Prix Bayeux-Calvados 2020: l'Afghanistan à l'honneur
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Point d'orgue de ce 27e Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, la cérémonie de remise des trophées a de nouveau révélé, samedi 10 octobre, une moisson de reportages de grande qualité. La crise sanitaire a pesé dans la fréquentation et la programmation, et seuls deux lauréats étaient présents pour recevoir leur trophée. Le maire de Bayeux a confirmé son souhait de faire de la cité normande la capitale internationale de la liberté de la presse.
De notre envoyé spécial à Bayeux
« Le reporter qui demande à son rédacteur en chef de se sortir les doigts du cul est avec nous ! », lance sous les rires le maitre de cérémonie Nicolas Poincaré. L'insolent reporter ? Ed Vulliamy, 66 ans, ancien de la Bosnie, de l'Irlande du Nord, du Mexique, du 11-Septembre, de l'Irak… et fantasque président du jury de cette 27e édition du Prix Bayeux, « l'un des présidents les plus impliqués de l'histoire de ce prix », le félicite par deux fois Nicolas Poincaré.
En 2003, Vulliamy s'est battu contre son propre journal qui s'alignait sur la décision du gouvernement Blair de s'engager aux côtés des troupes américaines pour la deuxième guerre d'Irak. Ed tient d'une source l'affirmation que les preuves de l'existence des armes de destruction massive de Saddam, brandies par l'administration Bush pour justifier l'intervention militaire, sont fabriquées de toutes pièces. Problème, cette source a beau être de la CIA, elle est retraitée, donc trop frelatée aux yeux de sa hiérarchie. Cet épisode de journalisme particulièrement éloquent a donné lieu à une fiction, Official Secrets, diffusée en avant-première au Prix Bayeux.
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Dix témoins récompensés
Les années n'ont pas eu raison de son panache ni de son sens de l'engagement pour la vérité. Une vérité « en procès aujourd'hui », selon lui. « Notre monde, dirigé par Trump, Bolsonaro, Erdogan, Poutine, Xi Jinping, est un monde d'imbéciles. Nous en sommes les témoins. Nous faisons partie de la défense dans le procès de la vérité. La liberté de la presse est la liberté de la vérité et les journalistes sont ciblés parce qu'ils veulent dire la vérité à ceux qui ne veulent pas de témoins. » Le Prix Bayeux est donc là pour ça, chaque année : récompenser des témoignages, « les oscars du reportages de guerre », dit encore Vulliamy. Dix au total ont reçu un premier prix pour leur travail dans les zones parmi les plus risquées au monde.
Parmi elles, l'Afghanistan, un pays dont le sursis semble fini. C'est ce que montre Lorenzo Tugnoli dans Afghanistan, la guerre plus longue, une série de clichés effectués pour le Washington Post, essentiellement des portraits de combattants en noirs et blancs, honorés du premier prix photo. « Mon travail en Afghanistan s'est étendu entre novembre 2019 et février 2020, pendant que les Etats-Unis négociaient un accord de paix avec les talibans. L'accord a bien été trouvé, mais la guerre continue. Il ne faut pas oublier l'Afghanistan. »
L'Afghanistan en images mais aussi en son. Les voix des blessés de la maternité MSF d'un quartier hazara de Kaboul, prise d'assaut le 12 mai par les terroristes de l'EI. On peut les entendre dans le reportage de Sonia Ghezali, correspondante de RFI à Kaboul, et son collègue Shahzaib Wahlah, qui s'y étaient rendus dès le surlendemain. Leur reportage, récompensé par le jury, « est ce qu'on a entendu de plus fort en radio en 27 ans », juge Nicolas Poincaré, lui-même journaliste de radio.
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Et puis il y a la Syrie, incontournable terrain de guerre depuis neuf ans pour les reporters, souvent jeunes. Journaliste au Monde, Allan Kaval ravit le trophée presse écrite pour son sujet sur la mort lente des jihadistes de l'EI dans une prison syrienne du gouvernorat d’Hassaké, dans le nord-est du pays. Là sont entassées des centaines de détenus, anciens partisans du « califat » du groupe Etat islamique, souvent en mauvaise posture physique lors de leur capture. Pour ce travail publié en décembre 2019, Allan Kaval, qui couvre la Syrie, le Kurdistan, l'Irak depuis plusieurs années, rafle également la statuette du prix Ouest-France/Jean-Marin, à l'unanimité cette fois des dix membres de ce jury du grand quotidien régional. Comme Sonia Ghezali restée à Kaboul, comme Lorenzo Tugnoli qui vit à Beyrouth, et comme beaucoup d'autres lauréats, Allan Kaval n'était pas présent pour recevoir son prix. Il a écouté la cérémonie depuis sa chambre de la Pitié-Salpétrière à Paris où il est hospitalisé depuis le 2 octobre après avoir été grièvement blessé par un tir de roquette dans le village de Martouni, au Haut-Karabakh. Le photographe Rafael Yaghobzadeh qui l'accompagnait a lui aussi été blessé et évacué vers Paris.
La Syrie toujours, en vidéo cette fois : Dans le piège d'Idleb, titre du reportage de Suzanne Allant, Yamaan Khatib et Fadi Al-Halabi, primé dans la catégorie grand format. « C'est le troisième volet documentaire que l'on mène sur Idleb. Nous voulions faire ressurgir la parole des civils qui disparait derrière le traitement géopolitique des choses. Quatre millions d'entre eux sont encore en souffrance dans cette ville », raconte Suzanne Allant. « C'est la première fois qu'on remet à Bayeux un prix à quelqu'un qui ne s'est pas rendu sur place », précise Nicolas Poincaré. Ce documentaire, diffusé sur Arte, est en effet un découpage : Suzanne Allant a drivé à distance ses deux collègues syriens originaires d'Idleb.
Bayeux, futur capitale mondiale de la presse?
Le jury était partagé à parité entre ce reportage et Yémen: à marche forcée d'Olivier Jobard (Magnéto Presse) pour Arte/France24 qui remporte finalement le prix de l'image vidéo. Ces images, peut-être uniques au monde, de jeunes Ethiopiens qui partent pieds pour 2000 km à pied, sur une route migratoire qui doit les mener jusqu'en Arabie saoudite, ne sachant pas que sur le passage, il y a le Yémen en guerre. Yémen, à marche forcée a été récompensé dans la catégorie image-vidéo.
Enfin, l'autre reportage majeur de ce palmarès concerne d'autres laissés-pour-compte, en Chine cette fois : Les familles ouïghoures. Signé John Sudworth et Wang Xiping pour la BBC, il décroche deux prix : celui du format court et le prix des lycéens et apprentis.
« Covid oblige », les chiffres de fréquentation de cette cette 27e édition sont en baisse, a admis le maire de Bayeux, Patrick Gomont. « Après plus d'un quart de siècle d'existence, cet évènement a fait plus que démontrer l'intérêt du public, des professionnels et du monde enseignant pour l'actualité internationale et pour le métier de reporter de guerre »,a estimé l'édile normand. Fort de ce constat, il confirme donc l'ambition énoncée l'an dernier de faire de Bayeux « la capitale internationale de la liberté de la presse » : « Un espace de médiation, unique au monde, à même d'apporter un éclairage sur les conflits à travers une collection permanente, basée entre autre sur les archives du Prix Bayeux depuis 1994 ; un lieu d'échange autour du journalisme, de la liberté de la presse, d'exposition, de sensibilisation. »« Ce projet prend forme et pourrait connaître une avancée décisive dans les semaines qui viennent. », a-t-il assuré.
Palmarès 2020 du Prix Bayeux-Calvados
CATÉGORIE PHOTO – JURY INTERNATIONAL - PRIX NIKON
1er Prix : Lorenzo TUGNOLI
CONTRASTO pour The Washington Post
La guerre plus longue - AFGHANISTAN
2e Prix : Anthony WALLACE
AFP
Hong Kong, une révolte populaire - HONG KONG
3e Prix : Laurent VAN DER STOCKT
Le Monde
Contestation irakienne : les jeunes exigent le changement
IRAK
CATÉGORIE TV – JURY INTERNATIONAL - PRIX AMNESTY INTERNATIONAL
1er Prix : John SUDWORTH et Wang XIPING
BBC
Les familles ouïghoures - CHINE-TURQUIE
2e Prix : Julie DUNGELHOEFF, Catherine NORRIS TRENT et Abdallah MALKAWI
France 24
Libye : piège infernal - LIBYE
3e Prix : Nicolas JOXE, Abdulrazzak MADI, Fajr ORABY, Belal ALBAYUSH et Obaida ALNABWANI
SMART NEWS/ARTE
Syrie : les civils sous les bombes près d’Alep - SYRIE
CATÉGORIE PHOTO – PRIX DU PUBLIC PARRAINÉ PAR L’AFD
1er Prix : Anthony WALLACE
AFP
Hong Kong, une révolte populaire - HONG KONG
CATÉGORIE PRESSE ÉCRITE – JURY INTERNATIONAL
PRIX DU DÉPARTEMENT DU CALVADOS
1er Prix : Allan KAVAL
Le Monde
Dans le nord-est de la Syrie, la mort lente des prisonniers djihadistes - SYRIE
2e Prix : Fritz SCHAAP
Der Spiegel
Rain wars - TCHAD
3e Prix : Jack LOSH
Foreign Policy
Les gardes forestiers d’Afrique centrale sont aussi menacés que les animaux qu’ils protègent - RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
CATÉGORIE RADIO – JURY INTERNATIONAL - PRIX DU COMITÉ DU DÉBARQUEMENT
1er Prix : Sonia GHEZALI et Wahlah SHAHZAIB
RFI
Afghanistan : après l’attaque de la maternité de MSF - AFGHANISTAN
2e Prix : Gwendoline DEBONO
Europe 1
Une frappe, des fractures : la mort du Général Soleimani en Irak - IRAK
3e Prix - Émilie BAUJARD
RTL
Les indésirables d’Hassaké - SYRIE
CATÉGORIE JEUNE REPORTER (PHOTO) – JURY INTERNATIONAL
PRIX CRÉDIT AGRICOLE NORMANDIE
1er Prix : Anas ALKHARBOUTLI
DPA
La guerre en Syrie - SYRIE
CATÉGORIE TV GRAND FORMAT – JURY INTERNATIONAL
PRIX VILLE DE BAYEUX
1er Prix : Suzanne ALLANT, Yamaan KHATIB et Fadi AL-HALABI
Découpages pour Arte Reportage
Syrie, dans le piège d’Idlib - SYRIE
CATÉGORIE IMAGE VIDÉO – JURY INTERNATIONAL
PRIX ARTE, FRANCE 24, FRANCE TÉLÉVISIONS
1er Prix : Olivier JOBARD
MAGNETO PRESSE pour ARTE/France 24
Yémen : à marche forcée - YÉMEN
CATÉGORIE PRESSE ÉCRITE – PRIX OUEST-FRANCE – JEAN MARIN
1er Prix : Allan KAVAL
Le Monde
Dans le nord-est de la Syrie, la mort lente des prisonniers djihadistes - SYRIE
CATÉGORIE TV – PRIX RÉGION NORMANDIE DES LYCÉENS ET DES APPRENTIS
1er Prix : John SUDWORTH et Wang XIPING
BBC
Les familles ouïghoures - CHINE-TURQUIE
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