Antilles françaises: le lien entre le cancer de la prostate et le chlordécone enfin reconnu
Depuis des années, la population antillaise se bat pour faire reconnaître la responsabilité du chlordécone, un insecticide ultra-toxique, dans le nombre élevé de cancers de la prostate chez les travailleurs de la banane. Le décret qui admet le cancer de la prostate comme maladie professionnelle des ouvriers de la banane est enfin paru ce mercredi au Journal Officiel.
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Le chlordécone, commercialisé sous le nom de Képone ou Curlone en France, a été utilisé dans les Antilles françaises contre le charançon du bananier, de 1972 jusqu’en 1993. C’est un insecticide organochloré, toxique pour tous les organismes vivants, qui a été classé cancérogène possible par l’OMS en 1979. Il est strictement interdit d’achat et d’utilisation en Europe depuis 2004 par le règlement sur les POP (Polluants organiques persistants).
Pendant plus de 20 ans, les ouvriers de la banane ont pulvérisé au chlordécone, et tous ceux qui ont manipulé le pesticide ont été contaminés. Le nombre de cancers de la prostate est deux fois plus élevés en Guadeloupe et en Martinique que sur le territoire de la métropole, et la synthèse des études effectuée par l’Inserm en 2019 confirme le lien entre ces pesticides et la maladie.
Aux États-Unis, une alerte décisive
Le chlordécone a été synthétisé dans les années 1950 aux États-Unis, puis utilisé jusqu’à l’explosion de l’usine de fabrication à Hopewell, en Virginie, en 1975 : les ouvriers ont été gravement intoxiqués et la rivière avoisinante, la James River, polluée jusqu’à l’embouchure, a vu les poissons morts s’échouer sur les berges. La pêche y sera interdite pendant 13 ans. Suite à cette catastrophe, le chlordécone est interdit aux États-Unis dès 1977.
Mais nous sommes en pleine « guerre commerciale de la banane », et la France veut continuer à produire et exporter. Le chlordécone ne sera donc pas interdit avant 1990. De 1978 à 1990, le produit n’étant plus fabriqué aux États-Unis, les gros planteurs antillais financent la construction d’usines pour le synthétiser au Brésil. Après l’interdiction en 1990, ils demandent et obtiennent, jusqu’en 1993, dérogations après dérogations, le droit de continuer de traiter les bananeraies au chlordécone, pour écouler les stocks.
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Le cancer de la prostate, maladie professionnelle
Le décret paru ce ce mercredi, qui reconnaît le cancer de la prostate comme maladie professionnelle, s’inscrit dans le cadre du quatrième Plan chlordécone (2021-2027). Il permet l’indemnisation des agriculteurs concernés via un fonds créé en 2020, destiné à indemniser les personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation des pesticides.
Tous les exploitants et salariés de la banane pourront demander ce statut à deux conditions : qu’ils aient travaillé pendant au moins dix ans au contact du chlordécone – même si les hommes qui ont été exposés moins de dix ans peuvent quand même faire une demande – et que moins de 40 ans se soient écoulés entre la dernière exposition et le diagnostic de cancer de la prostate.
Pour Mathieu Schuler, de l’Agence de sécurité sanitaire, « le cancer de la prostate est un cancer à progression lente, et un délai de 40 ans entre la dernière exposition et l'apparition de la maladie est un paramètre très large qui permet de prendre en compte un effet très différé ».
Pour le chercheur Philippe Verdol, qui travaille depuis quinze ans sur ce dossier et préside l'association EnVieSanté, cette mesure vient trop tard et n'est pas adaptée à la situation.
Je m'indigne quant au fait que cette reconnaissance ne vise que des ouvriers agricoles, une sous-population qui est très précise, alors que c'est toute notre population de la Guadeloupe qui est touchée, non seulement par le cancer de la prostate, mais par toute sorte de pathologies liées au chlordécone, entre autres parce qu'il est perturbateur endocrinien : néotoxique, spermatotoxique, etc. On est en train de laisser la population guadeloupéenne et martiniquaise crever du fait de ces différentes propriétés du chlordécone. On la laisse dégénérer par toutes les atteintes au cerveau. Et là, on nous demande d'applaudir cette mansuétude de l'État français.
Philippe Verdol
Une contamination au long terme
Le chlordécone est un polluant organique persistant : sa molécule est quasiment indestructible, elle peut rester active dans les sols pendant 650 ans. Plusieurs solutions ont été expérimentées. Mais il est impossible de se débarrasser du chlordécone à grande échelle, sauf à remplacer les 50 premiers centimètres de terre contaminée par de la terre propre.
Le produit toxique s’est infiltré dans la terre des bananeraies, contaminant les eaux douces, les pluies tropicales qui ravinent les sols emmènent les contaminants jusqu’à la mer : les zones polluées, les jardins maraîchers, les endroits dédiés à la pêche à pied en bord de mer, sont déconseillés, voire interdits.
En 2018, une étude de Santé publique France montrait que plus de 90% des Martiniquais et Guadeloupéens sont contaminés au chlordécone. Ce scandale sanitaire devrait rester encore longtemps au centre des contestations qui secouent la population antillaise.
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