Livre international

«Couchsurfing en Ukraine», de Stephan Orth

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Notre livre international de cette semaine nous emmène en Ukraine. L’auteur allemand Stephan Orth a passé huit mois dans ce pays en pleine guerre. Non pas en tant que journaliste, mais en tant que « couchsurfer », c'est-à-dire, comme voyageur qui se fait inviter chez des habitants. Il écoute leurs histoires, est impressionné par leur courage et leur volonté de vivre. De cette expérience intense, il a écrit un livre, intitulé : Couchsurfing en Ukraine, publié aux éditions allemandes Malik. Un livre qui retrace le quotidien d’une population confrontée à la guerre déclenchée par la Russie le 24 février 2022. Stephan Orth répond aux questions d’Achim Lippold.

Couverture du livre «Couchsurfing», de Stephan Orth.
Couverture du livre «Couchsurfing», de Stephan Orth. © Editons Malik
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RFI : Vous avez déjà visité beaucoup de pays pour dormir chez l’habitant : l’Iran, la Russie, la Chine, entre autres. Mais cette fois, vous avez choisi un pays en guerre depuis presque trois ans. Pourquoi ce choix ?

Stephan Orth : Il y avait des raisons personnelles, car mon ex-petite amie vit à Kiev. Je suis donc allé fréquemment en Ukraine pendant la guerre. On peut dire que nous avons eu la « bonne » idée de devenir un couple juste après le début de la guerre. J’ai continué à me rendre à Kiev en train, puisqu'aucun avion ne vole vers l’Ukraine. À un moment donné, je me suis dit : « Puisque je prends le risque insensé de passer autant de temps dans cette guerre, pourquoi ne pas y associer un projet de livre ? ». L’éditeur était partant, et j’avais le sentiment que l’intérêt pour cette guerre diminuait déjà, au début de 2023. Pourtant, sur place, cette guerre terriblement violente continuait à faire rage, et j’ai pensé qu’il fallait la raconter davantage, en adoptant une perspective plus personnelle et intime.

Comment les gens vous ont-ils accueilli ?

Je me suis vraiment posé la question : est-ce que c'est approprié de demander de l’hospitalité en ce moment, alors que les Ukrainiens traversent une guerre ? Peut-on aller chez les gens, dormir sous leur toit. Mais finalement, mes craintes se sont vite envolées. Les Ukrainiens qui m’ont accueilli, m’ont assuré qu'ils le faisaient de bon cœur. L’un d’eux m’a dit : « Vous, les Allemands, vous avez accueilli un million d’Ukrainiens, donc on peut bien accueillir un Allemand chez nous ! ». Franchement, j’ai été très bien reçu. Il y avait ce sentiment d’égal à égal. Je veux dire, je ne suis pas venu en tant que journaliste de télé avec toute une équipe et une grosse caméra pour juste prendre deux-trois témoignages et repartir. Non, j’ai vraiment partagé leur quotidien, j’ai vécu la guerre avec eux. Et je pense que ça crée une proximité particulière, une relation plus humaine.

Vous décrivez une situation un peu absurde. Vous louez une voiture et l’agence vous appelle chaque fois que vous approchez de la ligne de front.

Exactement ! Avec un photographe, on avait loué une voiture pour quatre jours, dans la région de Donetsk. Mais bon, petit problème : vous n’êtes pas assuré dans ces zones-là. Et je me disais souvent : si quelque chose arrive à cette Volkswagen T-Roc, il faudra la rembourser, et ce n’est vraiment pas donné ! Chaque fois qu’on s’est trouvé à 20 km de la ligne de front, à portée d'artillerie russe, l’agence de location nous appelait en nous demandant de faire demi-tour.  Visiblement, ils suivaient nos déplacements ! En fait, dans le contrat, il n’y avait pas d’interdiction de circuler près du front, mais ils tenaient à nous avertir.

Vous expliquez aussi comment les Ukrainiens cherchent une normalité, même en pleine guerre. Ils vont à l’opéra, sachant que la représentation peut être interrompue à tout moment par une alerte aérienne. Ça vous a surpris, cette façon de s’adapter ?

Ah oui, ça m’a beaucoup marqué. Je ne pouvais pas imaginer à quel point les gens s’habituent à une situation aussi extrême. Moi, j’ai choisi d’aller en Ukraine, de m’exposer à ce conflit. Personne ne m’y obligeait. Mais les Ukrainiens, eux, n'ont pas le choix. Ils n’avaient aucune expérience de la guerre, et pourtant ils s’y sont adaptés. Leur quotidien s’est ajusté à cette réalité. Des choses qui nous paraîtraient incroyables deviennent banales pour eux. C’était une vraie leçon de voir comment l’humain s’adapte dans des situations très difficiles.

Pendant ces huit mois en Ukraine, vous avez rencontré beaucoup de gens. Y a-t-il une personne qui vous a particulièrement marqué ?

Oh oui, il y avait beaucoup de rencontres marquantes, mais je pense à Polina, de Zaporijjia. Une jeune femme très engagée depuis le premier jour de la guerre. Avec ses frères et des amis, elle a monté une association de bénévoles pour distribuer de l'aide humanitaire et collecter des dons. Aujourd'hui, elle travaille pour les ambulances et aide à évacuer les soldats blessés du front. Elle sauve des vies, tout en risquant la sienne. Elle va tous les jours près de la ligne de front. Mais ce qui était frappant de voir, c’étaient tous ces gens qui, d’une manière ou d’une autre, s’engageaient pour que leur pays tienne bon. Pour que l’Ukraine ne perde pas cette guerre. Après presque trois ans de guerre, tout le monde est épuisé. Mais les gens font preuve d’une incroyable force, d’une résilience impressionnante. Ils continuent. Ils ne lâchent pas.

Vous restez en contact avec ces personnes ?

Oui, presque toutes. Souvent, nos conversations commencent par la question : « Est-ce que tout va bien après la dernière attaque de missiles ? ». Par exemple, pendant les fêtes de Noël, environ soixante-dix missiles ont été lancés par la Russie. Certains ont été interceptés, mais c’était une attaque massive, même Le jour de Noël. Certains amis ont dû se mettre à l’abri ne serait-ce que dans leur salle de bain durant les bombardements.

Pensez-vous que votre livre offre une perspective différente de celle transmise par les médias ?

J’espère que oui. Les meilleures conversations n’ont pas lieu immédiatement. Elles viennent au deuxième ou troisième jour, lorsque vous êtes vraiment intégré dans le quotidien des gens. J’ai voulu montrer la vie des gens ordinaires, mettre en avant le côté humain, pas seulement décrire la vie des soldats ou les stratégies militaires.

Quel impact cette guerre a-t-elle sur la société ukrainienne ?

Il est énorme. Beaucoup parlent d’années « volées ». La priorité est de survivre, ne pas devenir fous. Ils n’ont pas le temps ni l’esprit pour se projeter dans l’avenir. Les problèmes de santé, qu’ils soient physiques ou psychologiques, sont omniprésents, on parle beaucoup de symptômes post-traumatiques. J’ai moi-même eu des sirènes fantômes, dans la tête. Après mon retour, chaque bruit me rappelait une alerte aérienne. Mais moi, je n’ai passé que huit mois en Ukraine. Donc, imaginez celles et ceux qui y vivent et qui subissent des bombardements au quotidien.

Avez-vous le sentiment que les Ukrainiens montrent des signes de lassitude face à cette guerre ?

Oui, bien sûr. Beaucoup sont épuisés. Mais la majorité veut continuer à se battre, car ils savent qu’un cessez-le-feu temporaire ne signifie pas la fin du conflit. Ils veulent éviter qu’une armée russe renforcée ne revienne dans quelques années. Et ils sont bien conscients du fait ce que cela signifierait de vivre sous occupation russe.

En quoi ce voyage a-t-il été différent des autres pour vous ?

 C’est sans doute le voyage le plus extrême et le plus dangereux que j’aie jamais fait. C’est aussi celui qui m’a le plus marqué, tout simplement, parce que ma position sur l’Ukraine est très claire. Je pense que toute personne dans le monde ayant fait ce type de voyage serait parfaitement consciente qu’il n’est plus possible de revenir à une situation normale avec la Russie d’aujourd’hui. Il ne faut pas recommencer à faire du commerce avec la Russie, à lui acheter du gaz et du pétrole à grande échelle, comme certains partis en Allemagne le souhaitent.

Quand on vit une situation de guerre de près, on saisit pleinement l’injustice et la brutalité de ce conflit, d’une manière qu’aucun reportage ou documentaire télévisé ne pourrait transmettre. C’est ce qui m’a le plus marqué émotionnellement. On me demande souvent quel sera mon prochain projet de livre. Pour l’instant, je ne peux ni décider ni même y penser, car le sort de l’Ukraine continue de me bouleverser.

Couchsurfing in der Ukraine : Meine Reise durch ein Land im Krieg (Couchsurging en Ukraine. Mon voyage dans un pays en guerre) est publié aux éditions Malik.

Le livre précédent de Stephan Orth sur le couchsurfing en Iran a été traduit en français et a été publié aux éditions Payot sous le nom de Derrière les portes closes. Mes aventures en Iran

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