Agnès Levallois: «Il risque d'y avoir des massacres, la stratégie de Bachar el-Assad, c'est de raser»
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L’armée syrienne contrôle le centre de Qousseir. Les rebelles repoussés, les troupes gouvernementales ont pénétré dans cette place forte de l’insurrection quelques heures après avoir donné le premier assaut dimanche 19 mai, à midi. Et les combats se poursuivraient sur place. Une résistance acharnée comme le laissent entendre les rebelles avec de nombreuses questions, surtout sur le sort des populations civiles. Et au-delà de cet assaut de Qousseir, il y a l’enjeu de la province, celle de Homs. Agnès Levallois est responsable Moyen-Orient à la revue Risques internationaux. Elle était ce lundi 20 mai l’« Invité de la mi-journée » de RFI.
RFI : Que représente aujourd’hui cette bataille de Qousseir ?
Agnès Levallois : C’est une bataille très importante pour le régime de Bachar el-Assad puisque c’est un verrou que le gouvernement de Bachar el-Assad veut faire sauter, qui lui permet d’avoir la continuité territoriale entre Damas et ce qu’on appelle la région alaouite, qui est la région autour de Lattaquié et Tartus. C’est donc un point de passage qui permet d’aller de cet endroit à l’autre, et aussi une position de repli éventuellement pour le régime de Bachar al-Assad, si celui-ci était mis en difficulté à Damas. Une bataille qui permet de dire également à l’opposition que ce régime est en train de reprendre du terrain.
Il est difficile de toujours de faire la part des choses sur ce qui se passe exactement dans ces combats, entre la communication des uns et des autres. Mais en tout cas, les forces gouvernementales semblent être entrées très rapidement au cœur de la ville ?
Oui, on voit effectivement qu'aujourd'hui ce régime, qui est encore plus appuyé qu’auparavant par les Russes, mais également par l’Iran et par certains membres du Hezbollah libanais, bénéficie d’un appui très important qui lui permet justement de reprendre cette position stratégique à laquelle il n’avait pas renoncée. Et on savait bien - ça avait été le cas de déclarations de responsables syriens - qu'il y avait l’idée de reprendre cette place stratégique. Donc, l’aide qu’il a reçue en termes d’armement de la Russie et en termes humains de la part du Hezbollah lui permet actuellement de reprendre cette position. Et on voit l’opposition en face qui essaie de résister tant qu’elle peut, mais avec des moyens relativement limités. Et ça repose une fois de plus la question de l’armement de l’opposition : est-ce qu’on aide cette opposition ou est-ce qu’au contraire on laisse le régime de Bachar el-Assad finalement reprendre position puisqu’il a les moyens lui, puisqu'il est aidé, ce qui n’est pas le cas de l’opposition, dans tous les cas pas dans les mêmes proportions.
Au-delà justement de cet armement, de cet équipement, est-ce qu’il n’y a pas aussi un problème au niveau de la décision du commandement de l’insurrection qui n’a peut-être pas mis tous les moyens humains et matériels nécessaires précisément sur cette position stratégique ?
C’est vrai que l’opposition est confrontée à plusieurs difficultés. D’abord il y a plusieurs endroits qu’elle essaie de maintenir, plusieurs endroits où elle essaie de rester présente pour éviter que les forces gouvernementales reprennent position. Donc, elle a mis un certain nombre de forces sur place. Mais effectivement, elle n’a pas forcément la capacité de toutes les mettre, et ça pourrait laisser penser que d’autres places pourraient être reprises par les forces de Bachar el-Assad. Donc on voit une opposition qui, actuellement, a des difficultés à avoir suffisamment de moyens, non seulement militaires mais également humains, pour pouvoir se maintenir en différents points du territoire. Cette bataille de Qousseir est effectivement très inquiétante pour l’opposition. Et elle est inquiétante au-delà de ça parce qu’on sait très bien qu’il risque d’y avoir des massacres puisqu’on voit bien que la stratégie des forces gouvernementales, lorsqu’elles reprennent une position, c’est vraiment de raser. On risque de connaître très vite des massacres terribles auprès même de la population civile et pas simplement les combattants.
L’opposition politique s’est donnée trois jours pour déterminer si elle allait participer à une conférence internationale, approuvée tant par Washington que par Moscou. Est-ce que cette bataille de Qousseir peut changer la donne ou influencer cette décision ?
Oui, bien sûr. Ce qui est clair, c’est qu’en tous les cas pour les troupes de Bachar el-Assad, il était important de reprendre ce site avant la conférence internationale parce que si les forces y arrivent, ça mettra Bachar el-Assad en position de force dans la discussion et dans cette conférence si celle-ci a lieu. Et ça mettra l’opposition en position de plus grande faiblesse. On voit bien que la reprise par les forces gouvernementales de cette place est très importante, aussi dans le cas de la préparation de la perspective de cette conférence internationale puisque Bachar el-Assad doit vouloir capitaliser, s’il arrive à la reprendre, en terme après diplomatique dans le cadre de cette conférence.
Justement, la communication joue beaucoup dans cette guerre avec Bachar el-Assad, qui avait précisément pris la parole la veille du début de cet assaut contre la ville de Qousseir ?
On voit bien que Bachar el-Assad est dans une logique, qu’il gère relativement bien cette communication. On retrouve la stratégie qu’il mène depuis le début de ce conflit, qui est d’essayer de gagner le plus de temps possible en se disant que s’il gagne du temps, il va peut-être finir par s’en sortir alors qu’on prévoyait qu’il n’arriverait pas à sortir vainqueur de cette situation et de ce drame qui se joue. Aujourd’hui, on voit bien que tous les moyens sont bons, aussi bien en terme militaire que de communication, pour avancer ses pions et pour faire valoir sa stratégie, hélas, qui est aujourd’hui de dire : « Vous voyez, de toute façon, moi je suis en mesure de reprendre des parties du territoire, donc cette opposition n’est pas représentative, donc j’ai toute la légitimité pour rester au pouvoir au moins jusqu’en 2014 », qui est normalement le rendez-vous électoral de la prochaine échéance présidentielle. Tout cela de son point de vue est très cohérent. Il suit sa stratégie qui, pour l’instant, lui porte plutôt chance, même si j’ai du mal à utiliser ce terme parce que tout cela se passe alors qu’il y a au moins 100 000 morts dans la population syrienne. Et c’est ça le drame de cette situation, c’est qu’il arrive à reconquérir des positions, il gagne du terrain, mais à un prix évidemment extrêmement élevé.
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