Mai-68

Pourquoi la classe politique française boude-t-elle Mai-68 et son héritage?

Les trois leaders de Mai-68, en France, lors d'une conférence de presse, le 11 mai à Paris. De g. à dr. : Alain Geismar, Jacques Sauvageot, Daniel Cohn-Bendit.
Les trois leaders de Mai-68, en France, lors d'une conférence de presse, le 11 mai à Paris. De g. à dr. : Alain Geismar, Jacques Sauvageot, Daniel Cohn-Bendit. AFP

Les commémorations du cinquantenaire de Mai-68 se poursuivent en France. Des événements culturels ou scientifiques sont organisés un peu partout dans le pays. En revanche, quasiment rien n'aura lieu au niveau politique. Plusieurs facteurs expliquent ce qui ressemble à un manque d'intérêt.

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Aujourd'hui, rares sont les hommes et les femmes politiques ayant participé à Mai-68 encore actifs dans la vie publique ou qui défendent toujours l'esprit soixante-huitard. Pour n'en citer qu'un, Daniel Cohn-Bendit, icône de Mai-68, est officiellement retiré de la politique et il a conseillé Emmanuel Macron pendant sa campagne.

De plus, l'héritage de Mai-68  est un sujet clivant qui ne fait pas l'unanimité au sein de la classe politique. Quand en octobre 2017, Emmanuel Macron envisageait - avant de finalement faire marche arrière - d'organiser des commémorations, la droite avait protesté. Laurent Wauquiez s'était ainsi exclamé sur RTL : « Honnêtement, je préfère qu'on fête Austerlitz, qu'on fête Valmy, qu'on fête l'Appel de Londres. Mai-68, c'est "il est interdit d'interdire". C'est au fond le début de la déconstruction ». L'actuel patron de la droite suit la ligne tracée par Nicolas Sarkozy, quelques années auparavant. Lors de la campagne de 2007, il n'avait pas mâché ses mots, estimant qu'il fallait carrément « liquider l'héritage de Mai-68 » : «Les héritiers de Mai-68 avaient imposé l'idée que tout se valait, qu'il n'y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal. D'ailleurs, il n'y avait plus de valeurs, plus de hiérarchie. Ils avaient réussi : il n'y avait plus rien du tout et eux-mêmes, c'était pas grand-chose !» s'était emporté Nicolas Sarkozy.

Mai-68 divise la classe politique

A l'époque, le candidat de la droite avait été vivement critiqué par son adversaire, Ségolène Royal, ainsi que par François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste. Lors de la campagne présidentielle suivante, ce dernier en avait remis une couche en rendant hommage à ceux qui voulaient changer le monde en 68. « Leur utopie, c'était celle d'une société fraternelle qui puisse respecter l'Homme et la Nature, et qui refuse de faire de la prospérité matérielle la mesure de toute chose. Et dire que Nicolas Sarkozy voulait en finir avec Mai-68. Quelle faute de vouloir occulter les aspirations de la jeunesse ! » s'était-il exclamé lors d'un meeting.

L'ancien chef de l'Etat n'est évidemment pas le seul à gauche à défendre Mai-68. C'est aussi le cas de Jean-Luc Mélenchon qui avait 17 ans à l'époque et avait mené l'agitation dans son lycée de Lons-le-Saunier, dans le Jura. Lui met en avant l'un des aspects du mouvement comme il l'a expliqué en 2010, sur France 2 : « Ce qui me reste à l'esprit de Mai-1968, c'est 10 millions de travailleurs qui se mettent en grève. C'est d'abord une grande lutte ouvrière. »

Aujourd'hui, alors que la France connaît à nouveau un printemps social agité, le leader de la France insoumise invoque la mémoire de 68 et estime qu'une nouvelle révolution « ferait du bien » au pays. Jean-Luc Mélenchon commémore, donc, les 50 ans de Mai-68 en manifestant aux côtés des Français en colère. Mais aucune cérémonie, ni événement officiel ne sera organisé par son parti. Rien non plus du côté du PS. Le seul qui va tenir un colloque, ce samedi, c'est le Front national. Son titre, « En finir avec Mai-68 », est à lui seul un bon résumé de la pensée de Marine Le Pen. Une pensée maintes fois exprimée. En mars dernier, lors de son discours de clôture du Congrès de Lille, la dirigeante frontiste avait redit que selon elle, Mai-68 est responsable de la déliquescence de notre société : « Cinquante après, les soixante-huitards bedonnants et grisonnants connaissent leur apothéose. Eux qui avaient faussement mais sciemment confondu l'autorité et la domination, peuvent jouir d'une société sans entraves. »

« Un sujet du passé » que le président préfère ignorer

Face à ces interprétations opposées de Mai-68, Emmanuel Macron a finalement décidé d'ignorer ce pan de l'histoire française. « Le président n'était pas né à cette époque... C'est un sujet du passé », explique son entourage. De plus, dans le contexte actuel, on voit mal l'Elysée célébrer un mouvement social. Surtout, ce ne serait pas cohérent avec la politique du président, juge l'historienne Ludivine Bantigny, maîtresse de conférences à l'université de Rouen. D'après elle, Emmanuel Macron « ne peut pas s'approprier l'idée que les gens font grève dans tous les secteurs. Mai-68, c'est une volonté de mettre en cause la pression sur les conditions de travail, les inégalités salariales. La liberté et l'émancipation prônées en 68, ce n'est pas du tout le libéralisme économique. C'est quand même très très loin de la politique mise en œuvre aujourd'hui ».

Les 50 ans de Mai-68 seront, donc, ignorés par les politiques alors que selon un récent sondage, pour près d'un Français sur huit, ce mouvement a eu des conséquences positives. Reste que pour beaucoup de jeunes, Mai-68 n'évoque pas grand-chose.

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