Svetlana Tikhanovskaya: «La pression exercée par les Européens sur le régime biélorusse est insuffisante»

L'opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaya au Parlement européen, à Strasbourg, le 24 novembre 2021.
L'opposante biélorusse Svetlana Tikhanovskaya au Parlement européen, à Strasbourg, le 24 novembre 2021. AFP - JULIEN WARNAND

L’Europe doit en faire davantage contre le régime d’Alexandre Loukachenko : c’est le message qu’a adressé Svetlana Tikhanovskaya aux députés européens qui l’ont reçue ce mercredi 24 novembre à Strasbourg. La dirigeante de l’opposition biélorusse en exil demande de nouvelles sanctions économiques pour contraindre Alexandre Loukachenko à libérer les prisonniers politiques et à entamer des négociations. À l’issue de cette rencontre à Strasbourg avec les eurodéputés, Svetlana Tikhanovskaya a répondu aux questions de notre envoyé spécial Daniel Vallot.  

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RFI : Vous demandez aux pays européens d’en faire davantage face à Alexandre Loukachenko. Cela signifie qu’à vos yeux les sanctions déjà adoptées et les mesures prises contre Minsk sont insuffisantes ? 

Svetlana Tikhanovskaya : Je pense que l’Union européenne est une union de pays puissants, et qu’elle pourrait faire beaucoup plus. Nous voyons que les pays européens sont unis, et avec une coalition aussi forte, bien plus de choses pourraient être faites pour nous aider. Le fait qu’il y ait encore autant de détenus politiques en prison montre que la pression exercée par les Européens sur le régime biélorusse est insuffisante. 

Quelles mesures attendez-vous de la part des Européens ?  

Tout d’abord, nous demandons plus de soutien pour la société civile. Des centaines de milliers de personnes ont été obligées de fuir leur pays. Des médias ont été fermés, des ONG ont dû s’exiler à cause de la répression et tous ces gens ont besoin d’aide, une aide précieuse qui pourrait venir de l’Europe. 

Ensuite, nous pensons que la pression économique sur le régime peut jouer un rôle crucial dans ce combat et je pense que l’Union européenne pourrait avec une politique de sanctions plus forte. 

Enfin, nous demandons que justice soit rendue devant les Cours internationales. Mais à ce jour pas une seule procédure n’a été entamée contre le criminel qui est au pouvoir en ce moment en Biélorussie ! Donc, il y a besoin de plus de volonté politique pour mettre en œuvre ces actions.  

En raison de la crise migratoire, des contacts ont été noués entre les Européens et Loukachenko. Craignez-vous que ces contacts puissent aboutir à une forme de négociation et même de reconnaissance de facto du régime ?  

Vous faites sans doute allusion aux conversations téléphoniques entre Angela Merkel, la chancelière allemande, et Loukachenko. Bien sûr, cela a été une surprise pour nous, mais nous comprenons que cela n’a été fait que pour des raisons humanitaires. Et qu’il ne s’agit ni de reconnaître ni de légitimer ce régime. Nous voyons à présent qu’il y a moins de pression à la frontière, que des vols ont été affrétés pour rapatrier les gens et que des missions humanitaires ont été autorisées à les aider… Donc, cela veut dire que tout cela a fonctionné. Mais on m’a garanti qu’il n’y aurait pas de stratégie de reconnaissance de Loukachenko. 

Récemment le président russe Vladimir Poutine a demandé au régime biélorusse d’ouvrir un dialogue avec l’opposition. Est-ce que cela vous a surpris ? Pensez-vous que c’est sincère… et que c’est un pas positif ?  

En réalité il n’a pas fait de demande, c’est juste un communiqué et nous ne savons pas de quelle opposition il parle ! Car en Biélorussie il y a une opposition factice et le Kremlin à tout moment peut prétendre qu’il parlait de cette opposition-là. Nous avons entendu la réponse de Loukachenko à propos de Navalny (NDLR interrogé par la BBC le dirigeant biélorusse a déclaré, le 19 novembre dernier, « qu’il parlerait à Svetlana Tikhanovskaya quand Poutine parlerait à Navalny »). En fait on dirait une sorte de querelle entre eux.

Si un dialogue devait s’ouvrir avec Loukachenko, malgré tout, quelles seraient vos conditions pour que cela ait lieu 

Depuis le début, nous n’avons qu’une seule condition à ce dialogue : c’est la libération de tous les prisonniers politiques. Car aujourd’hui, dans les prisons biélorusses, il y a d’anciens candidats à la présidentielle, des personnalités extraordinaires qui mériteraient d’être assis à la table des négociations. Leur libération serait donc un signe tangible que le régime est prêt au dialogue. Mais il n’y sera pas prêt qu’à partir du moment où la pression exercée sur lui sera assez forte.  

Parmi ces prisonniers politiques il y a votre mari, Sergeï Tikhanovski, arrêté en mai 2020 deux jours après avoir présenté sa candidature à l’élection présidentielle. Avez-vous des contacts avec lui ? Quelles informations avez-vous sur sa santé ou son moral ?  

Cela fait plus d’un an qu’il a été placé en cellule d’isolement. Le soi-disant procès qui est intenté à mon mari ne se déroule même pas dans un tribunal, mais en prison. En outre, il se défend lui-même, car son avocat a été privé de sa licence – ce qui devient d’ailleurs la norme désormais en Biélorussie. Aucun proche, aucun journaliste n’est autorisé à le voir, mais je sais qu’il reste fort. Je sais qu’il croit en moi, qu’il croit en la Biélorussie et qu’il croit avoir sacrifié sa liberté non pas en vain, mais pour notre victoire.

Sait-il ce que vous faites ? Comme par exemple aller devant le Parlement européen pour alerter l’opinion internationale ? 

Dans les prisons biélorusses, il est interdit de regarder la télévision ou de lire la plupart des journaux, et c’est le cas en particulier pour les prisonniers politiques. Ils sont vraiment dans une sorte de « vide informationnel ». Bien sûr, ils peuvent obtenir des informations de leurs avocats, mais c’est très limité et donc ils ne peuvent avoir qu’une vision très partielle de ce qui se passe. Mais il sait que je l’aime et que je fais tout ce qui est possible, et de toute ma force, pour qu’il puisse être libéré, lui et les autres. 

Vous avez fait ce choix très difficile d’abord de vous battre pour votre mari, ensuite pour votre pays. Vous arrive-t-il parfois de regretter ce choix ?  

Vous savez, je regrette peut-être d’avoir été apolitique pendant autant d’années. Je savais avant qu’il y avait des prisonniers politiques, mais je n’y faisais pas trop attention. Je regrette d’avoir refusé de m’impliquer alors que c’était très important pour notre pays. Je n’ai pas pris cette responsabilité, je disais « décidez tout sans moi », et je faisais partie de ces millions de personnes, de ces familles, qui ne faisaient pas attention à tout ce qui se passait. 

C’est pour ça que nous nous trouvons dans cette situation aujourd’hui, parce que nous n’avons pas voulu prendre nos responsabilités. Mais nous sommes différents maintenant et ceux qui sont en prison comprennent que c’était une décision juste, parce que nous avons changé. C’est ça le processus d’une révolution. Ce qui compte, c’est le changement dans nos têtes, et c’est ce qui s’est passé avec les Biélorusses.  

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