En France, des jeunes migrants «malades» de leur «non-accueil»
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Au-delà des traumatismes psychiques vécus dans leurs pays d'origine et sur la route de l'exil, les conditions d'accueil en France renforcent la vulnérabilité des mineurs non accompagnés, dénonce Médecins sans frontières (MSF) et le Comité pour la santé des exilé.e.s (Comede) dans un rapport sur la santé mentale des jeunes migrants présenté mardi 9 novembre. La précarité et l'isolement favorisent l'apparition de « nouveaux troubles ».
Mélanie Kerloc’h est responsable des activités en santé mentale pour le programme Mineurs non accompagnés de la Mission MSF (rapport conjoint réalisé en collaboration avec le Comede à consulter ici). Elle a participé au suivi de 395 jeunes étrangers qui tentent de faire reconnaître par la justice française leur statut de « mineur non accompagné ».
RFI : Les migrants que vous avez suivis pendant près de quatre ans sont des jeunes dont la France ne reconnaît pas le statut de « mineur ». En attendant l’aboutissement de leurs recours, ils se retrouvent donc dans un entre-deux. Comment cette situation est-elle possible ?
Mélanie Kerloc’h : Quand un jeune arrive sur le territoire français, qu’il est sans famille et qu’il a moins de 18 ans, il doit demander protection à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Après évaluation de sa situation par le département, un avis est rendu, qui soutient le fait que la personne est mineure ou pas. De cet avis dépend ensuite l’intégration du jeune à l’ASE ou pas. Si la reconnaissance de minorité est refusée, il ne sera pas considéré comme mineur par tous les lieux qui accueillent des mineurs, donc par exemple aucun hébergement pour mineurs ne pourra les prendre. Et en même temps, les dispositifs dédiés aux majeurs ne vont pas les recevoir non plus puisque leur extrait d’acte de naissance stipule qu’ils sont mineurs, et eux-mêmes se déclarent mineurs.
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Ce sont donc des jeunes qui se retrouvent officiellement « ni mineurs, ni majeurs »...
Là où c’est kafkaïen, c’est qu’on leur dit : « Vous n’êtes pas mineur, vous êtes présumé majeur. » Donc on ne reconnaît pas leur minorité, mais on ne leur propose pas d’établir une identité avec laquelle ils vont pouvoir fonctionner dans la société. Résultat : ils sont complètement invisibles, ils n’ont accès à rien, ils n’ont de légitimité nulle part. Ils sont dans une espèce de zone grise, où en fait ils n’ont pas d’existence. Parfois les recours auprès du juge prennent deux mois, mais pour certaines situations, cela peut aller jusqu’à 26 mois avec des jeunes qui deviennent majeurs sans que la situation ait jamais été réglée.
Ils sont complètement invisibles, ils n’ont accès à rien, ils n’ont de légitimité nulle part.
Quelles sont les conséquences ce « non accueil », comme il est qualifié dans le rapport ? Dans quelles conditions vivent les jeunes qui sont accueillis dans le centre de jour de Pantin, près de Paris ?
Sur les jeunes que l’on suit, la moitié de ceux qui commencent un suivi psychologique vivent à la rue et 30 % sont sur un hébergement qu’on qualifie d’instable (réseaux d’hébergeurs citoyens, solidaires, souvent provisoires). Concrètement, tant qu’on vit dans la rue ou qu’on a un hébergement instable, il n’y a pas de possibilité de passer un test pour demander une affectation scolaire, donc il n’y a pas d’accès à la scolarité.
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Concrètement, cela signifie aussi ne pas avoir un euro en poche : ces jeunes ne touchent rien, aucune aide. Ils vont dans les distributions alimentaires, chercher des vêtements là où on en donne, ils n’ont pas de tickets de transport donc ils sont obligés de frauder ou de marcher. Parmi ces jeunes qui se retrouvent sans hébergement, seulement 5 % étaient des enfants des rues dans leur pays d’origine. Donc ils ne connaissent pas du tout ces modes de survie.
Le rapport pointe aussi le fait que le statut incertain complique le parcours de soin en santé mentale de ces jeunes...
En effet, cela veut aussi dire pour eux avoir du mal à accéder à des soins, car, comme ils ne sont pas intégrés à l’ASE, ils n’ont pas de représentant légal. S’ils sont en urgence vitale, bien sûr ils seront soignés, mais sinon, la plupart des services vont refuser de prodiguer les soins. Pour la santé mentale, c’est pareil. Certains médecins refuseront par exemple de dispenser un traitement médicamenteux en l’absence de représentant légal.
50 % des jeunes souffrent d’un trouble psychique réactionnel à la précarité.
Quels sont les troubles psychiques que vous avez constatés chez ces jeunes migrants liés à leur exil et quels sont ceux que vous attribuez aux conditions d’accueil en France ?
Sur les 395 jeunes qu’on a suivis, un gros tiers souffre de syndromes psycho-traumatiques, c’est-à-dire que ce sont des jeunes qui ont vécu des exactions graves dans leur pays d’origine ou sur la route. Donc ils arrivent en France et sont déjà malades. Pour les symptômes, ce sont des reviviscences (flash-back), cauchemars, troubles du sommeil, troubles de la mémoire, jusqu’aux idées suicidaires. Ce qu’on constate, c’est que tous ces symptômes vont « flamber » et être majorés par les conditions dans lesquelles ils vivent, par leur insécurité.
Mais on a aussi 50 % de jeunes qui arrivent en France et qui ne sont pas malades. Et c’est en connaissant ces conditions de « non-accueil » qu’ils développent des troubles ici. Ce n’est pas seulement une souffrance, une détresse psychique. On voit un trouble qui se formalise avec des symptômes comme l’humeur triste, l’anxiété, les troubles du sommeil (insomnie essentiellement), les troubles de la concentration, des attitudes de retrait social, un épuisement physique et psychique, un sentiment d’impossibilité à faire face, à faire des projets. Dans la première phase, ces jeunes souffrent d’une anxiété majeure et puis, dans la deuxième phase, c’est l’état dépressif qui prend le dessus. Et c’est dans cette seconde phase que peuvent émerger des idées suicidaires. C’est ce qu’on appelle le trouble psychique réactionnel à la précarité.
Dans les facteurs qui précipitent la survenue de ce trouble, il y a la solitude, le manque de moyens, le vide administratif, l’absence de perspective, la non-compréhension du système juridique et administratif, la peur d’être déportés...
Dans la présentation du rapport, il a été question d’un jeune ivoirien dont les idées noires avaient « progressivement disparu » depuis qu’un juge des enfants l’avait confié à l’ASE, et après l’obtention d’une carte de séjour, ce qui lui permet de rester sur le territoire français.
Nous, ce que l’on voit, c’est que si les jeunes arrivent à se stabiliser dans un environnement qui est sécurisant et qui offre une perspective, que donc il y a moins de menaces sur l’avenir, moins de menaces sur le fait que tout peut s’interrompre à tout moment et qu’il faudrait repartir à zéro. Que ces migrants sont dans des processus où ils peuvent accéder à la scolarité, à des soins et où ils entrevoient un accès à une vie « normale », oui d’abord la symptomatologie s’apaise et puis elle cesse.
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