Russie: 32 ans de combat «liquidés» pour l’ONG Memorial ?
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Pilier historique de la lutte pour la démocratie en Russie, la plus emblématique des ONG russes, créée en janvier 1989, avec le soutien du physicien et Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov. Elle est menacée de « liquidation », c'est le terme utilisé par la justice. Une audience a lieu ce jeudi à la cour suprême de Moscou et le verdict sera rendu en décembre.
De Sakharov à Mouratov : un Nobel de la paix russe pour la fondation en 1989 avec d’autres dissidents, un autre pour demander que la justice ne prononce pas sa « liquidation ». En trente deux ans, Memorial a joué un rôle de premier plan dans la documentation de la répression stalinienne puis a étendu son travail aux violations des Droits de l’homme et aux prisonniers politiques dans l’espace post soviétique.
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C’est un apport considérable à l’Histoire, juge -comme beaucoup d’historiens- Konstantin Andreev, chef du centre de formation du musée du goulag à Moscou : « Memorial est une des institutions clés pour étudier le sujet des répressions. Ce sont des gens qui font un apport considérable au travail sur ce sujet de réflexion de l’époque soviétique, des répressions de masse. Et tous ceux qui écrivent des travaux de recherche citent bien sûr ces sources apportées dans le milieu scientifique par les chercheurs qui travaillent chez Memorial ».
Comme lui, ils sont nombreux à avoir du mal à croire à la fin de cette ONG emblématique et pourtant... Les motifs des procédures judiciaires entamées sont graves. Apologie d'« activités extrémistes et terroristes », à cause de sa liste de prisonniers politiques, dont certains membres d’organisations interdites, comme les témoins de Jéhovah, ou le mouvement Navalny. Une première audience a eu lieu cette semaine sur ce dossier, mais le jugement attendu dans la capitale russe fait encourir un risque de liquidation immédiate : ce sont des violations à la loi sur les agents de l’étranger.
Signaler toutes ses publications
Comme toute organisation classée sous ce statut infamant en Russie, Memorial doit le signaler sur toutes ses publications. Quelques manquements en sept ans passés sous cette étiquette et c’est donc un couperet que personne n’attendait à Memorial. « Nous sommes partagés entre la gravité et la tristesse. Quand nous avons reçu ces documents merveilleux de la justice, nos premiers sentiments étaient l’étonnement, le rage et le rire. Parce que la lecture de l’acte d’accusation du procureur ne peut pas évoquer autre chose, dit Alexandre Tcherkassov, devenu le dirigeant de la branche Droits de l’homme de Memorial. On ne ferme pas une organisation pour quelque chose qu’il est possible de modifier. On a eu des remarques, on a tenu compte de ces remarques. Pour nous, ça revient à être fusillé pour avoir traversé la rue en dehors du passage piéton. C’est vrai qu’il ne faut pas traverser la rue n’importe comment, mais cette mesure est incohérente. »
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La rapporteuse spéciale de l’ONU sur les défenseurs des Droits humains s’est inquiétée qu’à la suite de Memorial, les acteurs restants de la société civile russe soient aussi visés. Emprisonnement ou départ à l’étranger, les voix critiques en Russie se font déjà de plus en plus rares. Pour le politologue Mikhaïl Vinogradov, « avec cette vague d’interdictions, de restrictions, de désignation comme agents de l’étranger différentes organisations, on assiste ce printemps et cet automne à une sorte de démonstration de la manière dont les représentants de l’appareil d’État et de police luttent contre une menace imaginaire sur la Russie et sur le pouvoir russe. Le prix Nobel de la paix attribué à Dimitri Mouratov a probablement freiné un temps ce processus, mais on voit bien maintenant que le championnat du radicalisme ne s’arrête pas ».
À Memorial, on a une longue histoire de pression et de persécutions. Parmi les plus tragiques, l’assassinat en 2009 de sa représentante en Tchétchénie Natalia Emisterova. Elena Jemkova, directrice exécutive de Memorial, refuse cependant de s’avouer vaincue : « La situation est grave, dangereuse. Mais si on est liquidé, on recommencera tout à zéro : on retrouvera de l’argent, on retrouvera le local, on le réaménagera et on y mettra nos archives ». Interrogé sur le dossier ce mardi, le porte-parole du Kremlin a refusé de commenter l'affaire, ce n’est « pas une priorité » à l'agenda présidentiel a estimé Dimitri Peskov.
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