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France: deux ans après la mort d’Adama Traoré, l’enquête n’est pas encore finie

Les proches d'Adama Traoré, dont sa soeur ainée Assa Traoré (au centre) réclament toujours justice, comme ici en juillet 2017.
Les proches d'Adama Traoré, dont sa soeur ainée Assa Traoré (au centre) réclament toujours justice, comme ici en juillet 2017. Bertrand Guay / AFP

Le 19 juillet 2016, Adama Traoré décède le jour de ses 24 ans, quelques heures après avoir été plaqué au sol et interpellé par trois gendarmes à Beaumont-sur-Oise, en banlieue parisienne. L’annonce de son décès embrase sa commune et celles des alentours. Deux ans après la mort du jeune homme dans la cour de la gendarmerie de Persan, dans le Val d’Oise, sa famille continue de dénoncer ce qui lui apparaît comme une bavure policière. Et les questions en suspens restent nombreuses.

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Infatigable, la famille d’Adama Traoré défile ce samedi 21 juillet 2018 en mémoire du disparu, de la gare de Persan-Beaumont jusqu’au quartier de Boyenval, où le jeune homme a grandi et où il est mort, deux ans plus tôt. A l’appel du collectif « Justice et vérité pour Adama », plusieurs milliers de personnes sont attendues à cette marche suivie d’un concert, à laquelle s’allient plusieurs mouvements de gauche et d’extrême gauche.

Les proches de la victime réclament justice, mais aussi des explications qui tardent à venir. L’enquête ouverte pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et « non-assistance à personne en danger » est toujours en cours. Une lenteur « inadmissible » pour Assa Traoré. La sœur aînée du défunt n’en peut plus d’attendre, « alors qu’on voit bien que la justice peut être rapide » dans d’autres affaires. Lorsque le dossier a été dépaysé de Pontoise à Paris, à la demande de la famille, et qu’une juge d’instruction a été nommée, elle a été « patiente », a eu « envie d’avoir confiance dans la justice ».

Deux ans ont passé et aujourd’hui, « elle se dit qu’il y a un problème » et « veut des réponses ». Elle insiste : « la vie de mon frère est importante. Mon frère n’est pas hors de cette France qui gagne la Coupe du monde ». D’où la volonté, aussi, de la marche de ce samedi, afin de « créer un rapport de force » et « d’exiger la vérité ». A commencer par la façon dont son petit frère est disparu. Si l’on sait qu’Adama Traoré est mort par asphyxie, la justice n’a toujours pas déterminé quelles sont les raisons de cet étouffement.

Les causes du décès encore en question

Depuis le début de l’affaire, les gendarmes affirment qu’une faiblesse cardiaque en est à l’origine. Une version des faits critiquée par les proches de la victime, pour qui la technique employée par les gendarmes est directement responsable du décès. Les militaires ont, en effet, pratiqué un placage ventral, c’est-à-dire qu’ils se sont mis tous les trois sur le corps de celui qu’ils voulaient interpeller. Une technique légale en France, mais dénoncée par des associations pour sa dangerosité. Pour les soutiens d’Adama Traoré, c’est cette compression thoracique qui aurait entrainé la mort.

Depuis 2016, trois expertises médicales ont déjà été rendues afin de faire la lumière sur ce point. Elles ont d’ores et déjà permis d'écarter l’existence de « lésions d'allure infectieuse » - que les autorités pensaient un temps avoir trouvées lors de la première autopsie - mais pas d’affirmer avec certitude si Adama Traoré souffrait ou non d’une cardiomyopathie. La quatrième expertise médicale « de synthèse », commandée le 18 janvier dernier, se fait attendre. Elle devait initialement être remise en mai, puis mi-juillet, avant d’être finalement reportée au 30 septembre, à la demande de ses rapporteurs, sans que la raison de ce retard ne soit communiquée à la famille.

Le déroulé des faits contesté

Un ajournement qui en entraine d’autres. Une reconstitution des faits, réclamée par les proches d’Adama Traoré, est acceptée depuis avril par la juge d’instruction, mais le calendrier n’en est pas fixé. D’après Assa Traoré, la magistrate « attend le retour de la commission d’expertise pour donner une date ».

Cette reconstitution permettrait pourtant de connaître plus précisément la manière dont l’interpellation d’Adama Traoré a eu lieu. Car, sur ce point aussi, plusieurs versions s’affrontent. Tous reconnaissent que le jeune homme a tenté de s’enfuir face à un contrôle de gendarmerie, avant d’être rattrapé. Puis qu’il a été plaqué.

Mais ensuite, les témoignages divergent. Les militaires assurent que l’interpellé s’est affaissé lors de son transport vers le commissariat, a fait un malaise, puis a été mis en position latérale de sécurité (PLS), en attendant les secours. Le chef de patrouille affirme se demander alors si le jeune homme n’est pas en train de simuler et ne pas avoir détecté d’anomalie qui aurait rendu nécessaire des gestes de premiers secours.

Autre son de cloche chez le chef de l’équipe des pompiers intervenue ce jour-là. « Moi quand j'arrive il n'est pas en PLS, il est face contre terre », déclare-t-il dès 2016 à la justice. Le secouriste constate également que « les menottes de la victime sont toujours placées sur les poignets, mains dans le dos » et s’étonne que « personne ne s’en occupe ». Il « constate que cet individu n’a plus de ventilation ».

Une lettre ouverte pour obtenir « des réponses »

Interrogés à nouveau courant 2017 par la justice parisienne, les pompiers maintiennent leur version. « Pourquoi, alors », s’indigne Assa Traoré, les gendarmes – mutés entre temps dans le sud de la France – ne sont-ils pas « entendus juste après » par la justice ? Appelé par RFI pour en savoir plus, Maître Rodolphe Bosselut, avocat d’un des trois gendarmes ne souhaite pas répondre aux questions des journalistes sur l’affaire Adama.

Assa Traoré, qui dénonce maintenant une « volonté d’étouffer la mort de [son] frère », en appelle à présent au président de la République et à la ministre de la Justice. Elle leur a adressé le 18 juillet une lettre ouverte, publiée par l’Obs. Elle y demande « la justice. Le droit de savoir ce qui est arrivé. Le droit de comprendre ce qui a conduit à sa mort ».

Et s’interroge, une fois de plus : « Comment Adama a été arrêté ? Comment Adama a été poursuivi ? Comment Adama a été plaqué au sol ? Comment Adama a été étouffé de tout leurs poids ? Pourquoi Adama a été conduit à la gendarmerie plutôt qu’à l’hôpital ? Pourquoi Adama était inconscient au sortir de leur véhicule ? Pourquoi les secours l’ont trouvé au sol, menotté ? Comment est-il mort sous leurs yeux ? » Pour l’instant, elle n’a eu « aucune réponse du président de la République » à sa missive.

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