Entretien

Lait bio en Bretagne: le prix du litre ne peut être le seul paramètre d’une conversion

Christophe Baron à Brandéha (Morbihan).
Christophe Baron à Brandéha (Morbihan). © Gildas Baron

En Bretagne, le nombre de fermes bio a bondi de 2,8% à 10% entre 2009 et 2019. Un dynamisme particulièrement visible dans la filière du lait biologique qui représente une ferme sur quatre. La Bretagne est la deuxième région productrice de lait bio en France, derrière les Pays de la Loire. Quels sont les raisons et les enjeux de cette vitalité ? Entretien avec un acteur de terrain, Christophe Baron, président de Biolait de 2010 à 2018 et associé dans le Gaec de Brandeha à Allaire (Morbihan) qui produit en circuit long du lait bio et en circuit court, notamment, de la viande, du jus de pomme et du miel bio.

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RFI : Le Gaec de Brandeha regroupe aujourd’hui quatre agriculteurs sur la commune d’Allaire. Quatre-vingt vaches sur une superficie de 180 hectares et une production de plus de 400 000 litres de lait par an.  En 2001, c’est vous qui avez fait le choix du passage à l’agriculture biologique. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce choix ?

Christophe Baron : Cela a été un concours de circonstances. J’avais été sensibilisé à la question des pesticides lors d’un colloque à Pontivy, en 1991. Le passage à la bio me trottait dans la tête, mais je ne me sentais pas de franchir le pas, seul. Retrouver un ami qui avait toujours travaillé dans la bio, a été le déclic qui a permis le lancement de la conversion en 2001, 10 ans après avoir pris conscience du problème des pesticides. À l’époque, si tout le monde parlait des nitrates, la question des pesticides était très peu évoquée. 

En Bretagne, il y a aujourd’hui 3 050 fermes biologiques, mais en 2001 quand vous engagez la conversion de votre ferme, quelle était la réalité locale ? Comment votre décision a-t-elle été perçue ? 

Dans un rayon de 25 kilomètres, il n‘y avait pas de ferme en lait bio, en revanche il y avait déjà deux maraichers (à Allaire et à Béganne), car en Bretagne, l’histoire de la bio est liée au maraichage. La décision de passer à la bio a provoqué plusieurs réactions : ceux qui disaient « il faut voir », ceux qui se disaient qu’on allait se planter, qu’on ne pourrait pas nourrir nos vaches l’hiver suivant. En revanche, beaucoup de consommateurs nous ont encouragés et ça a vraiment été une satisfaction. 

Au fil des années, le regard sur l’agriculture biologique a-t-il évolué ?

Oui, il a changé pour plusieurs raisons. On a eu le Grenelle de l’environnement et un discours sociétal qui a fait évoluer les choses. Les crises du lait dans les filières conventionnelles ont également montré qu’il n’y avait pas de vérité économique dans la filière conventionnelle. Quand on est passé à la bio ici, la conversion apparaissait comme un risque économique, et au final, au fil des années, la succession des crises du lait en 2009/2010 puis en 2015 a été rude et a provoqué des vagues de conversions. Celle qui m’avait porté, à la charnière des années 1990 et 2000 découlait de la crise de la vache folle. Mais les vagues suivantes en 2009/2010, puis en 2015 ont directement découlé des crises économiques qui ont frappé le secteur du lait conventionnel. Chaque crise sanitaire ou économique a montré que la bio pouvait présenter un intérêt pour les producteurs. Pour vous donner une idée, quand j’ai accepté la présidence de Biolait, il y avait 270 fermes adhérentes, quand je l’ai quittée en 2018, il y en avait 1 300. Sur la même période, la collecte de lait est passée de 40 millions de litres à 300 millions. 
 
En 8 ans, Biolait a donc connu un développement important.  Une telle croissance a-t-elle eu des répercussions sur la gestion de la filière du lait biologique ?
 

Gérer la filière du lait bio, c’est gérer les à-coups. Quand je présidais Biolait, on avait l’habitude de dire que les conversions bio fonctionnaient comme une batterie avec un pôle positif et un pôle négatif. Le pôle négatif, ce sont les vagues de conversions qui accompagnent systématiquement les crises de l’agriculture conventionnelle, ce dont on ne peut jamais se réjouir. Le pôle positif, c’est la croissance soutenue de la consommation de lait bio. Depuis 30 ans, la consommation est en constante augmentation, de l’ordre de 10% par an. Mais cette croissance régulière ne permet pas d’absorber les brusques augmentations de production, qui peuvent atteindre 40 à 50% au plus fort des vagues de conversion. Si malgré ces à-coups, le prix du lait bio est resté constant, c’est grâce au poids économique du groupement Biolait ( 30% de la production de lait bio en France ) et au choix des producteurs qui ont parfois décidé de baisser de la production pour maintenir le prix. 

La filière du lait bio prenant de l’ampleur, n’y a-t-il pas à terme un risque de volatilité du prix du lait bio, comme c’est le cas dans le conventionnel ?

C’est une bonne question, mais il est difficile d’y répondre maintenant. Aujourd’hui, en raison du développement limité de la filière bio [1 milliard de litres de lait bio contre 25 milliards dans le secteur conventionnel, ndlr], les producteurs de lait bio conservent un poids dans les décisions. Si demain la filière bio devait être gérée à l’image du secteur conventionnel avec une approche libérale de la gestion des volumes, des laiteries seules à la manœuvre, des multinationales, et des producteurs qui ne peuvent plus se faire entendre, alors, oui, ce serait clairement un risque. 

Le groupement Biolait est né en 1994. Six agriculteurs du Morbihan et de Loire Atlantique ont eu l’idée de créer un groupement pour collecter le lait bio, en Bretagne, berceau de l’agriculture productiviste. C’était un pari fou, non ?

Oui. D’ailleurs, quand on a fêté les 20 ans de Biolait, il y a 5 ans, l’un des fondateurs a dit « si on avait su que ça aurait été aussi compliqué, on ne l’aurait pas fait ». Une petite anecdote : toutes les laiteries à l’époque ont demandé aux vendeurs de tanks de ne pas en vendre aux producteurs qui voulaient travailler avec Biolait. L’objectif était clair : empêcher la création du groupe, car sans tanks, il était impossible de stocker le lait dans les fermes. Il a fallu se tourner vers l’étranger. C’est une société belge qui a accepté d’installer les tanks dans les fermes. Ce projet très fort a été mené par des producteurs confrontés à l’échec des actions syndicales compte tenu des rapports de force. Ils ont compris que pour peser sur la filière, il fallait dépasser la dimension syndicale et penser l’économie. Il fallait créer une structure capable de peser dans les négociations.  
Il a clairement fallu transgresser un certain nombre de règles pour faire aboutir un tel projet. Quand on voit l’impact qu’il a eu sur la gestion du lait bio, on se dit que parfois ça vaut le coup de transgresser un peu les règles. 

En 2016, deux certifications bio sur trois étaient des conversions en Bretagne, principalement dans la filière du lait bio. Ce qui signifie que la progression est surtout le fait d’agriculteurs qui passent du conventionnel au bio. Certains disent clairement avoir engagé la conversion davantage pour le prix du lait bio que pour l’éthique. On entend des appels à préserver l’esprit bio. Est-il en danger ? 

Ceux qui passent en bio uniquement sur le critère du prix du litre de lait se trompent. La bio c’est une approche globale de l’exploitation. Le prix du lait est un élément parmi d’autres dans l’équilibre économique d’une ferme, mais les intrants  (achat d’engrais, de soja pour nourrir les vaches …) pèsent autant, voire plus que le prix du lait. Dis autrement, une ferme bio doit être autonome. En termes de cahier des charges c’est bien, en termes d’équilibres économiques de la ferme c’est encore mieux. Je me souviens d’un reportage sur un agriculteur qui avait 200 vaches laitières. Il avait fait le choix de la conversion, mais il avait échoué en bio, comme il avait échoué en conventionnel. 200 vaches laitières avec un seul exploitant cela implique des coûts énormes pour gérer un tel troupeau, le nourrir ainsi qu’une nécessaire modernisation. Tout ceci à un coût financier. C’est pourquoi je pense que la bio n’est pas faite pour se marier avec un modèle industriel. Par exemple, sur la ferme de Brandeha nous avons 80 vaches et produisons environ 400 000 litres de lait à quatre. En général, en bio, on est sur des volumes de 100 à 150 000 litres de lait par personne travaillant sur l’exploitation, rarement au-delà de 200 000 litres. En conventionnel, le modèle dans des fermes robotisées c’est plutôt entre 400 et 600 000 litres de lait par personne travaillant sur l’exploitation. La mise en perspective de ces chiffres donne une idée de la différence.
 
Diriez- vous que les pouvoirs locaux publics apportent soutien et aide à la filière de l’agriculture biologique ? 


Je dirais qu’en Bretagne on n’est pas les plus mal lotis. Certes, on pourrait espérer plus, mais les producteurs de lait bio n’ont pas été abandonnés en matière de subventions publiques. Ceci dit, en termes de réorientation des fonds publics on peut s’interroger quand on voit les dizaines de milliards d’euros affectés à une forme d’agriculture qui ne correspondant ni à l’emploi ni à la qualité alimentaire.

En août 2018, le président du conseil régional Loïg Chesnais-Girard déclarait : « La Bretagne tourne la page de l’agriculture productiviste. » C’est aussi votre sentiment ?

Non, car en Bretagne, une forme d’industrialisation de l’agriculture se poursuit. Je ne veux pas dire que les effets de la modernisation sont à 100 % négatifs, mais pour ce que je connais le mieux, la production laitière, je ne suis pas sûr que la robotisation des fermes par exemple, soit une idée géniale alors que se pose la question de l’emploi ainsi que celle de l’équilibre en matière d’environnement. Clairement quand on robotise un élevage, cela veut dire que les vaches sortent peu, consomment très peu d’herbe ou pas du tout. Donc, tout dépend de la façon dont le président de la région Bretagne conçoit la notion d’intensification, mais pour moi, j’ai plutôt l’impression qu’elle s’accélère. 

Les discussions sont en cours pour le prochain budget de la PAC. Qu’attendent les agriculteurs bio ?

Il y a une forte attente en matière de reconnaissance de notre manière de travailler vis-à-vis de l’environnement. Historiquement, on a eu moins de subventions européennes, car le calcul se base plus sur les cultures que sur les systèmes herbagers. Par ailleurs, même s’il y a eu des compensations par rapport aux mesures agro-environnementales, il n’y a pas vraiment de reconnaissance de ce que l’on peut appeler l’agroécologie en termes de respect de la biodiversité, de développement de haies dans les champs, de soins apportés aux paysages. Or tout cela est générateur d’heures de travail. La reconnaissance aujourd’hui ne se fait qu’à travers le prix du lait. Pour le moment, on a la chance de bénéficier d’une consommation en croissance, d’un prix qui se maintient en raison du poids des producteurs de la filière. Si on devait perdre cela demain, et ne pas obtenir la reconnaissance de l’impact positif des fermes en bio, on peut craindre que l’équilibre économique des fermes en bio tel qu’il existe aujourd’hui serait remis en cause.

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C’est un reportage réalisé avec le soutien de la Direction générale de l'Agriculture et du Développement rural de la Commission européenne.

Ce projet a été cofinancé avec le soutien de la Commission européenne. La présente publication reflète uniquement l’avis de l’auteur et la Commission ne peut être tenue responsable de l’usage qui pourrait être fait des informations qu’elle contient.

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