Coronavirus: la crise sanitaire peut-elle provoquer un réveil écologique?

La pandémie de Covid-19, qui s’est répandue dans 187 pays, représente une crise sanitaire mondiale. Mais elle est aussi l’occasion d’engager une réflexion structurelle globale sur un autre péril : la crise écologique.

Zone de déforestation en Amazonie (image d'illustration).
Zone de déforestation en Amazonie (image d'illustration). RAPHAEL ALVES / AFP
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Mercredi 1er avril, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a estimé que la Terre vivait sa « pire crise mondiale depuis que l'ONU a été fondée », il y a 75 ans. Mais si l’humanité vit des heures difficiles, la planète, elle, peut enfin respirer un peu.

Avions cloués au sol, événements annulés, voyages interdits, usines à l’arrêt : si le coronavirus entraîne l’économie mondiale dans la récession, il a pour corollaire une chute des émissions de gaz à effet de serre.

Catastrophe sanitaire, bénédiction environnementale

Sur le mois de février, les seules émissions chinoises de CO2 ont chuté de 25 %, soit 200 millions de tonnes, par rapport à la même période en 2019, selon le Centre de recherche sur l'énergie et l'air pur. Cette baisse est équivalente aux émissions annuelles de CO2 de l'Argentine, de l'Égypte ou du Vietnam.

Dans le monde entier, la population respire déjà mieux grâce à une réduction de la pollution atmosphérique. En février, la concentration de dioxyde d'azote, produit principalement par les véhicules et les centrales thermiques, a baissé drastiquement à Wuhan : de rouge/orange, la carte des émissions est devenue bleue. Le même phénomène a été observé début mars par l'Agence spatiale européenne dans le nord de l'Italie, zone confinée depuis plusieurs semaines pour lutter contre la propagation de la maladie. Il se produit également à Madrid et Barcelone, selon l'Agence européenne de l'environnement. Et d'autres effets positifs sont visibles : à Venise, l'eau est devenue claire avec l'arrêt du ballet incessant des bateaux bondés de touristes.

Mais pour le chercheur Joeri Rogelj, qui contribue aux travaux du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), il ne faut pas crier victoire trop vite : l’embellie écologique sera de courte durée. « Les réductions d'émissions liées au coronavirus ne sont pas structurelles. Elles vont disparaître dès que le transport de biens et de personnes sera rétabli après l'épidémie », prévoit-il.

Les pays font déjà leur possible pour redémarrer la production et ranimer les échanges. La Banque centrale américaine a déjà réduit ses taux en urgence pour stimuler l'économie, une première depuis la crise de 2008. Les pays du G7, les économies les plus riches du monde, sont prêts à prendre des mesures budgétaires. Pékin a prévu un vaste plan de soutien pour les petites et moyennes entreprises, avec des facilités de crédit. En 2008 et 2009, la crise financière avait été suivie d'« un fort rebond [des émissions de CO2] à cause des mesures de relance des gouvernements », rappelle Glen Peters, climatologue au centre de recherche Cicero.

La crise du coronavirus, « exemple type d’une crise écologique »

Or la causalité entre crise écologique et coronavirus est désormais avérée. « Il est à 98 % certain que le Covid-19 trouve son origine dans un virus de chauve-souris » , expliquait l’écologue de la santé Serge Morand, directeur de recherche au CNRS, dans les colonnes de Libération le 26 mars. Le coronavirus de chauve-souris n’est pas transmissible à l’homme : la structure de son génome doit évoluer pour qu’il puisse entrer dans les cellules humaines. La mutation se fait donc le plus souvent en passant par d’autres espèces animales, des « passerelles » rendant le virus compatible avec l’homme. Dans le cas du nouveau SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, il semblerait que ce soit le pangolin qui ait permis transmission à l'homme.

Là où la responsabilité de l’homme est engagée, c’est en ce que la destruction de la biodiversité augmente les risques d’épidémie. « Si on déforeste, on urbanise, les animaux sauvages perdent leur habitat et cela favorise leurs contacts avec les animaux domestiques et les humains, résume Serge Morand. Le fait que des virus qui restaient jusqu’ici dans les chauves-souris en Asie parviennent jusqu’aux humains est nouveau et directement lié à leur perte d’habitat, qui les rapproche des animaux domestiques. » Depuis les années 1960, de plus en plus d’épidémies frappent humains, animaux et végétaux – et l’interconnexion entre les pays ne faisant que croître, ces épidémies deviennent vite des pandémies. Avec la mondialisation, toutes les conditions favorables à l’explosion des épidémies sont réunies : perte de biodiversité, industrialisation de l’agriculture et flambée du transport de biens et de personnes.

Pour éviter de nouvelles crises telles que celle du coronavirus, qui est selon Serge Morand « l’exemple type d’une crise écologique », l’humanité doit donc admettre que la santé et même la civilisation humaine ne peuvent se maintenir qu’avec des écosystèmes fonctionnels. « Pour cela, il faut démondialiser, et vite !, préconise l’écologue. Préserver la biodiversité en repensant l’agriculture. »

►À lire aussi : Coronavirus: la chute de la biodiversité augmente les risques sanitaires pour l'homme

Une prise de conscience nécessaire

Pour la sociologue de l’environnement Séverine Durand, qui travaille sur les rapports aux changements environnementaux, les conditions sont aujourd’hui réunies pour une prise de conscience. « Même si pour l’instant, on ne connaît pas l’étendue de la catastrophe, on sait déjà que nous allons vers une récession équivalente à celle de 2008, voire pire, explique-t-elle à RFI. La mondialisation telle que nous la connaissons n’est ni viable, ni durable. En France, nous avons d’ores et déjà déjà commencé à réaliser les failles de notre système : hypermobilité, économie mondialisée, interdépendance… On l'a vu avec, par exemple, la pénurie de certains médicaments qui étaient fabriqués en Chine. »

Mais à l’échelle mondiale, reconnaît-elle, le changement de cap se heurte à des poids lourds. « Pour qu’il y ait un changement structurel global, il faudrait que tous, y compris des dirigeants climatosceptiques comme Trump et Poutine, s’asseyent ensemble autour de la table et se mettent d’accord pour lutter contre la crise écologique… On n’en est pas là. »

Pour l’heure, il est très difficile de faire de la prospective sans connaître l'intensité de la crise sanitaire en cours. Il est tout de même possible de dessiner deux hypothèses extrêmes, selon la sociologue. Un scénario optimiste, avec la fin de l’agriculture productiviste mondialisée, le retour au local et l’amorce d’une véritable transition écologique et démocratique, c’est-à-dire une relance « verte » après la crise économique qui s’amorce ; et un scénario pessimiste, c’est-à-dire poursuivre dans la voie du « capitalisme de la catastrophe » (selon les mots de Naomi Klein), avec la destruction de notre écosystème.

C’est ce second scénario qui a été choisi après chaque épidémie. En Thaïlande, par exemple, pour répondre au virus H5N1 de la grippe aviaire, les races locales de poulets de basse-cour ont été abattues en masse et remplacées par des races génétiquement homogènes issues de la recherche agro-industrielle, prévues pour de grands élevages confinés. Une politique promue par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui déplore pourtant la disparition de 30 % des races de poulets depuis le début du XXe siècle.

Mais Séverine Durand croit au scénario optimiste. « Nous sommes comme un crapaud dans une marmite, qui cuit à petit feu : la température monte progressivement depuis des années, mais on s’accommode de la chaleur, on finit par l’oublier. Mais cette crise du coronavirus, c’est comme si la température avait augmenté d’un coup. Pour nous, ça peut être l’opportunité de rompre cet endormissement, et de trouver l’énergie de sauter de la marmite et changer de paradigme. » La lutte contre la crise écologique, rappelle la sociologue, n’est pas qu'une question morale ou idéologique : elle devrait aussi être l’expression de notre instinct de survie.

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