève générale », mais aussi « prise d’otages ». Et en même temps, les médias ont été au cœur de réflexions stratégiques des syndicats. À Radio France, qui va bientôt entamer sa troisième semaine de grève contre 299 suppressions d’emplois, on prend soin de ne pas trop affecter les tranches d’information. On y parle… de la grande grève.
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