Allemagne: climat, cannabis, rigueur budgétaire au programme d'une coalition inédite
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Les sociaux-démocrates allemands, les Verts et les libéraux ont conclu ce mercredi 24 novembre un accord gouvernemental pour former une coalition gouvernementale inédite. Cela ouvre une nouvelle ère après 16 années avec Angela Merkel à la tête du pays.
Près de deux mois après les élections législatives marquées par une débâcle historique pour le camp conservateur de la chancelière, le social-démocrate Olaf Scholz va entrer à la chancellerie. Pour la première fois au niveau fédéral, les sociaux-démocrates gouverneront avec les verts et les libéraux, une coalition baptisée feu tricolore en Allemagne en référence aux couleurs politiques des différents partis (rouge, vert et jaune). « Le feu tricolore est là » a d'ailleurs lancé Olaf Scholz ce mercredi lors de l'annonce de l'accord. Ces trois formations ont indiqué être tombées d'accord sur un « contrat » de coalition intitulé « Oser plus de progrès. Alliance pour la liberté, la justice et la durabilité ». 177 pages pour clore l’ère Merkel.
Le SPD peut se féliciter de plusieurs avancées sociales, souligne notre correspondant à Berlin, Pascal Thibaut. L’augmentation à 12 euros du Smic horaire, la stabilité des retraites, un plan ambitieux pour la construction de logements figurent notamment au sein de cet accord.
Le futur chancelier affirme que l'Allemagne veut placer la défense d'une « Europe souveraine » au cœur de sa politique étrangère. Une « Europe souveraine est la clé et c'est un devoir pour notre politique étrangère », a déclaré le social-démocrate qui veut « rendre possible cette Europe souveraine, la promouvoir et la faire progresser ».
Nous voulons constituer la première coalition tricolore entre sociaux-démocrates, verts et libéraux au niveau fédéral, une coalition d’égal à égal avec trois partenaires qui mettent leurs forces en commun au profit de notre pays. Nous ne représentons pas une politique du plus petit commun dénominateur, mais un projet ambitieux : pour la protection du climat, pour la transformation de notre industrie, pour la modernisation de notre pays, pour le renforcement de la cohésion sociale.
Olaf Scholz sur le « contrat » de coalition
Un retour de la rigueur en 2023
Le parti libéral allemand, parti proche des entrepreneurs, héritera du ministère clé des Finances dans le nouveau gouvernement tripartite de la première économie européenne. Le document ne livre pas de nom, mais le président du FDP Christian Lindner, un chantre de l'austérité budgétaire, est considéré comme favori pour endosser la fonction de grand argentier, que convoitait aussi le président des Verts Robert Habeck.
répartitation des ministères (récap):
— Pascal Thibaut (@pthibaut) November 24, 2021
SPD: chancelier Olaf SCholz, Intérieur (Christine Lambrecht?), Défense, construction & logement, Affaires sociales (Hubertus Heil), Santé, coopération
Verts: Aff. étrangères (Baerbock), Economie & Climat (Habeck), Famille, Agriculture
La nouvelle coalition gouvernementale compte d'ailleurs revenir « en 2023 » aux règles de rigueur budgétaire, dont le frein constitutionnel à l'endettement, selon l'accord entre les partis présenté mercredi.
Après une année 2022 marquée encore par la pandémie, « nous limiterons à partir de 2023 l'endettement à ce que permet le frein constitutionnel », selon le contrat de coalition négocié pendant plusieurs semaines entre SPD, FDP et les Verts. Le texte prévoit toutefois des moyens budgétaires « sans précédent » pour respecter les objectifs climatiques.
Ce grand écart explique pour Paul Maurice, spécialiste de la politique intérieure allemande et relations franco-allemandes à l'IFRI interrogé par RFI, les discussions préalables : « C'était ça qui allait poser le problème au départ. C'est pour ça que les Verts ont commencé à discuter ensemble parce qu'ils avaient le plus de point de friction avant de discuter avec d'autres partenaires. Le but des libéraux est aussi d'arriver à une industrie forte et une économie décarbonée [...] Si tout fonctionne, tout le monde pourrait trouver son compte. »
Cette austérité budgétaire qui ne concernera pas les investissements pour la transition écologique est une très belle avancée pour la cause environnementale selon l'eurodéputé Europe-Écologie les Verts David Cormand. « C'est un débat que l'on essaye de porter aussi au niveau européen sur la règle du déficit des 3%. On plaide au niveau européen pour que cette règle des 3% exclut du calcul les investissements nécessaires à la transition écologique. C'est un gain important, puisque les libéraux n'étaient sans doute pas favorables à cela », souligne-t-il au micro de notre envoyé spécial à Strasbourg, Daniel Vallot.
Vers la fin du charbon en 2030
Les écologistes, membres de cette nouvelle coalition, vont en effet hériter de cinq ministères dont celui des Affaires étrangères et un « super-ministère » regroupant l'Économie et la protection du climat. Les noms des futurs ministres ne sont pas précisés dans le contrat de coalition dévoilé ce mercredi. Mais selon la presse allemande, la coprésidente des Verts, Annalena Baerbock, devrait devenir la première femme à diriger la diplomatie du pays. La tonalité devrait être différente au sein du ministère en raison de l’importance des droits de l’homme chez les Verts critiquant notamment la Russie et la Chine.
Et l'autre dirigeant du parti écologiste, Robert Habeck, devrait être nommé à la tête du « super-ministère », avec en plus le titre de vice-chancelier du futur gouvernement d'Olaf Scholz.
La nouvelle coalition qui va prendre les commandes de l'Allemagne a annoncé vouloir accélérer la sortie du charbon et l'avancer à 2030 « dans l'idéal », au lieu de 2038, selon l'accord conclu entre les trois partis. Les énergies renouvelables doivent permettre en 2030 de couvrir 80% des besoins énergétiques de l’Allemagne contre 45% en 2020.
►À lire aussi : Aujourd'hui l'Économie - Pourquoi le charbon freine les engagements climat du G20
« L'idéal serait d'y parvenir dès 2030, exposent dans leur contrat sociaux-démocrates, écologistes et libéraux. Cela exige le développement massif des énergies renouvelables [et implique] la construction de centrales à gaz modernes afin de couvrir les besoins croissants en électricité et en énergie au cours des prochaines années à des prix compétitifs. »
Pour Anna Deparnay-Grunenberg, eurodéputée du parti des Verts allemands, l'Allemagne peut devenir un modèle : « Je pense que c'est un accord qui met sérieusement l'Allemagne en accord avec nos grands buts sur le climat. On sort du charbon en 2030, d'ici là, on veut avoir plus de 80% de l'énergie en renouvelable, c'est-à-dire ni charbon, ni gaz fossile, ni l'énergie nucléaire. Et c'est énorme ! Nous avons aussi la fin du moteur à combustion avant 2035, ajoute-t-elle interrogée par RFI. Je pense que si l'Allemagne réussit sa transition écologique et que les frictions sociales ne vont pas être trop forte, bien sûr que ça peut devenir un modèle. »
Le cannabis bientôt légalisé
La coalition qui va prendre les commandes de l'Allemagne a aussi annoncé vouloir légaliser le cannabis. « Nous introduisons la distribution contrôlée de cannabis aux adultes à des fins de consommation dans des magasins agréés », annonce le contrat de gouvernement présenté mercredi.
La nouvelle coalition entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux veut aussi développer les opérations de drug-checking, destinées à vérifier que les drogues ne sont pas coupées avec d'autres substances. L'Allemagne avait déjà donné son feu vert en 2017 au cannabis à usage thérapeutique.
On a une répartition équitable et équilibrée des postes qui permet d'arriver aussi sur la scène européenne et internationale avec des compromis.
Paul Maurice, spécialiste de l'Allemagne à l'IFRI, analyse les premières annonces concernant la coalition gouvernementale
Une quatrième vague comme premier défi
Après l’approbation du texte par les membres du parti écologiste et par les congrès du SPD et du FDP, le Bundestag pourra élire dans la semaine du 6 décembre, comme prévu, Olaf Scholz. Le social-démocrate, numéro deux du gouvernement sortant de grande coalition, deviendra le neuvième chancelier allemand depuis 1949.
Mais avant que le contrat de coalition très détaillé ne puisse être traduit dans les faits, les nouveaux responsables devront dans l’urgence affronter une quatrième vague de la pandémie de Covid-19 qui frappe rudement l’Allemagne. Plusieurs commentaires ce matin soulignent que les projets de la nouvelle coalition sont soumis dans l’immédiat à cette hypothèque.
Sur le plan international, les États-Unis ont d'ores et déjà déclaré mercredi s'attendre à des relations « incroyablement étroites » avec le nouveau gouvernement allemand qui va voir le jour après l'annonce d'un accord de coalition entre sociaux-démocrates, écologistes et libéraux. « Nous sommes impatients de travailler avec le nouveau gouvernement allemand sur nos objectifs de revitalisation du partenariat transatlantique, de renforcement de la coopération avec nos alliés au sein de l'Otan et d'ambition renouvelée dans nos relations avec l'Union européenne », selon un porte-parole de la diplomatie américaine.
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