Témoignage

Aliénor, 31 ans, reconnue travailleuse handicapée: «Travailler, je ne demandais que ça»

Aliénor, reconnue travailleuse handicapée, n'a jamais pu garder d'emploi malgré son double master et sa maîtrise de quatre langues.
Aliénor, reconnue travailleuse handicapée, n'a jamais pu garder d'emploi malgré son double master et sa maîtrise de quatre langues. © Mandi Heshmati/RFI

Entre harcèlement et tâches non adaptées à sa santé, Aliénor, 31 ans, enchaîne les déconvenues dans le monde du travail. Elle parle quatre langues et possède un double master en ingénierie culturelle. Pourtant, elle n’a jamais pu garder un emploi. À l’occasion de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, elle témoigne de son chemin de croix.

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RFI: Quels sont vos handicaps, et de quelle manière peuvent-ils influencer votre travail 

Aliénor : Je suis atteinte d’une tétraparésie spastique - une paralysie légère des quatre membres - et de fibromyalgie. Mes handicaps font que j’ai du mal à me repérer dans l’espace. Quand je dois tracer un tableau, c’est clair dans ma tête, mais mes mains ne suivent pas. Les tâches du quotidien sont beaucoup plus fatigantes pour moi, je ne dois pas porter de charges lourdes, et je ne dois pas rester debout trop longtemps. 

Quels problèmes avez-vous rencontrés dans le monde du travail ? 

Mon handicap n’est pas forcément visible à première vue. J’essaie de le camoufler au maximum. Alors je ne suis pas prise au sérieux quand j’en parle aux employeurs. À 24 ans, j’effectue un CDD d’été dans une parfumerie. Je parle de mes difficultés. Pourtant, je me retrouve à rester debout des heures d’affilée. Je n’arrive pas à coller les étiquettes sur les flacons de parfum, je dois porter des cartons lourds. Je finis par faire une cruralgie - c’est une grosse douleur au dos - et je ne peux plus marcher. Quand j’en parle à ma responsable, elle me dit que ce travail est comme ça, et qu’elle ne peut rien y faire. Je décide de ne pas parler de mes handicaps pour mon emploi suivant, un stage en rédaction web. Sinon, j’avais peur de ne pas être prise, ou d’être jugée. Mais mon maître de stage finit par s’en rendre compte, et il devient odieux avec moi. Il reste derrière moi toute la journée, et me crie : « Aliénor, tu es vraiment une incapable, et ça, tu aurais dû me le dire avant ! Parce que je ne t’aurais jamais embauchée. J’ai hâte que ton contrat se termine ». Il le dit devant tout le monde, personne ne bronche. 

Après mes stages d’études, j’ai toujours spécifié que je suis RQTH (reconnue comme travailleuse handicapée, ndlr), et ce que ça implique. Une mention qui m’a valu des discriminations à l’embauche. Un jour, lors d’un entretien téléphonique, un recruteur dit qu’il me met en attente le temps de lire mon CV. Mais il n’appuie pas sur le bon bouton, et j’entends tout. Il souffle à son collègue : « C’est une bougnoule, et en plus, elle est handicapée ! C’est mort. » Puis il revient vers moi et me dit : « Navré, mais après étude de votre dossier, vos compétences ne sont pas adaptées au poste. » 

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Chacun de vos emplois s'est soldé par des soucis ?

Je finis par décrocher un CDI en tant que réceptionniste de nuit dans un hôtel. Lors de l’entretien, je comprends qu’il est possible de rester à l’accueil, et d'échanger avec une clientèle internationale. J’étais enthousiaste : mes compétences en anglais, italien et espagnol allaient pouvoir être utiles. Mais dans la pratique, je me retrouve à devoir en plus porter des kilos de linge et le matériel du petit-déjeuner. Mais je veux tellement garder cet emploi que je tire sur la corde. Je prends des médicaments pour tenir, je me force. Résultat : je finis en burn-out. Fin de l’expérience. Après cet énième échec, je lance mon auto-entreprise de formation en langues. Mais je n’arrive pas à avoir de clients. Je finis par la fermer. C’en était trop : je fais une tentative de suicide. À ce moment-là, je n’en peux plus. J’enchaîne les emplois, rien ne se passe. Jamais je n’aurais ma stabilité. J’aurais tellement aimé travailler, je ne demandais que ça. Mais on n’a fait que me casser et me rabaisser. Puis l’année du Covid arrive. Je demande à être placée en maison de repos.

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Quelle est votre situation aujourd’hui ? 

Je suis toujours à la recherche d’un CDI. À côté, j’ai décidé de reprendre ma boîte de formation, Cloud Atlas learning, et d’y ajouter une nouvelle spécialisation : le suivi de personnes en situation de handicap. Je leur donne les conseils que j’aurais aimé avoir lorsque j’ai commencé à travailler. Ils m’expliquent leurs handicaps, et je leur dis comment bien décrire dès l’entretien ce que ça implique. Si je devais dire un mot aux recruteurs, c’est : même avec un handicap, on est capable de travailler. Chacun a une force en soi, donc donnez-nous une chance. Et un mot pour les personnes en situation de handicap : assumez votre différence, ce n’est pas parce que votre sac à dos est plus lourd que vous êtes moins légitime que les valides sur le marché du travail.

Pour aller plus loin : la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées 

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