Récit

Procès du 13-Novembre: «On n’est pas nés avec une kalachnikov»

Mohamed Abrini, «l'homme au chapeau» des attentats de Bruxelles, a été le deuxième a être interrogé au procès du 13-Novembre.
Mohamed Abrini, «l'homme au chapeau» des attentats de Bruxelles, a été le deuxième a être interrogé au procès du 13-Novembre. AFP - BENOIT PEYRUCQ

Au procès des attentats du 13-Novembre, la cour d’assises spéciale se penche jusqu’à vendredi sur la personnalité des quatorze accusés présents et leur parcours avant les attaques. Ce mardi étaient notamment interrogés Salah Abdeslam et Mohamed Abrini.

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De notre envoyé spécial au palais de justice de Paris,

Salah Abdeslam n’aime pas parler de lui. C’est son avocate, Me Olivia Ronen, qui le dit. Pourtant, pendant plus de deux heures, l’unique survivant des commandos du 13-Novembre va accepter de revenir sur son enfance et sa jeunesse, adoptant une attitude qu’il n’avait jamais eue jusqu’alors. Muré dans le silence pendant cinq ans et demi puis ayant marqué les premières semaines d’audience par ses coups d’éclat, l’homme se présente en prévenu modèle. Gilet gris perle, chemise claire, crâne rasé, il a même changé d’apparence, ne conservant que sa barbe fournie.

Le président Jean-Louis Périès l’a rappelé d’entrée : il ne s’agit pas d’aborder durant ces quatre prochains jours l’aspect religieux de la personnalité des accusés ; il sera étudié en même temps que l’examen des faits qui leur sont reprochés, en janvier. Quant au profil psychologique, il n’en sera question qu’en mars, lorsque les experts viendront rendre leur rapport. Cette semaine, la cour va donc se concentrer uniquement sur leur vie familiale, leurs parcours scolaire, professionnel et judiciaire.

« Je vivais comme vous m'avez appris à vivre »

Premier interrogé, ordre alphabétique oblige, Salah Abdeslam répond aux questions des magistrats d’une voix douce. Au sujet de sa nationalité qui a longtemps posé question, il explique enfin : « Je suis d’origine marocaine, je suis né en Belgique, j’ai la nationalité française ». Il décrit une famille qui ne manque de rien, la fratrie de cinq enfants « solidaire », dont il est le quatrième, son frère Brahim, celui qu’il préfère, « peut-être parce que c'est celui qui s'est le plus occupé de moi quand j'étais jeune, le plus attentionné ».

Salah Abdeslam se dépeint en enfant « calme, gentil, serviable ». Un « bon élève », aimé de ses professeurs, « ambitieux », qui voulait faire « plein de choses » et qui a suivi un enseignement technique « pour avoir un métier ». Bac électrotechnique en poche, il entre grâce à son père à la Stib, la société des transports en commun bruxellois, où il répare les trams. Il en est licencié au bout d’un an et demi après une tentative de cambriolage qui lui vaut un mois en détention provisoire. Ce n’était pas prémédité, jure-t-il. Il était allé boire un verre et, l’alcool aidant, il s’était retrouvé là. À sa sortie de prison, il s’achète une camionnette pour se mettre à son compte. « Je suis quelqu’un qui aime bien travailler, affirme-t-il. C’est comme ça que mes parents m’ont élevé. »

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Les années qui suivent sont émaillées de nombreuses condamnations pour divers délits routiers et des faits de violence. Mais Salah Abdeslam refuse de passer pour un voyou. Au contraire : il s’efforce de renvoyer l’image d’un homme tranquille. La passion pour les casinos qu’on lui prête ? « J’y vais comme on va boire un verre ». Sa réputation de fêtard invétéré ? « Je ne suis ni un joueur, ni un danseur de discothèque ». Et s’il lui arrivait de sortir, c’est parce qu’il a été « imprégné par les valeurs occidentales ». « Je vivais comme vous m’avez appris à vivre », semble-t-il reprocher. Le propos interpelle une avocate des parties civiles qui lui demande d’expliciter. « Comme un libertin. Vivre sans se soucier de Dieu, faire ce qu’on a envie. » Si le sujet n’est pas abordé frontalement, on devine derrière ses dires le chemin de la radicalisation.

« Traité pire qu’un animal »

Au président qui le questionne sur ses conditions de détention, Salah Abdeslam confirme : oui, il occupe bien seul une cellule de 9 m2 avec télévision, frigo et cabine de douche. Il a aussi une cour de promenade qui lui est réservée. Et une autre cellule équipée d’un vélo elliptique et d’un rameur où il peut faire du sport « une heure le matin et une heure l’après-midi ». Les réponses sont courtes et prudentes. À Fleury-Mérogis, il reçoit régulièrement la visite de son frère Mohamed, de sa petite sœur et de sa tante maternelle. Il refuse en revanche de rencontrer les services sociaux pénitentiaires. « Je veux bien avoir des contacts, mais pas avec eux », répond-t-il d’une voix égale.

Mais lorsque Me Olivia Ronen l’interroge à son tour, le quotidien de son client revêt soudain un autre aspect. « Ça veut dire quoi “placé à l’isolement” ? », lui demande-t-elle. Alors le trentenaire raconte la cour de promenade minuscule depuis laquelle il peut à peine voir le ciel à cause des barreaux et des barbelés qui l’obstruent, et les deux caméras de surveillance installées dans sa cellule qui l’observent en continu. « Je sais que c’est pour m’empêcher de me suicider. Mais ça peut avoir l’effet inverse et pousser au suicide. Même les animaux ne sont pas traités comme ça. »

« Je peux passer plusieurs jours de suite sans dire un mot, affirme-t-il encore. Si je parle avec quelqu’un, on peut le mettre deux semaines au mitard. » Son avocate rappelle les préconisations du Comité européen pour la prévention de la torture qui recommande deux heures de contact humain par jour. « Sont-elles respectées ? – Non. » « Le CPT dit aussi qu’il faut voir le ciel, sentir l’air sur son visage. Arrivez-vous à voir le ciel comme il faut, sentir l’air correctement ? – Non. » Jean-Louis Périès sent alors le besoin de relativiser : « Monsieur Abdeslam, connaissez-vous les conditions de détention des autres détenus à Fleury-Mérogis ? Savez-vous combien ils sont par cellule ? »

« Échec scolaire, échec sportif, échec et mat »

Salah Abdeslam laisse la parole à son voisin de banc et de Molenbeek. De son implication dans les attentats de Bruxelles en 2016, Mohamed Abrini a hérité d’un surnom : « l’homme au chapeau ». Mais ce mardi, ce n’est pas de celui-ci dont il est question. Des surnoms, il en a plein, dit l’homme au léger accent belge qui vient de se lever dans le box. Quand il était petit, c’était « Spiderman ». « Sûrement parce que je grimpais aux murs ». Plus tard, c’est devenu « La Brink’s », en référence à la société de transport de fonds et à ses activités criminelles. Un sourire semble s'esquisser derrière le masque du président.

Après cinq semaines, forcément lourdes, consacrées aux interrogatoires des victimes des attentats du 13-Novembre, les échanges de ce mardi sont presque détendus. L’histoire que Mohamed Abrini raconte à travers les questions posées par les magistrats a pourtant de quoi navrer. L’homme au crâne rasé et à la barbe taillée paraît s’exprimer avec plus de difficulté. Il est le second d’une fratrie de six : Zakaria, l’aîné, Hinde, Ikram, Soulaimane, « le meilleur d’entre nous, tué en Syrie », et Ibrahim, « le cerveau de la famille, le plus intelligent, qui a fait de brillantes études ». « À cause de moi, il a fait un an de prison en quartier d’isolement. »

Ainsi se présente Mohamed Abrini : comme quelqu’un qui a raté sa vie, par lequel le malheur est arrivé et qui en est terriblement désolé. Tout avait pourtant normalement commencé. École, foot en club… Et puis tout a dégringolé. Il abandonne sa formation en mécanique-soudure avant d’avoir obtenu son diplôme et quitte l’école à 17 ans. Il a eu l’impression que ce n’était pas fait pour lui, confie-t-il. « Échec scolaire, échec sportif, échec et mat ». Six jours avant ses 18 ans, il tombe pour vol de voiture et entre pour la première fois en prison. S’ensuivent de multiples condamnations. Mohamed Abrini alterne petits boulots et délits. « La plupart de nous est en échec scolaire. Et comme on ne peut pas rester les bras croisés, on va voler », explique-t-il. « On a l’impression que vous n’aviez pas de but précis dans votre vie, que vous vous laissiez porter », remarque Jean-Louis Périès, empathique. « Oui, c’est ça. »

Mohamed Abrini braque des concessionnaires automobiles. Avec l’argent volé, il voyage, en France, en Espagne, fréquente assidûment les casinos. Vit à 1 000 à l’heure. « J’ai eu plus que ma part de bonheur. Ça m’est arrivé de dépenser 5 000 euros par jour. » Il fait plusieurs séjours en prison. Quand il en sort une dernière fois en avril 2015, les départs en Syrie ont vidé Molenbeek. Son petit frère y est mort. Il n’a plus qu’une envie : y aller à son tour. Le trentenaire explique ces départs par le climat de violence général, alimenté par les images de conflits que les chaînes d’info en continu diffusaient dans les cafés, les commerces et les foyers. À une assesseure qui tente de mieux comprendre, il lance : « Vous savez, Madame, on n’est pas sortis du ventre de nos mères avec une barbe et une kalachnikov. »

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