Bahreïn: «On ne connait pas le paysage politique de l’opposition»
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Des législatives et municipales sont organisées ce samedi 22 novembre à Bahrein. Ce royaume du Golfe à majorité chiite, dirigé par une dynastie sunnite, avait été secoué en 2011 par un soulèvement dans le siège des Printemps arabe, un mouvement durement réprimé. Le vote est boycotté par l’opposition chiite. Jean-Paul Burdy, professeur à Sciences Po Grenoble, a répondu aux questions de RFI.
RFI : Quel est l’enjeu du vote du côté du pouvoir, comme du côté de l’opposition ?
Jean-Paul Burdy : Du côté du pouvoir, il s’agit évidemment de tester à la fois au moins au plan intérieur et au plan international une situation politique normalisée quatre ans après le Printemps de la Perle, d’autant plus que la campagne s’est déroulée à peu près dans le calme. Il s’agit d’autre part pour le régime de montrer qu’il a fait des efforts et qu’il a écouté en partie l’opposition. Il a procédé en particulier à un important redécoupage des circonscriptions électorales qui sont plus équilibrées que dans les épisodes précédents. Elles sont notamment plus mélangées au plan confessionnel. Et du coup, peut-être que la donne politique pourrait légèrement évoluée à l’issue de ce scrutin. L’enjeu pour le gouvernement est très clairement qu’il y ait une forte participation malgré l’appel au boycott de l’opposition.
Ce redécoupage ne risque-t-il pas de limiter l’effet de cet appel au boycott ?
C’est une des questions dont on n'aura la réponse qu’au vu des résultats. Les circonscriptions étaient extrêmement déséquilibrées au plan démographique autrefois. Maintenant, elles comptent toutes à peu près entre 8 000 et 12 000 électeurs. Donc, il y a eu un gros effort d’équilibrage. Et d’autre part, il y a eu un redécoupage des limites qui fait que même si on a encore des circonscriptions chiites et des circonscriptions sunnites, on a de nouvelles circonscriptions qui sont un peu plus mixtes et dont les résultats ne sont pas acquis. Là, il y a eu un effort d’ingénierie électorale, mais on ne sait pas du tout quelles en seront les conséquences.
Le Printemps de la Perle, c’est ce soulèvement de 2011. Est-ce que ce mouvement et la répression qui a suivi, n’ont-ils pas radicalisé l’opposition ?
Il y a deux oppositions. Il y a l’opposition des jeunes qu’on appelle le Mouvement du 14 février, qui est une opposition de type guérilla urbaine, harcèlement des forces de police dans les villages et les quartiers chiites de l’archipel. Puis, il y a l’opposition légaliste, qui est principalement représentée par le grand parti chiite al-Wefaq. Le problème, c’est que ces deux oppositions de mon point de vue sont dans une impasse. La première parce que de toute façon la police et la répression contiennent les manifestations dans les quartiers chiites loin du centre-ville, et pour ce qui est de l’opposition légaliste, elle n’a guère d’espace d’expression et en plus elle a été partiellement décapitée par la répression depuis trois-quatre ans, y compris ces derniers mois. Un certain nombre de ses membres et dirigeants sont soit en prison, soit envoyés en exil à Londres.
Dans ce contexte de répression, quelle est l’influence des grands pays qui jouent un rôle à Bahreïn, qu’il s’agisse des Etats-Unis, de l’Arabie saoudite ou de l’Iran ?
Ni l’Arabie saoudite ni l’Iran, à mon avis, n’ont la moindre influence sur le déroulement des élections. Les Etats-Unis plaident discrètement depuis le Printemps de la Perle pour une démocratisation du système. Les Etats-Unis misent en particulier sur le prince héritier, Salman ben Hamad ben Issa al-Khalifa, qui est censé être plus progressif que son père, le roi, et surtout que son grand-oncle, le Premier ministre, qui est en fait l’homme fort du régime. Mais en réalité, le régime n’en fait guère qu’à sa tête en la matière. Il prétend à la démocratisation, mais en réalité, il y a peu de choses qui ont changé ces derniers temps.
Certaines voix au sein de l’opposition chiite, qui a donc appelé à boycotter le scrutin d’aujourd’hui, veulent renouer avec le pouvoir. Cette volonté est-elle marginale ?
Ce qui m’a beaucoup frappé sur le terrain ces derniers jours c’est que l’opposition légaliste est un peu dans une impasse, y compris par son appel au boycott. En ne participant pas aux élections, elle ne peut pas se compter, donc on ne sait pas du tout quel est le paysage politique de l’opposition depuis l’écrasement du Printemps de la Perle en 2011. Et là, on ne le saura pas puisqu’il n’y aura pas d’indice statistique. D’autre part, si cette opposition avait participé et même si elle se retrouvait – ce qui était vraisemblable –, minoritaire au Parlement, elle aurait eu une tribune officielle et elle aurait pu dire, « nous représentons tant de pourcents, nous sommes sous-représentés dans l’appareil politique ». Par le boycott, elle a perdu tout espace politique d’expression publique. Ce qui est un vrai problème. Et je crois qu’une partie des dirigeants al-Wefaq ou des autres partis qui ont appelé au boycott sont un peu gênés par cette affaire qui finalement les maintient dans une marginalité politique potentiellement pour les quatre ans qui viennent.
Bahreïn fait partie des pays de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique qui intervient en Irak. Est-ce que c’est un point important ? Est-ce que cela est bien ressenti au sein de l’opinion de Bahreïn ?
Ce qui m’a frappé à Bahreïn, comme d’ailleurs à la lecture de la presse du Golfe, c’est la grande discrétion finalement dans cette affaire d’intervention contre Daesh. Les Etats du Golfe, sauf peut-être l’Arabie saoudite qui était évidemment directement concernée en tant que grande puissance, ont fait littéralement profil bas sur cette affaire. Par exemple, quand les premières frappes aériennes ont eu lieu, il a fallu pratiquement 48 heures pour que les presses locales rendent compte de la participation des armées aériennes des différents émirats aux bombardements au côté des Américains. Donc il y a une gêne assez évidente dans tout le Golfe sur cette affaire de la lutte contre Daesh, y compris parce que les Emirats du Golfe ou l’Arabie saoudite sont en partie responsables idéologiquement de la radicalisation d’un mouvement sunnite comme l’organisation Etat islamique.
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