Soudan: le Premier ministre civil Abdallah Hamdok annonce sa démission

L'économiste onusien devenu Premier ministre du Soudan Abdallah Hamdok a annoncé sa démission ce dimanche 2 janvier 2022 dans la soirée, après une nouvelle journée de manifestation durant laquelle au moins trois personnes ont été tuées. Hamdok était revenu au pouvoir il y a moins de deux mois, dans le cadre d'un accord politique conclu avec les militaires.

Le Premier ministre soudanais démissionnaire Abdallah Hamdok, le 21 de novembre 2021 à Khartoum lors de son retour au pouvoir avec les militaires
Le Premier ministre soudanais démissionnaire Abdallah Hamdok, le 21 de novembre 2021 à Khartoum lors de son retour au pouvoir avec les militaires © AFP
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Il a finalement annoncé dimanche sa démission, dans un discours télévisé à la nation. « J'ai tenté de mon mieux d'empêcher le pays de glisser vers la catastrophe, alors qu'aujourd'hui il traverse un tournant dangereux qui menace sa survie [...] au vu des conflits entre les composantes (civile et militaire) de la transition [...] Malgré tout ce qui a été fait pour parvenir à un consensus [...] cela ne s'est pas produit », a-t-il notamment expliqué.

Mais en raison de la « fragmentation des forces politiques et des conflits entre les composantes de la transition », il ne voyait pas d'autre solution que de démissionner.

Cette démission ne surprendra pas les Soudanais. Hamdok avait menacé à plusieurs reprises de quitter l'accord politique qu'il avait conclu avec la junte, faute de consensus. Il avait eu du mal à trouver des volontaires civils de venir le rejoindre pour former un gouvernement.

Les Soudanais, dont nombreux ont encore manifesté ce dimanche, le voyait comme un « traître » qui aidait les militaires à « faciliter le retour de l'ancien régime ». Trois personnes ont été tuées par les forces de sécurité, selon l'association de médecins proche du mouvement de contestation durant la journée de manifestations.

Mais ni la répression, ni la démission d'Hamdok n'affaibliront leur mobilisation ont fait savoir les révolutionnaires, qui n'arrêteront pas avant le départ des militaires et la reprise du contrôle de la transition par des civils.

Nous avons aussi enregistré plusieurs blessés. Le problème, c'est qu'ils ne peuvent pas vraiment accéder aux soins médicaux. Les hôpitaux sont dangereux. Dimanche, les forces de sécurité ont envahi l'hôpital principal de Khartoum à deux reprises. Ils cherchaient des révolutionnaires qui avaient été blessés et le personnel de santé qui les ont soigné… Ils n'arrêtent pas de s'en prendre aux hôpitaux pour chercher toute personne ayant participé aux manifestations pour les arrêter.

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Prise de contrôle de l’armée en octobre

En août 2019, il incarnait l'espoir d'une remise du pouvoir aux civils : il devait un temps partager la direction de ce grand pays d'Afrique de l'Est, l'un des plus pauvres au monde, avec l'armée quasiment toujours aux manettes depuis l'indépendance. 

Ensuite, ce moustachu grisonnant de 65 ans rentré au Soudan dans la foulée de la « révolution » qui renversa en 2019 Omar el-Béchir aurait repris les rênes. Il aurait été entouré uniquement de civils pour organiser les premières élections libres après trois décennies de dictature militaro-islamiste.

Mais le 25 octobre à l'aube, des soldats ont débarqué chez lui, l'emmenant avec son épouse chez le général Abdel Fattah al-Burhan. Le chef de l'armée annonçait peu après dissoudre toutes les institutions du pays et mettait de fait un point final à la transition démocratique.

D’« otage » à « traître »

Un mois plus tard, le 21 novembre, le Premier ministre, arrivé au pouvoir grâce au soutien des partisans d'un transfert complet du pouvoir aux civils, sortait de résidence surveillée. Il retrouvait dans le même son poste aux termes d'un accord contesté avec le même général Burhan, qui s’était engagé à libérer tous les prisonniers politiques. Au même moment, il devenait pour la rue, qui longtemps avait réclamé la libération de son héros « otage », un « traître » qui, en s'alliant avec l'armée, facilitait de fait « le retour à l'ancien régime ».

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Abdallah Hamdok, lui, plaidait la bonne foi, assurant vouloir faire « cesser l'effusion de sang » face à une répression ayant fait une cinquantaine de morts et sauvegarder « les acquis de la révolution » dans le pays qui amorce toujours son retour dans le concert des nations. Mais le 19 décembre, pour le troisième anniversaire du lancement de la « révolution », il reconnaissait « un grand pas en arrière sur le chemin révolutionnaire », dénonçant violence et blocage politique.

En un peu plus de deux ans, il a mené des réformes économiques qui ont pesé sur le quotidien des Soudanais mais qui ont été des gages pour les bailleurs, permettant d'obtenir l'allègement de la dette soudanaise et une levée des sanctions américaines. Abdallah Hamdok a aussi contribué à la conclusion d'un accord de paix en 2020 avec une coalition de groupes rebelles. Mais il ne sera parvenu à obtenir justice auprès des militaires pour les 250 morts de la révolution contre Omar el-Béchir.

Fin octobre, quand Abdallah Hamdok a été placé pendant un mois en résidence surveillée, les États-Unis ont suspendu le versement de centaines de millions de dollars d'aide. Et ce lundi matin, le bureau des affaires africaines du département d'État américain demande la restitution du pouvoir aux civils et la fin des violences contre les manifestants.

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