Azerbaïdjan/Défense

Révélations gênantes d’Anonymous sur le commerce d’armes en Azerbaïdjan

L'Azerbaïdjan a facilité des transferts d'armes sous couvert de vols diplomatiques. (Image d'illustration)
L'Azerbaïdjan a facilité des transferts d'armes sous couvert de vols diplomatiques. (Image d'illustration) DOMINICK REUTER / AFP

Dans des documents révélés par les hackers du groupe Anonymous, on découvre que l’Azerbaïdjan a facilité de nombreux transferts d’armement sous couvert de vols diplomatiques. Un abus de procédure qui concerne des armes destinées au monde entier.

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Au début du mois de juillet, ce sont des centaines de documents qui ont été volés à l’ambassade d’Azerbaïdjan de Sofia, en Bulgarie. Selon celle-ci, il s’agit d’un piratage informatique. Les membres d’Anonymous Bulgarie qui nous ont remis les dossiers parlent eux plus volontiers d’une fuite. Dans tous les cas, entre les échanges de mails entre diplomates sur le tourisme en Europe de l’Est et les comptes rendus sur le conflit avec l’Arménie, une liste de transferts d’armement par avion soulève diverses questions.

De nombreux formulaires signés par l’Azerbaïdjan et des pays partenaires dressent la liste de vols effectués entre 2015 et 2017, pour une majorité sur des avions de la compagnie nationale Silk Way Airlines. Des vols qui ont bénéficié pour la plupart d’autorisations diplomatiques, tout en transportant de l’armement vers des destinations très variées. Sans être illégale, les pays survolés ayant donné leur accord, cette pratique transgresse la raison d’être de la couverture diplomatique.

L’Azerbaïdjan, plaque tournante des ventes d’armes

L’un des principaux clients de ces prestations est américain. Le commandement des forces spéciales (USSOCOM) a mandaté une série de compagnies privées (Purple Shovel, Chemring Military Products, Culmen International LLC – Aucune n’ayant accepté de répondre à nos questions) dans le cadre du programme « livraisons d’armes aux standards non-américains ». Ces sociétés livrent ainsi des armes achetées en Europe de l’Est à des groupes armés syriens et kurdes formés par l’armée américaine, notamment en Bulgarie. Silk Way Airlines a profité de vols diplomatiques pour assurer la logistique.

L’Arabie saoudite revient également à de nombreuses reprises dans ces listings. Toujours en recourant à Silk Way Airlines, Riyad a multiplié les livraisons d’armes sous couverture de vols diplomatiques, dont certains à destination de la République du Congo ou de l’Afrique du Sud. Dans plusieurs cas, des avions de l’armée de l’air azerbaidjanaise ont même assuré une partie du transport.

Si les vols sont généralement au départ de pays d’Europe de l’Est (Bulgarie, Serbie, République Tchèque, Roumanie), les destinations sont extrêmement variées : Pakistan, Afghanistan, Burkina Faso, Arabie saoudite, Irak, Israël, Turquie… Les livraisons portent dans la majorité des cas sur de l’armement lourd (artillerie anti-char, mortiers, explosifs, véhicules blindés), des armes légères (pistolets, fusils d’assaut) et des munitions.

Une partie des vols concerne des livraisons d’armes à l’Azerbaïdjan. Des révélations gênantes puisque le pays est soumis, dans le cadre du conflit qui l’oppose à l’Arménie dans le Haut-Karabagh, à un embargo sur les armes de l’OSCE. Une bonne partie des Etats qui se retrouvent impliqués dans ce transport d’armement sont en effet membres de cette organisation.

Une défense maladroite

Les autorisations diplomatiques, qu’elles portent sur des bagages, des personnes ou des moyens de transport, visent à faciliter et à sécuriser le travail des diplomates. Dans la plupart des pays, on interdit le contrôle des biens marqués du sceau diplomatique. En ce qui concerne les vols, la situation peut varier d’un pays à l’autre. L’Union européenne, par exemple, a décidé en 2013 de faciliter les vols militaires et les opérations logistiques pour 13 de ses pays membres.

Dans le cas de l’Azerbaïdjan, la nature diplomatique d’une partie des vols peut être admise : lorsque Bakou acquiert de l’armement notamment. Dans la plupart des autres cas, Bakou fait bénéficier de sa couverture diplomatique à des cargos au profit d’entreprises et de pays tiers. Silk Way Airline se retrouve ainsi à faire transiter de l’armement à des fins commerciales, vers une multitude de destinations. Tant que les pays concernés donnent leur accord, ce n’est pas illégal. C’est un simple abus de procédure, comme quand un diplomate utilise sa valise diplomatique pour faire circuler de l’alcool par exemple.

Le ministère des Affaires étrangères azerbaidjanais dénonce une volonté de manipulation. Son porte-parole, Hikmet Hajiyev, ne voit aucun problème : « Lors de vols transportant des cargaisons militaires, il est obligatoire d’informer les pays de départ, de transit et de destination à travers les canaux officiels. L’Azerbaïdjan a respecté les procédures établies et a obtenu les autorisations de survol nécessaires dans le contexte d’un contrôle des exportations. Toutes les opérations sont transparentes. »

Le ministère des Affaires étrangères reconnaît les opérations au profit de l’Otan et de plusieurs pays membres de cette organisation militaire, comme les Etats-Unis et l’Allemagne. Il s’agit pour Bakou de « participer à la lutte contre le terrorisme ». Pour les nombreuses autres opérations, ce sera silence radio et aucune justification.

Le malaise pourrait en réalité venir de l’affichage par ces révélations d’amitiés gênantes pour Bakou. Une partie de ces vols a en effet permis aux Etats-Unis de fournir des armes à des groupes rebelles syriens combattant le régime de Bachar el-Assad et ses alliés russes. Moscou étant un partenaire clef de l’Azerbaïdjan, une telle posture est particulièrement délicate à assumer. Une gêne dont témoigne un autre diplomate azerbaidjanais que nous avons pu interroger : « Equiper des groupes qui combattent les Russes ? Je ne peux même pas imaginer que ce soit possible. »

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