Invité Afrique

Libye: «La présence des forces extérieures rendait le scrutin présidentiel impossible»

Publié le :

Après plusieurs jours de faux suspense, les autorités libyennes ont reporté mercredi 22 décembre l'élection présidentielle, moins de 48 heures avant le jour J. Une commission chargée du suivi du scrutin a conclu à « l'impossibilité » de le tenir à la date prévue, pourtant fixée il y a plus d’un an. L’annonce intervient sur fond de querelles entre pouvoirs rivaux, notamment autour d’une loi électorale contestée et la candidature controversée de Saïf al-Islam Kadhafi. L’Autorité électorale a proposé de reporter d’un mois cette échéance cruciale pour l’avenir du pays. Pas sûr pourtant qu'un mois supplémentaire puisse régler les questions de fond, estime Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Il répond aux questions de Christina Okello.

Workers in Libya's capital Tripoli pass an electoral billboard reading in Arabic, "Register and vote before missing your chance" -- but a postponement of the ballot is widely expected
Workers in Libya's capital Tripoli pass an electoral billboard reading in Arabic, "Register and vote before missing your chance" -- but a postponement of the ballot is widely expected Mahmud TURKIA AFP/File
Publicité

RFI : Les Libyens seront-ils prêts pour se rendre aux urnes dans un mois ?

Emmanuel Dupuy : Déjà, on n’est pas tout à fait sûrs que ça se tienne dans un mois. Ce qui est certain, c’est que ça ne se tiendra pas le 24 décembre comme initialement prévu. La date du 24 janvier est avancée, mais ça n’est pas tout à fait acté. D’autres candidats, notamment, estiment qu'il faut se laisser encore plus de temps pour faire en sorte qu’il n’y ait pas seulement la tenue que des élections présidentielles, mais qu’elles puissent se tenir concomitamment avec les élections législatives. C’est d’autant plus important que les dernières élections législatives remontent à 2014 et que, de facto, depuis il n’y a plus de Parlement reconnu ni par les Libyens ni par la communauté internationale.

Qu'est-ce qui a empêché la tenue de ces élections ?

Premièrement parce que les préconditions, celles qui avaient été évoquées lors de la première réunion à Berlin en janvier 2020, ne sont pas réunies. Premier préalable, les ingérences extérieures avec les nombreux -20 000 à 40 000- étrangers, mercenaires, groupes armés, milices, combattants syriens qu’ont fait venir les différents belligérants du côté de Tripoli ou de Benghazi, n’ont pas quitté la Libye. Le deuxième élément, c’est que les différents candidats ne sont pas tous au diapason pour tenir les élections. La troisième raison pour laquelle ces élections ont été repoussées, c’est qu’il y a une forme de tous sauf Saïf al-Islam qui est en train de se mettre en place.

Il y a 18 principaux candidats, parmi eux, y en a-t-il un qui est capable de rassembler ?

Vraisemblablement l’actuel Premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah, pour la Libye de l’ouest, et vraisemblablement le maréchal Khalifa Haftar. Parmi ces candidats, des candidats qui peuvent s'entendre : l’ancien ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, l’ancien ministre Premier ministre, Ahmed Miitig, ainsi que le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, peuvent s’entendre avec Khalifa Haftar. L’autre côté, Abdel Hamid Dbeibah ne devrait pas officiellement se porter candidat puisqu’il est Premier ministre d’un gouvernement de transition. Mais forcé de constater que la communauté internationale pense que plus il y a de candidats, plus le jeu est ouvert et c’est qu'ensuite que cela devra être rôdé.

La communauté internationale avait fait de ces élections une priorité, en quoi ce report est-il un échec ?

Ce qui est un échec pour la communauté internationale, c’est qu’elle n’a pas réussi à faire en sorte que les acteurs extérieurs, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Russie, la Turquie, le Qatar, sortent du jeu politique libyen. Comment pourrait-on avoir des élections alors qu’il y a pratiquement 40 000 étrangers en arme, même si les combats n’ont pas repris sur le territoire libyen ? Le nouveau représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, l’ancien diplomate slovaque Jan Kubis, a démissionné en novembre 2021 avec le retour de Stéphanie Williams qui ne fait pas consensus. Cela aussi retarde le processus.

Matériellement, la Libye est-elle prête à accueillir ces élections ?

Le président du Comité national électoral Imad al-Sayeh a déjà annoncé la dissolution du Comité national électoral, donc renvoyant le personnel professionnel formé pour organiser le scrutin. [ Il y a deux millions et demi de Libyens qui ont déjà retiré leur carte d’électeur, NDLR]. Évidemment, si ce personnel est renvoyé chez lui, ça va être compliqué de le refaire venir ou, en tout cas, de le maintenir en capacité de tenir ces élections. Pour l’instant, l’éligibilité de la plupart des candidats a été reconnue, mais il est tout à fait possible que s'il y a quelques reports, il y ait de nouveau des tentatives d’invalider un certain nombre de candidats.

Ces élections auront-elles lieu un jour ?

Je crains que non. Les images d’Épinal que l’on pensait rangées aux oubliettes, c’est-à-dire les milices qui ressortent puissamment armées dans les rues de Tripoli et dans les rues de Benghazi pour montrer la force des uns et des autres sont réapparues. On se croirait quasiment dans la période 2014, juste après la tentative de réconciliation nationale. Je ne crois pas que quelques mois suffisent à faire sortir toutes les forces extérieures. Je crois d’autant moins à la capacité des élections que s'il y avait des élections, cela ne réglerait absolument rien à partir du moment où il n’y a toujours pas de consensus sur le fait que si l’un gagne les autres accepteraient le verdict des urnes.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes