Kosovo : l’enquête sur le trafic d’organes s’élargit
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L’affaire du trafic d’organes au Kosovo pourrait connaître un rebondissement majeur. Mardi, les noms de deux nouveaux inculpés dans l’un des volets de cette affaire – celui qui concerne la clinique Medicus de Pristina – ont été dévoilés. Il s’agit de responsables politiques de premier plan, proches du Premier ministre Hashim Thaçi.
De notre correspondant à Pristina,
Lundi 29 avril, le tribunal spécial de la mission européenne Eulex, dirigé par le procureur américain Jonathan Ratel, condamnait cinq médecins du Kosovo pour le trafic d’organes pratiqué dans la clinique Medicus, un établissement privé de la banlieue de Pristina. Les accusés ont été reconnus coupables de « crime organisé, trafic d’organes, coups et blessures, abus de fonction, fraude et trafic d’influence ». Le docteur Lutfi Dervishi, propriétaire de la clinique, écopait d’une peine de huit années de prison.
Dans cette clinique, qui a fermé ses portes en 2008, des donneurs « volontaires », venus de Russie, d’Ukraine, de Moldavie, de Turquie, d’Inde ou du Pakistan vendaient l’un de leurs reins – pour un prix de l’ordre de 15 000 euros – tandis que de riches receveurs, originaires notamment d’Allemagne ou du Canada, payaient 100 000 euros pour une transplantation. Le tribunal a confirmé « au moins » 30 transplantations opérées dans ces conditions.
Après avoir rendu son verdict, le tribunal annonçait qu’il allait inculper huit nouvelles personnes. Mardi dernier, le quotidien de Pristina Koha Ditore a révélé le nom de deux de ces inculpés : l’ancien ministre de la Santé du Kosovo, Alush Gashi, et le docteur Shaip Muja, un conseiller et très proche collaborateur du Premier ministre Hashim Thaçi. Ces accusations concernent spécifiquement le trafic illégal d’organes qui se déroulait dans le cadre de la clinique Medicus, mais ces mêmes noms reviennent dans l’autre affaire de trafic d’organes, celui qui aurait été pratiqué durant la guerre du Kosovo par la guérilla de l’UÇK sur des prisonniers serbes.
Selon le rapport présenté devant le Conseil de l’Europe en décembre 2010 par le député Dick Marty, ces civils, kidnappés par la guérilla au printemps et à l’été 1999, auraient été transférés dans des centres de détention secrets en Albanie. Les prisonniers étaient abattus puis leurs deux reins étaient immédiatement prélevés. Ces crimes auraient eu lieu dans une clinique « provisoire » installée dans la petite ville de Fushe Kruja, non loin de l’aéroport de Tirana, par lequel les organes étaient exportés. Plusieurs dizaines de personnes auraient été assassinées dans ces conditions. Au total, près de 500 Serbes, officiellement portés disparus, auraient été déportés en Albanie – et, à ce jour, aucun n’a été revu vivant.
Au début des années 2000, la clinique Medicus aurait « pris le relais » du trafic mené sur les prisonniers serbes, et les noms des mêmes personnages sont cités dans les deux affaires. Ainsi, selon le rapport de Dick Marty, le docteur Shaip Muja, qui était le chef du service médical de la guérilla, aurait lui-même procédé aux ablations d’organes sur les prisonniers assassinés. Les mêmes réseaux internationaux sont également impliqués : un nom revient dans les deux affaires, celui d’un médecin turc, Jusuf Sönmez, surnommé « docteur Vautour », qui a été jugé par contumace à Pristina. Après avoir été brièvement interrogé par la justice turque en 2011, sur la base du mandat d’arrêt transmis par Eulex, il a été remis en liberté, la Turquie n’extradant pas ses ressortissants. Le « docteur Vautour » aurait désormais ouvert une nouvelle clinique en Afrique du Sud, toujours spécialisée dans la transplantation d’organes… Il en va de même pour Moshe Harel, un ressortissant israélien qui aurait joué le rôle de « rabatteur de clients » pour la clinique Medicus, et qui a également été jugé in absentia à Pristina.
Toutes les personnes citées – et condamnées par la justice – sont des proches d’Hashim Thaçi, qu’il s’agisse de Lutfi Dervshi, le propriétaire de la clinique Medicus, ou du docteur Shaip Muja. Jusqu’à présent, le Premier ministre du Kosovo a toujours démenti en bloc toutes les accusations, niant la réalité du moindre trafic d’organes ayant impliqué des cadres de l’UÇK, mais sa ligne de défense est de plus en plus difficile à tenir. Il est en effet prouvé par la justice qu’un trafic international a bien eu lieu au Kosovo, et que celui-ci a impliqué des cadres importants de l’ancienne guérilla. Toute la question est donc désormais de savoir si la clinique Medicus a bel et bien « pris le relais » d’un trafic entamé dès l’époque de la guerre…
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