Russie: un spécialiste de la répression stalinienne condamné à 15 ans de prison

L'historien russe Iouri Dmitriev, spécialiste de la répression stalinienne, a été condamné ce lundi à 15 ans de détention pour des violences sexuelles à l'encontre d'une enfant, sa fille adoptive et handicapée. L'affaire serait politique et liée à ses recherches, selon ses partisans.

L'historien russe Iouri Dmitriev dans la ville de Petrozavodsk, dans le nord-ouest de la Russie, le 5 avril 2018.
L'historien russe Iouri Dmitriev dans la ville de Petrozavodsk, dans le nord-ouest de la Russie, le 5 avril 2018. AFP - OLGA MALTSEVA
Publicité

« Iouri Dmitriev a pris 15 ans. » C’est ce qu’a indiqué Memorial, l’ONG de défense des droits de l’homme et gardienne de la mémoire des victimes du goulag, sur sa chaîne Telegram, comme le rapporte notre correspondant à Moscou, Jean-Didier Revoin.

À lire aussi : Il y a 30 ans, l'avènement d'un nouvel ordre mondial avec la chute de l'URSS

L'historien russe avait été arrêté et inculpé en 2016 sur des accusations de pédopornographie, car il avait des photos de sa fille adoptive nue.

Il n'avait pas nié. Il avait assuré que ces clichés étaient destinés à suivre la croissance de la fillette, et montrer aux services sociaux que sa croissance se déroulait normalement en dépit de son handicap et qu’elle se portait bien.

Il avait été acquitté en 2018. Mais après plusieurs rendez-vous en justice, il a été condamné à 13 ans de détention en 2020, une sentence portée à 15 ans lundi.

La condamnation a été prononcée par un tribunal de Petrozavodsk en Carélie, région du nord-ouest russe où Iouri Dmitriev dirigeait une antenne de Mémorial, et qu’il a passé des décennies à localiser des charniers afin d’exhumer les restes des victimes des répressions staliniennes.

La condamnation de cette figure de l'ONG n'est que le premier de trois prochains rendez-vous judiciaires de la semaine pour cette organisation, qui risque la liquidation.

Un spécialiste des charniers de l'URSS

Pour de nombreuses ONG, Iouri Dmitriev paye pour ses recherches sur l'ampleur des répressions staliniennes, une page de l'Histoire dont le Kremlin s'efforce de minimiser l'importance, car en contradiction avec le discours officiel sur l'héroïsme et la grandeur de la Russie, héritière de l'Union soviétique.

L’ONG Mémorial dénonce une parodie de justice, et accuse le pouvoir d’avoir monté l’affaire de toutes pièces pour discréditer l’historien qui travaille sur les crimes staliniens dont il a identifié près de 40 000 victimes. On lui doit notamment l’exhumation du charnier de Sandormokh ou reposaient 6 000 corps. Il s’est aussi intéressé aux responsables de ces crimes, cadres de la police politique et des services de renseignement soviétiques, ce qui explique en partie selon l’historien Alain Blum, vice-président de la branche française de Mémorial, un acharnement judiciaire.

Depuis le début, il n'y a aucun élément qui vienne finalement contester le premier jugement qui a conduit à un acquittement. Il faut voir que tout le doute qui est porté sur la procédure juridique tient aussi au contexte général. Iouri Dmitriev est un historien membre de Memorial qui travaille depuis très très longtemps en Carélie pour mettre à jour les fosses communes qui ont reçu les corps des fusillés de la Grande Terreur de 1937-1938. Je rappellerai que la Grande Terreur de 1937-1938, cela a été un de s grands crimes du stalinisme puisque plus de 600 à 7000 000 personnes ont été fusillées en deux ans. Il a révélé ça, il a révélé les noms des fusillés aussi. Et chaque année, les descendants des fusillés venaient commémorer justement ces victimes de la Grande Terreur. Il a aussi travaillé sur les bourreaux du KGB qui fusillaient ces personnes-là. Et c'est à partir de ce moment-là qu'on a commencé à lui en vouloir et à vouloir le mettre en prison.

Alain Blum, historien, directeur d’études à l’EHESS, vice-président de Memorial France

Sous Vladimir Poutine, actuel président de la Russie et ancien officier du KGB, l'organisation héritière des polices politiques de Lénine et Staline, l'accès aux archives d'État sur ces sujets a été considérablement réduit et les identités des exécutants des purges classées secrètes.

Avec agences

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI