Syrie: après la riposte d'Ankara, l’escalade des tensions inquiète
La Turquie a bombardé dans la nuit de jeudi à vendredi des positions du régime de Bachar el-Assad en représailles à la mort de 33 militaires turcs dans la région d'Idleb au nord-ouest de la Syrie, a déclaré la présidence turque. Depuis, l'escalade des tensions inquiète la communauté internationale.
Publié le : Modifié le :
« Toutes les positions connues du régime (syrien) ont été prises sous le feu de nos unités terrestres et aériennes », a affirmé le directeur de la communication de la présidence Fahrettin Altun dans un communiqué.
Cette riposte intervient après la mort d'au moins 33 militaires turcs dans des frappes attribuées par Ankara au régime syrien dans la région d'Idleb. C’est l’une des attaques les plus meurtrières jamais subies par l’armée turque dans son histoire récente, ce qui donne une idée de l’émoi que la nouvelle a suscité dans le pays. « Nos valeureux soldats seront vengés », a déclaré M. Altun.
Selon le préfet de Hatay, province frontalière d’Idleb où sont hospitalisés les nombreux blessés, l’aviation syrienne, car c’est pour l’instant le régime syrien qu’Ankara met officiellement en cause, a frappé les militaires turcs dans la localité de Baluon, au sud-ouest de Saraqeb. Une ville reprise quelques heures plus tôt par les rebelles syriens soutenus par Ankara.
Les explications de la Russie
Ce vendredi matin, le ministère russe de la Défense a donné sa version des faits. Le premier reproche formulé par le ministère russe de la Défense est que la Turquie n’a pas communiqué la présence de ses troupes dans la zone visée par l’armée syrienne. C'est ce que relate notre correspondant à Moscou, Daniel Vallot. Le second reproche concerne les soldats turcs qui « n’auraient pas dû se trouver » dans cette zone, « aux côtés de groupes terroristes ».
La Russie précise que ses avions n’ont pas été impliqués dans cette opération : les soldats turcs ont péri sous le feu syrien, et non pas russe. Moscou ajoute qu’aussitôt informée de la présence de ces soldats dans la zone, l’armée russe a pris toutes les mesures nécessaires pour que les tirs s’arrêtent. Pour l’heure, Moscou cherche encore à éviter l’escalade avec Ankara.
Selon le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan ont eu un entretien téléphonique ce vendredi, à l'initiative d'Ankara. Le contact n’est pas rompu, les négociations se poursuivent en vue d’une solution négociée à Idleb, même si pour l’instant ces contacts diplomatiques restent infructueux.
La possibilité d’un sommet entre les deux présidents évoquée par la Turquie n’a pas été confirmée à Moscou. En attendant, le chef de la diplomatie russe qui a présenté ses condoléances à la Turquie affirme que son pays « fera tout pour assurer la sécurité des soldats turcs déployés en Syrie ».
La Turquie demande le soutien de l'Otan
Recep Tayyip Erdogan a par ailleurs exhorté la communauté internationale, y compris la Russie et l'Iran, parrains de Damas, à « prendre leurs responsabilités » pour « faire cesser les crimes contre l'humanité que commet le régime ». La Turquie appelle l’Otan à lui apporter un soutien « concret », et agite une fois de plus la menace migratoire.
Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a ensuite annoncé une réunion en urgence des ambassadeurs des 29 pays de l'Otan. La convocation de cette réunion fait suite à une demande de la Turquie, membre de l'Otan, en vertu de l'article 4 du traité qui peut être invoqué par un allié estimant son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité menacée, selon un communiqué de l'Alliance.
Jens Stoltenberg s'est ensuite exprimé lors d'une conférence de presse à l'issue d'une rencontre entre les ambassadeurs de l'alliance et a affirmé son soutien à l'égard de la Turquie. « Nous appelons la Russie et le régime syrien à cesser les combats et les attaques aériennes aveugles (...) Nous appelons aussi la Russie et à la Syrie à respecter pleinement le droit internationalet et à soutenir les efforts de l’ONU pour une solution pacifique .»
« Il faut une désescalade de cette dangereuse situation et nous appelons à un retour immédiat au cessez-le-feu de 2018 pour éviter qu’empire l’horrible situation humanitaire dans la région et pour permettre un accès humanitaire urgent à ceux qui sont piégés à Idleb », a-t-il ajouté.
Après l’attaque, des sources officielles turques ont également affirmé qu’Ankara n’empêcherait plus le passage, par la terre ou la mer, de réfugiés en Europe. Un moyen évident de faire pression sur les Occidentaux pour qu’ils soutiennent la Turquie face au régime syrien , et son allié russe, à Idleb. Après cette annonce, la Grèce a décidé de renforcer ses patrouilles à la frontière avec la Turquie.
L'UE inquiète d'une « confrontation militaire internationale »
L’UE s’inquiète d’un risque de « confrontation militaire internationale majeure » en Syrie et « envisagera toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts en matière de sécurité », a annoncé vendredi le chef de sa diplomatie, Josep Borrell.
« Il est urgent de mettre un terme à l'escalade actuelle. Il y a un risque de glissement vers une confrontation militaire internationale ouverte majeure », a-t-il déclaré dans un message sur son compte twitter. « L'UE appelle toutes les parties à une désescalade rapide et regrette toutes les pertes de vies humaines .» Josep Borrell a conclu en précisant que l’UE envisagera toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts en matière de sécurité. « Nous sommes en contact avec tous les acteurs concernés.»
(1/2) #Idlib - Ongoing escalation around needs to stop urgently. There is a risk of sliding into a major open international military confrontation. It is also causing unbearable humanitarian suffering and putting civilians in danger.
Josep Borrell Fontelles (@JosepBorrellF) February 28, 2020
L’UE multiplie les contacts diplomatiques, en particulier avec la Russie et elle envisage une action humanitaire dès que l’accès à la région le permettra. L’UE appelle par ailleurs la Turquie à respecter les accords euro-turcs sur les migrants et à empêcher les réfugiés d’affluer vers l’Union européenne.
► À lire aussi : Syrie: la Turquie ne fera pas «le moindre pas en arrière» à Idleb
Le président Recep Tayyip Erdogan a convoqué jeudi soir un conseil de sécurité nationale extraordinaire consacré à la situation à Idleb. Une réunion pour décider, notamment, de la suite des opérations de l’armée turque à Idleb, où des milliers de soldats sont déployés depuis le début du mois sans couverture aérienne. Les lourdes pertes essuyées par les forces turques jeudi interviennent après des semaines d'escalade à Idleb entre Ankara et le régime syrien, appuyé par Moscou.
Avec le soutien de l'aviation de Moscou, Damas a déclenché en décembre une offensive pour reprendre le dernier bastion rebelle et jihadiste d'Idleb. Le régime et son allié russe ont mis les bouchées doubles ces dernières semaines et repris plusieurs localités dans cette province frontalière de la Turquie.
L'offensive a aussi entraîné des tensions entre la Russie et la Turquie, deux acteurs majeurs du conflit syrien qui ont renforcé leur coopération sur ce dossier depuis 2016 malgré leurs intérêts divergents.
Ces derniers jours, M. Erdogan a plusieurs fois sommé le régime syrien de retirer ses forces d'ici fin février de certaines zones dans la région d'Idleb, menaçant sinon de recourir à la force.
L'offensive du régime syrien a aussi provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d'un million de déplacés coincés dans une étroite bande de territoire à la frontière turque. Le conflit en Syrie a fait plus de 380 000 morts et déplacé des millions de personnes depuis 2011.
(Avec AFP)
Indignation du Conseil de sécurité
À l’ONU, jeudi, où l’on évoquait la crise humanitaire au nord-est de la Syrie, le secrétaire général a dénoncé l’insuffisance de transfert d’aide humanitaire à Idleb depuis que deux des quatre points de passage transfrontaliers ont été fermés fin janvier, sous la pression de la Russie, alliée du régime d’Assad, et où 80% des réfugiés sont des femmes et des enfants. Il a appelé Damas à améliorer les choses faute de quoi il demanderait la réouverture de nouveaux passages. Et tous les membres du Conseil de sécurité, hormis la Russie, ont détaillé la catastrophe humanitaire.
Avec notre correspondante à New York, Carrie Nooten
Rarement les membres du Conseil de sécurité ont cumulé autant d’histoires parvenues d’Idleb pour exprimer leur indignation. L’un explique que des parents brûlent leurs propres vêtements pour pouvoir réchauffer leurs familles. Une autre confirme qu’un demi-million d’enfants ont été déplacés à Idleb, parfois pour la 6e ou 7e fois. En plus d’un meilleur accès à l’aide humanitaire, la directrice de l’Unicef a demandé un cessez-le-feu immédiat.
Henrietta Fore, qui va se rendre en Syrie la semaine prochaine, a procédé à un sinistre égrenage qui a marqué les esprits :
« Les frappes récentes sur ces camps de fortune à Idleb et sur ces enfants et professions tués d’une façon horrible il y a juste deux jours lors d’attaques sur 10 écoles, sont à la fois répréhensibles et moralement répugnantes. Les hôpitaux restent des cibles : 72 d’entre eux ont cessé d’opérer à cause des combats. On a entendu que des enfants mourraient de froid. Et un enfant sur quatre risque de développer des troubles mentaux sévères. »
Les trois membres permanents du Conseil qui avaient plaidé pour le maintien de ces 4 points d’accès humanitaire – France, Grande-Bretagne et États-Unis –, ainsi que l’Allemagne et la Belgique ont nommément accusé la Russie d’être responsable de ces « crimes de guerre » et lui ont rappelé qu’elle n’échapperait pas à la commission d’enquête.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne