Portrait

Génération post-soviétique: de Stavropol à Moscou, en passant par Sacramento

Le 26 décembre 1991, l’URSS était officiellement dissoute, point final de la dislocation des régimes communistes en Europe de l’Est et dans une partie de l’Asie centrale. À l’occasion de ce trentième anniversaire, RFI vous propose une série de portraits de jeunes ayant grandi dans l’espace post-soviétique. Quelles sont leurs aspirations ? Que gardent-ils de l’héritage de cette période ? Ce lundi, rencontre avec Alexey, 38 ans, employé dans une banque moscovite après une aventure américaine.

Alexey, à Moscou.
Alexey, à Moscou. © Jean-Didier Revoin / RFI
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De notre correspondant à Moscou,

Alexey avait 8 ans en 1991. Attablé dans un pub du centre de Moscou, « Liocha », – le diminutif d’Alexey – se replonge dans la période qui a suivi l’effondrement de l’URSS. « Je ne réalisais pas vraiment, mais j’ai compris qu’il s’agissait d’un changement sérieux », se rappelle-t-il.

Quelques mois plus tard, sa mère a perdu son emploi dans la ville de Stavropol où ils vivaient dans le sud de la Russie. L’Institut dans lequel elle travaillait sur des composants chimiques pour l’électronique des téléviseurs fermait. Elle a alors trouvé un travail dans une pharmacie, dans des attributions qui n’avaient rien à voir avec ses compétences. « Bien sûr, on n’avait peu d’argent, mais c’est mon enfance et je n’ai pas remarqué de changements profonds », explique Liocha qui n’a pas l’impression d’avoir particulièrement souffert de cette situation. De toute façon, précise-t-il, « personne n’avait d’argent au début des années 1990 ».

De Stavropol à St-Louis, Missouri

Alexey a traversé cette « décennie noire », comme l’appellent les Russes, en suivant une scolarité normale, toujours empreinte du savoir-faire soviétique. Et dès l’âge de 15 ans, il passe quelques soirs et après-midi par semaine à travailler dans une entreprise fondée par des membres de sa famille. « Il s’agissait de vendre de nouveaux services, car c’était le début de l’économie de marché. On faisait de l’audit et des évaluations d’actifs, d’usines. J’ai commencé à travailler comme consultant sur des choses simples, avant d’attaquer des projets plus importants parallèlement à l’école ». C’est donc naturellement que « Liocha » s’inscrit ensuite dans une université de finance et d’économie.

Un choix qui allait s’avérer déterminant. Deux ans plus tard, il profite d’un programme destiné aux étudiants russes pour partir travailler aux États-Unis. Rien à voir avec la banque, ni la finance. En 2003, il atterrit à Saint-Louis, dans le Missouri, chez General Motors avant de se retrouver un an plus tard à San José, en Californie, à superviser le chargement des véhicules neufs dans des wagons sur un terminal ferroviaire.

« C’était une autre planète. J’ai aimé l’atmosphère, le mouvement, le fonctionnement. Beaucoup d’endroits inconnus, de rencontres, de gens », concède-t-il. Mais l’aventure General Motors se terminera brutalement. Il claquera la porte après un conflit avec ses supérieurs qui ne le payaient plus depuis plusieurs mois. Plutôt que de rentrer en Russie, il met le cap sur Sacramento. « Une petite ville tranquille » où il trouve du travail dans la construction à faire les sols, poser du linoleum, du parquet…

Au fil de ses rencontres, avec des connaissances, il peut ouvrir un magasin de matériaux de construction. « C’était un immense entrepôt. Ça marchait bien, on avait nos équipes de Russes, d’Ukrainiens, de Bulgares qui faisaient du bon boulot. Après quelques années, j’ai pu me consacrer à l’organisation, la recherche de clients, de matériaux… On faisait venir des containers de Chine, de Turquie. On a très bien gagné notre vie », s’amuse-t-il. Nous sommes juste avant la crise des subprimes. Les États-Unis sont alors en plein boom immobilier.

Une expérience formatrice sans laquelle « Liocha » serait un autre homme aujourd'hui, reconnaît-il : « A 20 ans, avoir la possibilité de voyager à travers les États-Unis, d’être indépendant dans un pays étranger, d’avoir cette liberté, d’être affranchi du contrôle de ses parents, quand il faut s’assumer et gagner sa vie, ça discipline, ça donne la force d’aller de l’avant quoi qu’il arrive ».

L’ennui en Californie

Mais après six ans, la routine s’installe. « Liocha » est amoureux d’une Russe qu’il a rencontrée lors d’un court séjour en Russie et lui fait la promesse de rentrer. En 2010 ou 2011, il décroche un contrat de travail dans une banque moscovite avec un salaire qui lui permet juste de se loger et de se nourrir. Mais même si son idylle s’est terminée, il n’a pas changé d’avis. Il retrouve alors les audits, les bilans, les évaluations d’entreprises. De fil en aiguille, il grimpe les échelons, passe dans d’autres établissements bancaires pour diriger aujourd’hui un département de 25 personnes et vivre confortablement.

Pour rien au monde, il ne voudrait être ailleurs qu’à Moscou. Le dynamisme de la ville l’enthousiasme. Des regrets ? « Si j’étais resté en Russie, je pense que tout aurait suivi un cours normal, j’aurais terminé mes études, trouvé un travail, puis un autre, une progression de carrière, assez lente… Peut-être que j’aurais une position plus élevée aujourd’hui mais je ne voulais pas suivre un chemin aussi ennuyeux », conclut Alexey.

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