Analyse

Emploi des personnes handicapées: la France s'inspire de l'Europe

85% des situations de handicap se déclarent au cours de la carrière.
85% des situations de handicap se déclarent au cours de la carrière. © Rawf8

La 25ème édition de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH) qui se tient du 15 au 21 novembre, est l’occasion pour ses acteurs -entreprises, politiques, associations, société civile et demandeurs d’emploi- de faire le point sur l’accès à l’emploi des personnes handicapées en France, et de comparer le modèle hexagonal aux autres pays d’Europe.

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C’est une jeune fille comme les autres. Carla Rodriguez a 18 ans (« bientôt 19 », tient-elle à préciser) et suit un CAP Employé technique des laboratoires à Romainville, en région parisienne. Petite pour son âge, un peu timide, son visage rond est surmonté d’une jolie frange tressée ; lorsqu’elle prend la parole, elle peine à articuler. Carla souffre d’une affection du chromosome 18 qui provoque un retard de croissance et de développement, des troubles d’apprentissage et des difficultés d’élocution. « Mon rêve depuis que je suis petite, c’était de devenir policière », confie la jeune fille. Sa mère Huguette a dû l’en dissuader, faute d’une condition physique suffisante. Alors Carla a dû s’adapter : ce sera la police scientifique. Huguette sort d’un placard un kit de laborantin, acheté en grande surface, grâce auquel Carla s’entraîne en dehors des cours pour rester au niveau de sa classe de CAP. « Elle a des aptitudes intellectuelles, souligne sa mère. Mais elle prend plus de temps que les autres pour apprendre les gestes et les exécuter. C’est pour ça que je suis inquiète pour son avenir professionnel. Parce que dans le monde du travail, le temps, c’est de l’argent. »

Difficile de lui donner tort. En France, 1,5 million d’actifs sont en situation de handicap, et 480 000, soit un tiers d’entre eux (Agefiph, juin 2021), sont au chômage, dont 63 % en chômage de longue durée. Une situation alarmante que dénoncent les différents acteurs de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), dont la 25e édition se déroule du 15 au 21 novembre, sous le double patronage du gouvernement français et du Parlement européen. « Nous avons créé la SEPH en 1997, explique Éric Blanchet, président de l’Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (LADAPT), à l’origine de cette initiative. Le E d’ «Européenne» est venu compléter ce sigle en 2015. L’objectif est notamment de comparer les différentes approches dans les autres pays, pour pouvoir s’inspirer ailleurs de solutions auxquelles la France n’aurait pas pensé. »

Deux grands modèles européens

Comme 57% des pays de l’Union européenne, dont l'Allemagne, l'Espagne et la Pologne, la France est partisane d’une législation contraignante pour l’embauche des personnes handicapées, avec une politique de quotas. Il n’existe pas en France de secteur de marché spécifiquement adapté aux travailleurs handicapés, mais des structures comme les Établissements et services d’aide par le travail (ESAT) leur sont réservées. Surtout, le code du travail impose aux employeurs de plus de 20 salariés d’embaucher des personnes en situation de handicap dans une proportion de 6% de l'effectif total.

Une stratégie qui présente aussi ses inconvénients. « Quand j’ai décroché un CDI dès mon premier emploi, j’étais aux anges, raconte Emmanuelle Aboaf, sourde et développeuse généraliste (full-stack) depuis dix ans. Mais j’ai vite déchanté quand j’ai compris qu’on m’avait recrutée pour le quota de personnes handicapées. Moi, je voulais travailler comme tout le monde, pas être payée à rien faire ! » La jeune femme a quitté cette entreprise et travaille aujourd'hui dans une SSII, où elle estime que ses compétences sont employées à leur juste valeur.

A contrario, la plupart des pays anglo-saxons, comme la Suède, le Norvège et le Danemark, mais aussi l’Angleterre qui a renoncé au principe du travail protégé en 2011, ont opté pour un modèle de droit commun, avec un système d’inclusion totale sans mesure spécifique pour les travailleurs handicapés. La politique des quotas et les établissements réservés y sont perçus comme discriminatoires, au détriment d’une égalité réelle pour tous les travailleurs. Il ne s’agit pas, pour l’heure, du modèle le plus performant, comme le pointe le média spécialisé Handicap.fr : la France et la plupart des pays adeptes des quotas se situent dans la moyenne haute européenne sur l’accès à l’emploi. L’écart entre le taux de chômage des personnes handicapées et celui des valides est ainsi de 20 points en France, contre 35 au Royaume-Uni.

► À écouter aussi : Europe: le handicap victime collatérale du Covid-19?

La France en retard sur l’accessibilité

Mais pour les acteurs de la SEEPH, et en premier lieu LADAPT, la France ferait bien de s’inspirer du modèle scandinave et anglo-saxon sur certains points spécifiques, comme l’accompagnement à l’emploi. « Ce modèle repose sur un 'job coach', détaille Marc Desjardins, directeur du Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP). Il suit sans limitation de durée une personne en situation de handicap dans sa recherche d’emploi, puis au cours de sa vie professionnelle. C’est particulièrement utile en cas de handicap psychique, ainsi que pour l’autisme: lors d’un conflit, par exemple, le 'job coach' peut servir de médiateur entre le salarié handicapé et sa hiérarchie. » De 4 000 à 5 000 personnes bénéficient aujourd'hui de cet encadrement en France, un nombre qui devrait doubler dans les prochaines années.

La France pèche aussi sérieusement sur les questions d’accessibilité, souligne Marc Desjardins. Les transports au Portugal et en Espagne répondent ainsi bien mieux aux besoins professionnels des personnes à mobilité réduite que les transports français. Mais surtout, l’accessibilité numérique devient de plus en plus cruciale pour l’emploi. Or « la numérisation a gagné le milieu professionnel en oubliant les salariés handicapés. Beaucoup de logiciels sont encore inaccessibles pour les personnes souffrant de déficience visuelle. »

Une injustice que dénonce aussi Philippe Chazal, trésorier de l’Union européenne des Aveugles et auteur de l’ouvrage Les aveugles au travail. « Il y avait par le passé beaucoup de fonctions occupées traditionnellement par des aveugles : secrétaire, standardiste, accordeur de piano… Or la plupart de ces professions ont disparu et les nouvelles qui sont apparues, comme dans l’informatique, ne suffisent pas à pallier ce manque. D’autres sont en train de nous exclure peu à peu, comme la profession de masseur-kinésithérapeute. Il y a 2 000 kinés aveugles en France, mais les logiciels employés dans les hôpitaux ne leur sont pas accessibles, faute de machines adaptées ! À l’inverse, l’Italie les a très bien intégrés à ses services hospitaliers. »

« Pas de recette miracle, mais une pluralité de solutions »

« Il n’y a pas de recette miracle, reconnaît Véronique Bustreel, directrice innovation de l’Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), mais une pluralité de solutions. Finalement, il n’y a pas d’énormes différences entre tous les pays européens, je n’en connais aucun qui soit totalement exemplaire. Il faut continuer de marteler notre message jusqu’à arriver à un vrai progrès social pour tous. » Comme la France, rappelle-t-elle, toute l’Europe est confrontée aux persistances de stéréotypes liés au handicap et aux discriminations systémiques. Lors d’une enquête Ifop pour l’Agefiph réalisée en 2021, 63% des sondés disaient avoir été discriminés au cours de leur scolarité, 50% au cours de leur recherche d’emploi et 35% dans leur vie professionnelle.

« C’est la politique des petits pas », assure Frédéric Lacaze, chargé de mission handicap à la Mairie de Toulouse. Dans le secteur public comme dans le privé, les responsables handicap continuent de sensibiliser et communiquer au quotidien autour de la situation des personnes handicapées, et surtout de former les managers, les plus à même d’offrir un cadre de travail favorable aux salariés handicapés. « Personne n’est à l’abri du handicap, rappelle Frédéric Lacaze. 85% des situations de handicap se déclarent au cours de la carrière. »

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