Analyse

Athlétisme: inquiétude des athlètes français face au marasme de leur fédération

À trois ans des JO de Paris, l’athlétisme français est dans une mauvaise passe. Et un nouveau mauvais résultat en 2024 ferait tache pour le pays organisateur. Pour le moment, la Fédération française d'athlétisme (FFA) n'a toujours pas de directeur technique national (DTN). 

Le Français Renaud Lavillenie tente de soigner sa cheville, lors de la finale de la perche, le 3 août 2021 aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020
Le Français Renaud Lavillenie tente de soigner sa cheville, lors de la finale de la perche, le 3 août 2021 aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020 Ben STANSALL AFP/Archives
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Outre des résultats catastrophiques – deux médailles et aucun titre aux Mondiaux de Doha en 2019, et une seule médaille et aucun titre aux JO de Tokyo en 2021 –, la Fédération française d'athlétisme (FFA) est engluée dans une crise de gouvernance. En septembre dernier, Florian Rousseau, directeur de la haute performance, n’a pas souhaité renouveler son contrat. Anne Barrois, directrice technique nationale par intérim, n’est plus aux commandes et pour le moment personne n’a pris le poste. La FFA attend son prochain DTN dans une ambiance de crise.

« On ne sait plus trop qui fait quoi » 

« Il n'y a plus une seule personne qui dirige, mais plusieurs en même temps avec des fonctions moyennement définies. On ne sait plus trop qui fait quoi, quand, comment, ni à qui s'adresser. On patauge. Nous, athlètes, on est tous un peu perdus. Cela engendre beaucoup d'inertie et très peu d'efficacité », s’inquiète Renaud Lavillenie dans un entretien paru jeudi 4 novembre dans L'Équipe.

« Le château de cartes s’est vite écroulé depuis 2017. En 2019, j’avais dit après les Mondiaux de Doha que l’on allait droit dans le mur en continuant comme ça. C’est un problème global. On ne sait plus qui dirige. Il faudrait que tout le monde retrouve son champ de compétences et un ordre de mission à respecter (…). On n’a pas su trouver un leader comme avait pu l’être Ghani Yalouz », a récemment déclaré au quotidien Le Monde le marcheur Yohann Diniz, qui a participé à sept championnats du monde et quatre éditions des Jeux olympiques.

Le Français Christophe Lemaitre exulte après sa 3e place en finale du 200 m aux JO de Rio, le 18 2016
Le Français Christophe Lemaitre exulte après sa 3e place en finale du 200 m aux JO de Rio, le 18 2016 AFP/Archives

Les belles années Amsalem-Yalouz

Retour en arrière. En 2009, Ghani Yalouz avait été nommé DTN par Bernard Amsalem en remplacement de Franck Chevallier. Il est resté neuf années, couronnées de succès. En 2010, la France revient avec 18 médailles glanées lors des championnats d'Europe à Barcelone. Pour le plus grand plaisir des téléspectateurs français, l’athlétisme tricolore prend alors la deuxième place des nations européennes. En 2014, lors des championnats d'Europe d'athlétisme de Zurich, c’est un feu d’artifices. La délégation française ramène 23 médailles, dont neuf en or, ce qui représente à ce jour le record historique pour un championnat d'Europe. L’athlétisme français vit son heure de gloire. L’apothéose arrive à Rio en 2016. Lors des JO, les athlètes français rentrent des JO avec six médailles. Le plus gros total depuis 1948.

Considéré comme un meneur d'hommes, avec une méthode fondée davantage sur l'humain que sur la technique, Ghani Yalouz avait su amener l’équipe de France d'athlétisme à ses meilleurs résultats depuis les trois dernières olympiades.

« Valoriser » et « rassembler » la famille de l’athlétisme

À son arrivée comme DTN, l’ancien champion du monde de lutte avait rendu les Championnats de France obligatoires pour tous ceux qui prétendaient représenter la France au niveau européen et mondial (dans leur spécialité). Ce qui était considéré comme une révolution. Ghani Yalouz se félicitait d’avoir « valorisé » et « rassemblé » la famille de l’athlétisme après avoir fait son état des lieux. « Je ne voulais pas bercer les athlètes dans l’illusion », expliquait-il.  

L’athlétisme demande de l’exigence et son approche humaine avait visiblement fait mouche. « Ghani nous manque », avait carrément lâché Pierre-Ambroise Bosse sur France Télévision lors des Mondiaux de Doha au Qatar. 

« Nous avons été la première fédération qui est allé chercher un DTN qui n’était pas issue de son sport, se souvient pour RFI Bernard Amsalem, président de la FFA de janvier 2001 à décembre 2016. C’était compliqué à faire accepter car c’était le ministère des Sports qui devait nommer le DTN. Mon idée était d’avoir un œil neuf et en même temps une personne avec un esprit équipe de France. Jusque-là, chaque discipline s’entraînait ensemble. Le sprint avec le sprint, le demi-fond avec le demi-fond, etc. On voulait faire des stages pour mélanger tout le monde et développer cet esprit équipe de France. Cela permettait aux athlètes et aux entraîneurs de mieux se connaître. Nous avons réussi à créer une ambiance positive. La différence entre un athlète qui réussit son championnat et celui qui le rate, c’est souvent la tête. À partir du moment où le psychologique est alimenté par une meilleure connaissance des uns et des autres, je crois qu’il est plus présent le jour J ».

Une époque où les athlètes de la FFA étaient reçus à l’Élysée pour leurs performances et avaient même le privilège de défiler sur les Champs-Élysées comme l’équipe de France de football ! Tout roulait.

Le Français Pierre-Ambroise Bosse pose sur le podium avec sa médaille d'or après sa victoire sur 800 m aux Mondiaux d'athlétisme, le 9 août 2017 à Londres
Le Français Pierre-Ambroise Bosse pose sur le podium avec sa médaille d'or après sa victoire sur 800 m aux Mondiaux d'athlétisme, le 9 août 2017 à Londres AFP/Archives

Un trou générationnel ?

« On arrive à la fin d'une génération qui est apparue en 2010 aux Championnats d'Europe de Barcelone. C'est la fin d'un cycle. Et puis il y a une génération pour Paris 2024 qui arrive mais qui est un peu tendre. Il y a une génération intermédiaire mais qui manque de densité. Il faut combler ce trou générationnel », avançait André Giraud après les Mondiaux de Doha.

« Il n’y a pas trou générationnel, il y a toujours un vivier, rétorque Bernard Amsalem. Mais il faut accompagner les jeunes et c’est le rôle de l’État. Mêler une carrière de haut niveau et des études longues, ce n’est pas évident. Et pas beaucoup d’écoles ou d’universités proposent des aménagements. Et cela touche tous les sports. C’est un vrai sujet qui pose problème depuis des années et qui n’a pas été pris à bras le corps par les gouvernements successifs. » Et maintenant ?

Patrick Ranvier nouveau DTN ?

L'ancien DTN de l'aviron, Patrick Ranvier, serait le favori du président de la FFA, André Giraud. Ce qui n'enthousiasmerait pas Claude Onesta, manager de la haute performance à l'Agence nationale du sport (ANS). Dans un communiqué où l'ancien patron de l'équipe de France de handball n'est pas cité, le président de la FFA a répliqué : « Nous ne laisserons personne décider à notre place. »

En effet, en présentant début octobre les orientations stratégiques Paris 2024, Claude Onesta avait évoqué la fédération du premier sport olympique qu'est l'athlétisme. « Quand une voiture est dans le mur et qu'elle est cassée, qu'on ne me dise pas qu'elle n'est pas dans le mur, alors (maintenant) on va faire en sorte de la conduire à deux », avait-il déclaré.

Patrick Ranvier et Grégory Saint-Génies ont été auditionnés le 3 novembre par une commission ad hoc, dirigée par la direction des sports du ministère. Grégory Saint-Génies a occupé les fonctions de DTN à la fédération française de ski nautique et de wakeboard.

« On s'est déjà concerté avec plusieurs athlètes (...). Peut-être parfois faudrait-il une personne qui tape du poing sur la table, qui indique une direction. Il manque un fil conducteur », lâche Renaud Lavillenie.

En quittant ses fonctions, Florian Rousseau avait dressé un bilan sévère du fonctionnement de l'athlétisme tricolore, dénonçant « des États dans l'État avec des coachs qui sont ouvertement contre la FFA ».

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