Récit

Au procès du 13-Novembre, la procédure et l’émotion

Salah Abdeslam, le 8 septembre 2021 lors de son procès à Paris.
Salah Abdeslam, le 8 septembre 2021 lors de son procès à Paris. AFP - BENOIT PEYRUCQ

Le procès des attentats du 13 novembre 2015 s’est ouvert mercredi 8 septembre 2021 à Paris. Les trois premiers jours, consacrés aux formalités procédurales, ont donné lieu à quelques temps forts.

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De notre envoyé spécial au palais de justice,

Ce mercredi 8 septembre, le palais de justice de l'île de la Cité est l'un des lieux les plus sécurisés de France. Les rues sont barrées par des cars de CRS, impossible de longer le bâtiment. Celui qui s'est trompé d'entrée doit retraverser le pont qu'il vient de prendre pour en emprunter un autre. Il lui faut ensuite passer deux points de contrôle tenus par des uniformes, en présentant à chaque fois une pièce d'identité. On entre alors dans le palais comme on accède à la salle d'embarquement d'un aéroport, avec contrôle des sacs et portiques de sécurité. 

Tout est balisé, fléché et surveillé par les gendarmes. À chacun sa couleur de badge. Les leurs sont pourvus d'une lanière jaune. Elle est noire pour les avocats, bleue pour les organisateurs, orange pour les journalistes, rouge pour les parties civiles ne souhaitant pas leur parler et verte pour celles qui l'acceptent. Mais ce mercredi, les lanières rouges et vertes sont rares. Ces trois premiers jours d'audience sont consacrés aux formalités procédurales : l’appel des parties, puis la lecture du rapport du président de la cour. Ce sera long, fastidieux, frustrant pour beaucoup. Les avocats ont conseillé à leurs clients de ne pas se déplacer.

Un « maximum de vérité »

À l'entrée de la salle d'audience s'étire un long cortège de robes noires autour duquel rôdent quelques journalistes à l'affût d'une lanière verte. En voilà une. Il s'agit de Dominique Kielemoës, venue avec son mari. Elle est la mère de Victor Muñoz, un jeune homme de 24 ans tué à La Belle Équipe, et vice-présidente de l’association de victimes 13onze15. Elle avoue tenir « sur les nerfs » pour tenter de « résister à la pression médiatique ». De ce procès, elle attend un « maximum de vérité ». La dame au carré gris s’échappe – son avocate l’appelle – et s'engouffre dans la salle confectionnée sur mesure pour ce procès. Elle est immense, 550 places, la plus grande jamais construite, mais trop exiguë pour accueillir les centaines de personnes que ce premier jour d’audience attire.

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Cent quarante-et-un médias ont été accrédités. Les journalistes qui n’ont pas pu s’installer dans la salle principale se sont rabattus dans celle des criées, juste en face, où les débats sont retransmis sur six grands écrans. Les visages sont penchés sur les claviers quand soudain, quatre doigts se tendent vers le seul écran qui montre le box des accusés. Ils viennent d’entrer. « Tu vois Salah Abdeslam ? » « Il est là ? » « C’est lui, tee-shirt noir et masque noir. C’est sûr à 99%. » Depuis son arrestation en mars 2016 à Bruxelles, le seul membre des commandos du 13-Novembre encore en vie est resté quasi mutique. Sa présence est en soi un événement. Dans la salle d’audience, des dessinateurs de presse croquent le box. Une avocate s’évente avec ses notes. Une sonnerie retentit, la cour d’assises spéciale présidée par le magistrat Jean-Louis Périès s’assied. Il est 13h17, le marathon judiciaire est lancé.

Dessin de la salle d'audience du procès des attentats du 13-Novembre, le 8 septembre 2021 à Paris.
Dessin de la salle d'audience du procès des attentats du 13-Novembre, le 8 septembre 2021 à Paris. AFP - BENOIT PEYRUCQ

Les provocations d’Abdeslam

Les interprètes sont appelés à la barre pour décliner leur identité. « Vous jurez d’apporter votre concours à la justice en votre honneur et votre conscience ? - Je le jure. » Vient le tour des accusés, par ordre alphabétique. Salah Abdeslam se lève le premier. « Tout d’abord je tiens à témoigner qu’il n’y a point de divinité à part Allah et que Mohammed est son messager. » « D’accord. Nous aurons l’occasion d’y revenir », répond Jean-Louis Périès, imperturbable, qui poursuit : noms du père et de la mère ? « Leur nom n’a rien à faire ici. » Profession ? « J’ai délaissé ma profession pour devenir combattant de l’État islamique. » « J’avais noté “intérimaire” », rétorque le président. Des rires fusent, perçant l’ambiance de plomb.

Dans le minuscule périmètre réservé aux prises de vue et de son, les micros se bousculent pour recueillir les premières réactions. « On s’y attendait, on le méprise », lâche Dominique Kielemoës à propos du Franco-Marocain. « On l’a vu, enfin. On a entendu sa voix », positive Catherine Orsenne, blessée au Stade de France. Arthur Dénouveaux, le président de l’association Life for Paris, préfère retenir le discours introductif de Jean-Louis Périès qui a rappelé l’importance de faire de ce procès hors norme un procès qui respecte au contraire la norme, la procédure et les droits de chacun. 

Après une deuxième suspension d’audience causée par le malaise d’un de ses coaccusés, Salah Abdeslam prend une nouvelle fois la parole pour dénoncer ses conditions de détention. Sur Twitter, son nom monte dans les sujets chauds. Sur les plateaux de télévision, les spécialistes livrent leurs premières analyses. « Comme aux arts martiaux, le seul survivant des commandos utilise la force de la procédure et de l’État de droit pour la retourner en sa faveur », observe le criminologue Alain Bauer dans l’émission C dans l’air. « Après avoir en partie raté son 13-Novembre, puisque sa ceinture explosive n’a pas fonctionné, il peut se saisir de ce procès pour se racheter et montrer qu’il va se battre jusqu’au bout », avance la journaliste du Monde Elise Vincent.

« Ils n’ont rien fait »

Le deuxième jour commence comme le premier s’est achevé : par la constitution de nouvelles parties civiles. Certains cas sont longuement débattus, comme celui du Bataclan en tant que personne morale. Soudain, Salah Abdeslam se lève et demande : « Est-ce que les victimes en Syrie pourront aussi prendre la parole ? » Et de se lancer dans une tirade où il est notamment question de la générosité des habitants de Molenbeek, et notamment de ses trois copains accusés de l’avoir aidé dans sa cavale, qui comparaissent libres. « Ils n’ont rien fait », jure-t-il. Et comme il ne se tait plus, le président coupe son micro.

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La séance est suspendue, avant que le défilé de celles et ceux qui veulent se constituer parties civiles ne reprenne à la barre. Ce sont des parents plus ou moins éloignés, des proches plus ou moins proches, une femme qui se trouvait dans le Stade de France au moment des explosions, un policier qui s’est précipité rue de Charonne quand il a entendu des coups de feu et qui dit être en arrêt maladie depuis 2016. À chaque fois, il faut trancher. Les débats vont durer jusqu’au soir. Salah Abdeslam ne se lèvera plus.

Croquis de l'accusé Salah Abdeslam, lors du procès des attentats du 13-Novembre à Paris, le 8 septembre 2021.
Croquis de l'accusé Salah Abdeslam, lors du procès des attentats du 13-Novembre à Paris, le 8 septembre 2021. AFP - BENOIT PEYRUCQ

« Voir les accusés »

Le lendemain, les parties civiles sont plus nombreuses. Un rescapé du Bataclan raconte être venu pour voir les accusés, et au nom de tous ceux qui n’ont pas pu se déplacer « parce qu’ils ne sont plus là, parce qu’ils n’ont pas la force ou qu’ils ont peur ». Il a d’abord pris une vraie semaine de vacances. Puis, le premier jour du procès, pour marquer le coup, il est allé à un concert avant d’aller boire des verres avec des amis rencontrés « grâce » au Bataclan. Aujourd’hui, il va écouter le président lire son rapport. Pendant huit heures, assisté de deux assesseures, Jean-Louis Périès va rappeler les faits tels qu’ils sont décrits dans l’ordonnance de mise en accusation, et développer les charges retenues contre chacun des 20 accusés. « Un moment dur, compliqué », qu’Olivier Laplaud, rescapé lui aussi du Bataclan et vice-président de l’association Life for Paris, dit appréhender depuis un certain temps. 

Mais d’abord, le magistrat procède à l’appel des témoins cités à comparaître durant ces neuf mois de procès. Une succession de noms qu’un avocat vient parfois interrompre : pourquoi permettre aux officiers de police judiciaire de témoigner par visioconférence et sous anonymat ? Est-il vraiment utile d’entendre ce « Monsieur Hollande, François » alors que les témoignages sont censés éclairer la personnalité et le rôle de chacun des accusés ? Un autre aimerait que soient cités l’ancien patron des renseignements intérieurs Bernard Squarcini et celui du Raid Jean-Michel Fauvergue, qui se sont exprimés dans un documentaire d’Arte diffusé récemment. Deux heures et demie plus tard, l’appel est terminé. Jean-Louis Périès annonce une suspension avant une lecture « fastidieuse ».

La litanie des morts

La voix monocorde, à peine teintée d’un léger accent, le président commence par le cadre général : « Dans la soirée du vendredi 13 novembre 2015, trois équipes, chacune composée de trois hommes, attaquaient différents lieux de la région parisienne… » Avant de passer au récit détaillé de cette nuit d’horreur : la première explosion à la porte D du Stade de France, celle à la porte H, celle près du McDonald’s de la rue de la Cokerie ; les fusillades sur les terrasses du Carillon et du Petit Cambodge, de À la Bonne Bière et de La Casa Nostra, de la Belle Équipe… Et pour chaque lieu, les noms et âges des personnes tuées. Dans la salle d’audience, on n’entend plus rien d’autre que la voix du président et le cliquetis des claviers. Une dame se balance légèrement d’avant en arrière. Une autre caresse doucement le dos de l’homme effondré à ses côtés. Les psychologues de l’association Paris aide aux victimes parcourent les allées, prêtes à intervenir.

Jean-Louis Périès en vient alors au Bataclan. Il raconte les tirs en rafales à l’extérieur, puis à l’intérieur de la salle de concert où se produit ce soir-là le groupe de rock Eagles of Death Metal, les deux terroristes qui montent au balcon tandis que le troisième se poste au fond de l’enceinte pour couper toute retraite, l’intervention du commissaire de la BAC et de son chauffeur qui tuent Samy Amimour, mettant fin au massacre, la longue prise d’otages et l’assaut de la BRI. Et encore une fois, la litanie des morts. Le 13 novembre 2015, 90 personnes étaient tuées au Bataclan. Ce vendredi 10 septembre, il faudra au magistrat plus de cinq minutes pour toutes les citer.

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