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«Algérie: le Covid-19 à la rescousse des généraux», selon la spécialiste José Garçon

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Alors que le seuil des 4000 cas d’infection au Covid-19 a été franchi en Algérie, la répression se durcit contre les médias et les journalistes actifs dans la couverture du Hirak, ce mouvement populaire qui exige un changement de système depuis plus d’un an. José Garçon, spécialiste de l’Algérie et membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, vient de publier une analyse sous le titre «Algérie: le Covid-19 à la rescousse des généraux». Elle est l’invitée Afrique de RFI.

José Garçon, spécialiste de l’Algérie et membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, auteure de « Algérie: le Covid-19 à la rescousse des généraux ».
José Garçon, spécialiste de l’Algérie et membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, auteure de « Algérie: le Covid-19 à la rescousse des généraux ». © José Garçon
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RFI : « Le Covid-19 à la rescousse des généraux », écrivez-vous. En quoi cette crise sanitaire est-elle une aubaine pour le régime algérien ?

José Garçon : Pour le régime algérien, il y a une chose qui compte plus que toute autre, c’est de régler ses problèmes et pas forcément ceux du pays. Donc en décembre dernier – en décembre 2019 –, il a réussi à faire passer en force son élection présidentielle. Mais le passage en force n’a pas réglé le problème majeur du pouvoir algérien, qui était comment faire rentrer les gens chez eux, comment mettre fin au Hirak, ce mouvement populaire de contestation, qui exige un changement de système depuis plus d’un an. Un fléau moyenâgeux, le Covid, a obtenu – en tout cas momentanément – ce que le régime n’osait même plus espérer, à savoir mettre fin à ces fameuses marches hebdomadaires qui exigeaient que tout le régime s’en aille. C’est dans ce sens que le Covid-19 est une aubaine pour le régime qui espère bien que cet épisode va briser l’élan de ce mouvement populaire.

Et pendant ce temps, la répression continue…

Et pendant ce temps, comme vous le dites très bien, la répression continue. C’est-à-dire que le régime ne s’est pas satisfait de la trêve sanitaire qui a été décrétée par les contestataires, mais il utilise la peur et le fait que tout le monde ne se préoccupe que du Covid, pour casser tout et tous ceux qui pourraient faire redémarrer le mouvement à l’issue de cet épisode épidémiologique. Il y a d’abord la censure de la presse et notamment l’interdiction en Algérie de trois médias en ligne. Ensuite, le régime essaie de faire taire tous les récalcitrants, que ce soient des journalistes, que ce soit des activistes politiques, que ce soit des militants… Son objectif, c’est d’intimider et de faire peur, afin que Hirak ne redémarre pas.

N’est-ce pas aussi une volonté de contrôler l’information pour cacher les défaillances du système de santé ?

Effectivement. Je pense qu’une des raisons pour lesquelles on censure à ce point la presse, une des raisons pour lesquelles on judiciarise maintenant certaines déclarations sur Facebook, c’est effectivement que l’on craint que la défiance des Algériens ne tourne à la colère, si le manque de moyens est trop visible et si les journalistes rendent trop visible ce manque de moyens. La « chance » du régime, c’est qu’il y a une solidarité impressionnante qui s’est mise en place pour compenser un peu la carence de l’État. Il y a des chauffeurs de taxi qui conduisent gratuitement les soignants à l’hôpital et les ramènent chez eux. Il y a de petites entreprises qui se sont mobilisées pour faire des repas gratuits… Il y a une solidarité extrêmement importante. Donc aujourd’hui, le risque immédiat n’est pas la colère. La volonté des Algériens, c’est de s’en sortir. Mais demain, effectivement, il y a le risque que la défiance ne se transforme en véritable colère. Et ce risque est d’autant plus fort, qu’il n’y a plus aujourd’hui l’argent pour acheter la paix sociale.

D’autant plus que l’Algérie risque de devoir faire face à une crise économique aggravée par la chute du prix du pétrole.

Bien sûr. L’Algérie est de tous les pays pétroliers, sans doute, le pays le plus dépendant du prix du baril. Un chiffre indique parfaitement la difficulté économique dans laquelle se trouve l’Algérie, c’est que ses réserves de change ont littéralement fondu. Elles sont passées de 250 milliards de dollars en 2014, à 60 milliards de dollars, aujourd’hui. Or, 60 milliards de dollars, c’est à peine un peu plus d’une année d’importation. Et quand on sait que l’Algérie vit essentiellement sur les importations, on comprend qu’on va effectivement dans une zone de tempête économique sérieuse.

Donc en faisant le choix de la répression, les autorités algériennes ne font pas le bon choix, selon vous. Que devraient-elles faire, à votre avis ?

Je crois que, plus que jamais, l’Algérie a besoin d’un consensus national minimum. Minimum ! Ce qui est totalement suicidaire de la part de ce régime, c’est de penser au si court terme. C’est-à-dire qu’il est persuadé que son problème est de casser le Hirak, mais il ne réalise pas qu’en cassant le Hirak, il casse toute possibilité d’établir la moindre confiance avec la population et que dans la situation actuelle, c’est un suicide.

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