Génération post-soviétique: Dato marche dans ses rêves
Le 26 décembre 1991, l’URSS était officiellement dissoute, point final de la dislocation des régimes communistes en Europe de l’Est et dans une partie de l’Asie centrale. À l’occasion de ce trentième anniversaire, RFI vous propose une série de portraits de jeunes ayant grandi dans l’espace post-soviétique. Quelles sont leurs aspirations ? Que gardent-ils de l’héritage de cette période ? Direction la Géorgie où Dato Chaguelichvili est né en 1990 dans une famille amoureuse des antiquités.
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De notre correspondant à Tbilissi,
L’atelier de Dato Chaguelichvili, un restaurateur de meubles antiques de 31 ans, est en soi une curiosité. Situé dans un immeuble d’un vieux quartier de Tbilissi, il est éclairé par un lustre à verroterie, le plafond est orné de moulures, les instruments sont soigneusement rangés aux murs, comme dans un musée. Lui ne jure que par ses rabots, ciseaux à bois, chignoles, scies et autres instruments de mesure. Il les aime et peut conter l’histoire de chacun, sa provenance, souvent allemande ou anglaise, et expliquer ses formes, poignées, parties tranchantes. Son outil préféré ? Le rabot Stanley n°4 dont « la forme est parfaite, très agréable à manier, et qui me permet de gagner énormément de temps ».
À vrai dire, cet atelier a des airs de cabinet des curiosités en Géorgie. Bien qu’attachée à ses traditions, la petite république montagnarde du Caucase a tout perdu de son artisanat et de ses savoir-faire. L’URSS ne jurait que par le productivisme. La quantité plutôt que la qualité. Même les célèbres vins géorgiens étaient produits dans de grandes unités de production que les bureaucrates soviétiques aimaient à appeler « usines ». Aujourd’hui, trente ans après la chute de l’URSS, des ateliers d’artisans comme celui de Dato, il n’y en a quasi aucun autre dans ce pays passé directement de la gabegie soviétique au capitalisme anarchique.
La découverte d'une vocation
« Dès après la chute de l’URSS, mes grands-parents et mes parents se sont mis à acheter des antiquités. Ils adoraient cela. Et beaucoup de Géorgiens vendaient leurs meubles, leurs bibelots, leurs objets de famille parce que les temps ont été très durs après l’indépendance ici. Cette passion pour les vieilles et belles choses ont fait de la maison de ma grand-mère maternelle un vrai musée. C’est comme cela qu’il y a une vingtaine d’années, mes parents ont décidé d’ouvrir un magasin d’antiquités », se rappelle Dato.
C’est aussi comme cela qu’il a découvert sa vocation. « Ma grand-mère avait toujours des chaises ou des tables à réparer. Mais elle n’était jamais satisfaite du résultat et ses trésors lui revenaient avec des mois de retard. C’est comme cela que m’est venue à 14 ans l’idée de devenir moi-même restaurateur de meubles anciens, en commençant par remettre en état une sorte de petit canapé et deux chaises Thonet qu’elle a bien voulu me confier », se souvient le petit-fils. Et voilà l’adolescent en quête d’informations pour restaurer les précieuses antiquités.
Mais rien. « Il y avait bien quelques gars qui faisaient ce métier à Tbilissi, mais soit ils étaient incompétents soit ils n’avaient pas de temps à me consacrer. Je suis alors allé au marché aux puces de Tbilissi où j’ai trouvé quelques vieilles revues et des livres en anglais consacrés à la restauration des vieux meubles. Il n’y avait presque rien en géorgien ou en russe. Plus tard, lorsqu’on a acheté un ordinateur, j’ai pu surfer sur Google et trouver plein d’informations… en anglais. C’est pour ça que j’ai appris l’anglais », nous confie-t-il dans la langue de Shakespeare, en nous perdant avec le vocabulaire des techniques du travail du bois et des multiples instruments qui peuplent son si charmant atelier.
En marge de l'URSS
Pour Dato, l’URSS, qu’il n’a pas connue et dont la famille n’a pas souffert autant que tant d’autres, rime d’abord avec « absence de liberté » et « peur constante de faire quelque chose, de mal faire, d’être jugé sur ses choix personnels ». « En Géorgie, c’était un peu différent. On vivait un peu en marge, un peu plus librement que dans les autres républiques soviétiques. Ma famille a ainsi un peu plus que d’autres pu donner libre cours à sa passion pour la culture et les belles choses », estime Dato.
Lui se dit aujourd’hui animé au quotidien par le bonheur de devoir restaurer des pièces d’histoire, de patrimoines. « Mon travail consiste à remettre en état et à rendre la beauté d’objets auxquels d’autres, il y a des dizaines d’années, ont consacré toute leur énergie pour rendre la vie plus belle, plus agréable. J’ai rêvé d’avoir cet atelier, et chaque matin quand j’ouvre la porte, je me dis que je vis dans un pays et une époque où je peux rentrer dans mon rêve, marcher dans mon rêve comme l’on dit », se réjouit-il. Il fait des émules. Des amis, puis le bouche-à-oreille, l’ont amené à enseigner son « art » en cours individuels, à des femmes surtout.
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