«Manuel Valls restera fidèle jusqu’au bout au chef de l’Etat»
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Le discours de Manuel Valls était le temps fort de cette deuxième journée du congrès de Poitiers. Un congrès à six mois d'une nouvelle échéance électorale en France. Alors que pour beaucoup de monde, c’est un autre rendez-vous qui est dans tous les esprits : celui de 2017, de la future présidentielle. Entretien avec Frédéric Sawicki, professeur en sciences politiques de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
RFI : Le discours du Premier ministre Manuel Valls a duré plus d’une heure. Et sans surprise, le message est sous le signe de la continuité et de la détermination.
Frédéric Sawicki : Oui, on a un Premier ministre qui a assumé la politique qu’il a conduite et que le président a également choisie. Pas d’autocritique dans le discours, mais une volonté de maintenir le cap, quelques concessions à l’aile gauche ou à Martine Aubry et aussi aux congressistes, une critique du Medef, le rappel de l’importance des valeurs d’égalité, le respect également des différences, le refus de faire de la population musulmane une population stigmatisée en France. Autant d’éléments évidemment qui vont droit au cœur des socialistes. Mais sur le fond, pas de changement. Je noterai simplement, effectivement une succession d’affirmations qui tend à montrer que Manuel Valls restera fidèle jusqu’au bout au chef de l’Etat et qu’il n’entend pas le gêner dans une éventuelle nouvelle candidature qui apparaît de plus en plus comme probable et comme une évidence.
Un passage sera peut-être plus relevé que les autres, lorsque le Premier ministre rappelle au Medef ses engagements : « Il faut respecter ses engagements en contrepartie des aides publiques » ?
Ça, c’est un point qui figure en bonne place dans la motion conduite par Jean-Christophe Cambadelis, la motion A, qui a été le fruit d’un compromis. Le ralliement de Martine Aubry et de ses proches s’est fait très largement sur le fait qu’il fallait obtenir des contreparties au pacte de responsabilité, au Cice (Crédit d'impôt compétitivité emploi, ndlr). Là, il y a un avertissement qui est donné et on ne peut qu’être frappé du décalage entre le discours que Manuel Valls tenait le 27 et 28 août dernier devant l’université d’été du Medef, très pro-patronal et très pro-entrepreneurial, et celui-là qui se montre plus critique. Mais on attend de voir maintenant concrètement si ces menaces seront ou non mises à exécution.
Depuis le début de ce congrès, vendredi, tout le monde dit que le climat est plutôt serein. Mais finalement, il y a aussi des critiques parce qu’on a aussi l’impression qu’à force de désamorcer les crises possibles, ce congrès est en quelque sorte vidé de sa substance ?
Il y a deux éléments. D’abord, avant ce congrès, on a pu constater au moment du vote la grande hémorragie militante. Le Parti socialiste a perdu plus de 50 000 adhérents par rapport à 2012. Sur ceux qui étaient inscrits, c’est-à-dire 120 000 adhérents, seuls 60 000 à 65 000 se sont déplacés pour aller voter. Une bonne partie d’entre eux probablement ne reprendront pas leur carte. Le parti semble donc en ordre, mais c’est un ordre qui repose sur des bataillons aujourd’hui très largement dispersés, démobilisés, démotivés. L’aile gauche n’a pas réussi à percer au-delà des 30 %, mais très probablement, parce qu’il lui a manqué justement des voix de militants qui ont renoncé à militer.
Il y a donc d’un côté une unité affichée, mais de l’autre, un parti tout de même fortement démobilisé, affecté par les nombreuses défaites électorales et probablement qui va avoir du mal à passer le cap des régionales. On ne peut pas dire que ce soit un parti en bonne santé en dépit de cette espèce de messe habituelle qui met en scène, en quelque sorte, son rassemblement.
Est-ce qu’on peut dire encore aujourd’hui qu’il y a la confrontation de « deux gauches » au sein du PS, une expression du frondeur Christian Paul ?
C’est une vieille thématique. Il y a clairement avec Manuel Valls la volonté d’affirmer une version assez blairiste, en tout cas social-libérale, de la social-démocratie. Et puis de l’autre, des socialistes qui sont plus attachés à la défense du service public, à des politiques de redistribution, à des politiques également axées sur plus de justice sociale immédiate, parlant de redistribution fiscale. Il y a effectivement deux lignes. De là à dire qu’il s’agit de deux gauches, ça resterait encore à discuter. D’ailleurs Manuel Valls l’a dit lui-même : les socialistes sont aujourd’hui tous réformistes. Personne ne rêve d’un grand soir.
Il y a des objectifs qui sont en partie partagés, mais il y a une différence effectivement sur les moyens et sur les priorités. Et Manuel Valls, ainsi que le chef de l’Etat vont avoir de plus en plus de difficultés à expliquer que la politique qu’ils ont choisie sur le plan économique et social est la bonne, dans la mesure où les résultats ne sont pour l'instant pas au rendez-vous. Le chômage continue d’augmenter. Le Premier ministre va donc avoir dans les mois à venir encore beaucoup de peine à contrer les arguments de ceux qui disent qu’on a trop serré la ceinture des Français, trop étouffé l’économie française, trop réduit les dépenses publiques au risque effectivement d’empêcher une vraie reprise créatrice d’emplois.
Dans les mois à venir, il y a les élections régionales et il y aura ensuite la présidentielle 2017. Dans un sondage publié par le quotidien Le Figaro vendredi 6 juin, on voit que Manuel Valls est le candidat favori des Français par rapport à François Hollande. Et c'est même vrai chez les socialistes.
C’est toujours le problème avec les sondages. Dans l’idéal, les Français préfèreraient effectivement à nouveau une figure plus jeune, un candidat plus autoritaire, en tout cas incarnant une autorité plus grande que François Hollande. Mais en même temps, la réalité politique est très différente. On imagine aujourd’hui très difficilement Manuel Valls se lancer en quelque sorte dans une candidature présidentielle contre François Hollande, comme naguère, par exemple, Edouard Balladur avait pu le faire contre Jacques Chirac. Tout simplement parce que François Hollande est le président, que lui est Premier ministre, et que s’il voulait se lancer dans cette aventure, cela impliquerait soit qu’il quitte assez vite le gouvernement, soit alors - une hypothèse qui n’est pas totalement exclue, mais pour l’instant difficilement crédible -, que le président de la République décide de se retirer. Auquel cas, on ne voit pas très bien comment les Français pourraient avoir le choix de Manuel Valls plutôt que celui de François Hollande.
Frédéric Sawicki, a cosigné avec Rémi Lefebvre : La société des socialistes, le PS aujourd'hui aux éditions Le Croquant.
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